(Dossier Sub Signo Martini n°52)
Avec ce numéro, nous poursuivons notre double dossier sur la vocation des fidèles laïcs du Christ. Après avoir abordé, dans notre dossier de juin la collaboration entre prêtres et laïcs dans la vie de l’Eglise, nous vous proposons de réfléchir sur la vocation particulière des fidèles laïcs: sanctifier les réalités temporelles, témoigner du Christ ressuscité dans notre monde.
Quand Jésus parle de ses disciples il les nomme « lumière du monde ». Enflammés afin de briller pour tous les habitants de la maison (qui peut figurer le monde), ils possèdent une vocation propre. Nous pouvons la mettre en lumière en nous appuyant sur la vocation des astres établis par Dieu au quatrième jour de la création. Considérons donc les cieux pour mieux apprécier les fidèles du Christ : « Quand je considère Tes cieux, l’œuvre de tes mains, la lune et les étoiles que Tu as fixées, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? » (Ps 8).
Si « par sagesse il fit les cieux » (Ps 136), combien plus la régénération opérée par le baptême est l’œuvre de la sagesse divine ! C’est elle qui établit les laïcs dans le monde avec une place, un rôle et un éclat renouvelés, de telle sorte que les hommes n’ont désormais plus à regarder vers les cieux mais parmi eux pour discerner l’action divine. Les étoiles n’ont pas été dispersées sans ordre dans les cieux comme le résultat d’une gigantesque explosion. Elles ont été placées à travers l’espace par la main du Dieu tout puissant. De la même manière, les laïcs sont appelés à occuper une place précise et à discerner la place que le Seigneur leur attribue afin de rayonner non pas seulement en soi mais aussi dans la communion d’une constellation qu’est la communauté chrétienne : « Aucun de nous ne vit pour lui-même » (Rm 14).
Dieu ne se résout pas seulement à ordonner les étoiles. Le psalmiste enseigne qu’il leur donne aussi un nom (Ps 147) et les prophètes précisent qu’ainsi chacune est en mesure de répondre à Dieu : « l’Unique déploie leur armée en bon ordre ; il les appelle toutes par leur nom » (Is 40). Chaque laïc est donc appelé à établir avec Dieu une relation personnelle caractérisée par la fidélité et la joie : « Les étoiles brillent à leur poste, joyeuses : les appelle-t-il, elle répondent : nous voici ! Elles brillent avec joie pour leur Créateur. » (Ba 3)
Tout cela est établi en vue d’une révélation prophétique. Ce qui est vrai des étoiles l’est davantage pour les fidèles : « Qu’elles soient des signes pour les saisons et pour les jours et pour les années. » (Gn 1) « Signe » désigne les annonces salutaires tels que les gestes produits par Moïse pour délivrer un message divin à Pharaon. « Saisons » n’est pas utilisé dans l’Écriture pour désigner une période de l’année mais un rendez-vous ou un temps fixé (kairos) par Dieu comme avec Abraham et Sarah pour avoir un fils ou encore pour les fêtes en l’honneur de Dieu dans le Lévitique. Signes et saisons sont destinés par Dieu à indiquer des événements et des périodes, des temps choisis par lui pour manifester le grand drame de la rédemption. On distingue alors mieux l’appel adressé aux fidèles laïcs à vivre dans le temps et l’espace comme autant de marqueurs divins. Établis dans ce cadre par le Christ, « lumière véritable qui éclaire tout homme » dont ils tirent leur rayonnement, ils sont appelés par leur réponse joyeuse et fidèle à sanctifier leur époque et leurs lieux par le travail et le culte afin d’établir le règne de Dieu en diffractant sa lumière.
Mais saint Jean précise que cette venue de la lumière dans le monde n’est pas sans combat. La lumière est venue dans le monde…et les siens ne l’ont pas accueilli, nous dit Jean dans son prologue. Le mystère lumineux du Christ est aussi mystère ténébreux auquel les laïcs sont associés. Vous devez vous rendre « irréprochables et purs, enfants de Dieu sans tache au sein d’une génération dévoyée et pervertie, d’un monde où vous brillez comme des foyers de lumière », précise saint Paul. La vocation des fidèles consiste d’abord à ne pas s’attiédir pour devenir un corps crépusculaire. Ils sont aussi invités par le Seigneur à affronter le rejet des siens en ne trouvant sa lumière et son salut qu’en lui. Il enjoint enfin à ne recevoir humblement sa gloire que de Dieu pour ne pas être du tiers de ces étoiles filantes précipitées à terre par le dragon de l’Apocalypse.
À l’aube des temps nouveaux, avec le Christ, « lumière née de la lumière », les fidèles laïcs partagent une vocation incandescente. Comme les cieux, ils sont établis dans le monde pour raconter la gloire de Dieu (Ps 18), mais par un rayonnement jaillissant de leur âme de feu.
Montfort de Lassus+ prêtre
En vertu de leur baptême, les fidèles laïcs sont rendus participants de la charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ. C’est au milieu du monde qu’ils trouvent leur vocation à témoigner du Christ.
Témoigner du Christ: un droit et un devoir des fidèles laïcs
Les fidèles laïcs reçoivent leur part de la mission de l’Eglise. « Ils sont tenus par l’obligation et jouissent du droit, individuellement ou groupés en associations, de travailler à ce que le message divin du salut soit connu et reçu par tous les hommes et par toute la terre. » (Catéchisme de l’Église Catholique)
Le propre de l’état des laïcs étant de mener leur vie au milieu du monde et des affaires profanes, c’est là que se trouve leur apostolat propre : éclairer et orienter les réalités temporelles. Cela comprend notamment la famille, le travail, la culture, la science et la recherche, l’exercice des responsabilités sociales, économiques et politiques. « L’obligation de témoignage des laïcs dans ces différentes réalités est encore plus pressante lorsque ce n’est que par eux que les hommes peuvent entendre l’Évangile et connaître le Christ. »
Un témoignage par la vie et par la parole
« L’apostolat dans le milieu social s’efforce de pénétrer d’esprit chrétien la mentalité et les mœurs, les lois et les structures de la communauté où chacun vit. » (Concile Vatican II, décret sur l’apostolat des laïcs) Une forme privilégiée d’apostolat des laïcs est le témoignage de leur vie inspirée par la foi, l’espérance et la charité. Une autre dimension de l’apostolat des laïcs est le témoignage par la parole. » Chacun doit notamment pouvoir dire comment sa foi est à la racine de ses raisons d’agir. Cet apostolat de la parole est absolument nécessaire en certaines circonstances, mais Benoît XVI écrit aussi : « Le chrétien sait quand le temps est venu de parler de Dieu et quand il est juste de Le taire et de ne laisser parler que l’amour (…) Il sait que l’amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer. » (Deus Caritas est)
Quelques pistes pour témoigner du Christ dans nos vies
Parmi les nombreuses possibilités de témoignage des laïcs aujourd’hui, retenons, à travers l’enseignement de l’Église et notamment sa doctrine sociale, quelques lieux prioritaires :
La tâche est grande ! N’oublions pas, toutefois, que le témoignage auquel les chrétiens sont appelés naît d’un don de grâce. Ce don doit être reconnu, cultivé et porté à maturation par nous, mais c’est l’Esprit Saint qui, le premier, est à l’œuvre.
Jacques Vantherin + prêtre
Madeleine Delbrêl, témoin de la sainteté pour aujourd’hui
C’est le concile Vatican II qui a relayé d’une manière neuve et forte l’appel à la sainteté de tous les baptisés, « quels que soient leur état ou leur rang » (LG 5). Madeleine Delbrêl, qui suivit avec passion le déroulement du concile jusqu’à sa mort prématurée en 1964, en est une illustration vivante et magnifique.
Née à Mussidan en Dordogne en 1904, Madeleine, qui se déclarait athée à 17 ans, se convertit à 20 ans. En 1933, elle décide d’aller vivre dans la banlieue populaire de Paris et s’installe à Ivry-sur-Seine, « capitale » du communisme français. Assistante sociale à la mairie de cette ville, elle fait le choix de rester célibataire sans être religieuse pour, dit-elle, « prendre la simple route de l’Évangile » au milieu des gens ordinaires. L’Évangile, écrit-elle, c’est « le livre du Seigneur vivant, le livre du Seigneur à vivre ». Elle décide donc de vivre l’Évangile, et comme dans l’évangile on trouve les autres, Madeleine va vivre l’amour des autres dans les situations les plus ordinaires de la vie en s’investissant à fond dans les relations fraternelles.
Les premières phrases de son recueil Nous autres, gens des rues expriment de manière très claire les motivations qui l’inspirèrent dans son choix de vivre en laïque au milieu de monde l’idéal évangélique de la sainteté : « Il y a des lieux où souffle l’Esprit, mais il y a un Esprit qui souffle en tous lieux. Il y a des gens que Dieu prend et met à part. Il y en a d’autres qu’il laisse dans la masse, qu’il ne retire pas du monde. (…) Nous autres, gens de la rue, croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté. Nous croyons que rien de nécessaire ne nous y manque, car si ce nécessaire nous manquait, Dieu nous l’aurait déjà donné ». Que Dieu soit béni de nous l’avoir donné pour modèle.
+ Mgr Thierry Scherrer, évêque de Laval
Quand nous parlons des chrétiens comme témoins du Christ, nous pensons souvent au témoignage vers l’extérieur, vers ceux qui sont loin de l’Eglise. Cela ne doit pas nous faire oublier pour autant que la témoignage commence tout près de nous, au coeur de nos familles. Témoignage d’une mère de famille, qui cherche à témoigner du Christ ressuscité dans sa vie.
« De cette grotte, je vous lance un appel spécial à vous les femmes, il revient d’être sentinelles de l’Invisible, être dans la société actuelle témoin des valeurs essentielles qui ne peuvent se percevoir qu’avec les yeux du cœur… » L’appel de St Jean-Paul II, à Lourdes le 15 Aout 2004, retentit encore en mon âme. Ma réponse: aimer et me donner à mes proches afin d’être un témoin vivant du Christ.
Je témoigne du Christ en Le laissant vivre en moi pour répandre son Amour glorieux. Ma relation à Dieu est donc source de toutes mes relations. Mon mari et mes enfants savent que ma prière fait partie de mon emploi du temps et ne sont plus étonnés de me savoir à l’écart dans ma chambre. C’est en creusant mon désir intérieur et en demandant à Dieu de me combler, qu’avec sa grâce, je peux imiter le Christ, modèle suprême du Don de soi, et aimer d’un plus grand amour.
« Ce que tu as fait à ces petits, c’est à moi que tu l’as fait. » Mt 25, 40. Tous ces petits gestes du quotidien, ces secrets inspirés de l’Esprit pour être une petite lumière de l’amour de Dieu, témoignent de l’Invisible. Je n’hésite pas à dire ce que le Christ m’a inspiré. Une fois, j’ai dit à mon mari, « ce soir, à l’adoration, Jésus m’a fait comprendre qu’Il prenait vraiment soin de toi et que je devais Lui faire confiance ! » Aussi, je rappelle à mes enfants qu’ils m’ont été confiés par Notre Père et qu’Il me donne les bonnes idées pour prendre soin d’eux et Le faire connaitre. C’est en me donnant à ma famille, fidèlement, que je me donne à Dieu, à sa suite, et dans tous ces petits gestes offerts, je vis pour le Christ.
Enfin, lorsque nous aimons, nous avons envie d’en parler, de partager et faire connaître cette personne aimée. Alors, par exemple, le Christ m’a tout simplement poussée à ouvrir ma maison le lundi matin pour partager un café (« Café Jésus »), une lectio divina et des intentions de prières.
En méditant le mystère de la Ste Trinité, nous comprenons que l’Esprit Saint, c’est l’Amour. Comme l’Esprit Saint lie le Père et le Fils, l’Esprit Saint lie une famille et diffuse cet Amour qui s’incarne. Alors, le plus beau témoignage de sa foi, n’est-ce pas d’aimer les siens jusqu’à leur donner sa vie ? N’est-ce pas laisser sa famille être un petit tabernacle de la Ste Trinité pour devenir une présence accueillante? Pourquoi ne pas profiter de cette rentrée pour chercher à être d’authentiques témoins lumineux, que nous puissions donner envie de gouter à l’Amour de Dieu et parler de Jésus plus simplement au quotidien.
Elisabeth Ranvier
Comment ne pas séparer sa vie de voir et son exigence professionnel? Philippe Rodet, entrepreneur, nous propose quelques pistes pour agir pleinement en chrétien au coeur des structures d’une entreprise.
Lorsque l’entreprise traverse une période compliquée, on est souvent tenté d’agir sur son organisation. Or, dans le contexte actuel, le changement d’organisation va venir ajouter des contraintes, majorer le niveau de stress, lequel va rendre la motivation difficile, altérer la créativité et fragiliser la cohésion des équipes. On aura donc des collaborateurs en moins bonne santé et des performances en berne.
Et si, en tant que chrétiens, on décidait d’agir sur les comportements ?
A l’image des « antibiotiques curiaux » présentés par Sa Sainteté le Pape François dans son discours du 21 décembre 2015, il existerait dans l’entreprise des « antibiotiques entrepreneuriaux » aptes à protéger la santé, à améliorer la performance et parfois même à tendre vers… le bonheur.
Ces « antibiotiques entrepreneuriaux » ont la caractéristique d’influer sur une composante, humaine par excellence, les émotions.
Certains « antibiotiques » sont en mesure d’augmenter les émotions positives à l’image du sens, du juste niveau des objectifs, de l’autonomie, des encouragements, de la gratitude…
D’autres sont aptes à diminuer les émotions négatives. On pourrait citer, là, le sentiment de justice qui vient tamponner l’impression d’injustice, la considération qui vent annihiler le mépris, la cohérence qui effondre l’incohérence, la capacité à prendre soin qui compense le manque d’empathie, le pardon qui aide à reconnaitre ses maladresses…
Mais l’efficacité du traitement est-elle prouvée ?
Plusieurs études montrent que si l’on augmente les émotions positives et si l’on diminue les émotions négatives, on va favoriser la sécrétion de deux hormones : l’ocytocine et les endorphines. L’ocytocine diminue le niveau de stress, facilite la cohésion et renforce la créativité. Quant aux endorphines, elles vont induire la sécrétion de dopamine, l’hormone de la motivation et du plaisir, qui cultivera l’envie et incitera à la reproduction des comportements, contribuant à les rendre contagieux.
Des changements de comportements à la contagion de la bienveillance…
Si les dirigeants d’entreprise, forts d’un humanisme chrétien, s’engageaient dans ce vaste changement de comportement, ils permettraient de faire émerger une véritable contagion de la bienveillance, une bienveillance qui rime avec exigence tout en permettant de tendre vers l’excellence.
Philippe Rodet
Deux chrétiens évoquent pour nous les joies et les peines, les succès et les échecs de évangélisation au travail. Un défi qui invite sans cesse à se remettre en cause pour entrer toujours davantage dans sa vocation de disciple. Témoignages dans le monde de l’entreprise et dans l’enseignements.
Evangéliser, c’est l’inverse de l’exigence professionnelle: on n’est comptable que des moyens, mais jamais des résultats. Et c’est reposant … Vas y toi, fais le chrétien, évangile! Ok, mais le théâtre, très peu pour moi, je ferai de l’apostolat comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.
D’abord commencer par faire en sorte qu’il n’y ait aucun doute possible sur ma foi. Il serait absurde qu’on le découvre le jour de mon enterrement. Comment le faire savoir ? En envoyant un mail à tous en copie cachée ? En ponctuant mes phrases d’une sentence « en temps que catholique, je… » ? Non. Sûrement pas. Il suffit juste de ne rien dissimuler. Qu’as-tu fait dimanche matin ? Que font tes enfants cet été ? Je ne vais tout de même pas dire que j’ai fait du jogging et que j’ai envoyé mes enfants en colonie ! Pourquoi y aurait-il des discussions que je réserverais à ma communauté et dont je priverais mes collègues ? Maintenant que c’est un secret pour personne, l’apostolat vient de commencer. On saura venir me trouver en cas d’urgence existentielle…
D’abord commencer par faire en sorte qu’il n’y ait aucun doute possible sur ma foi. Il serait absurde qu’on le découvre le jour de mon enterrement. Comment le faire savoir ? En envoyant un mail à tous en copie cachée ? En ponctuant mes phrases d’une sentence « en temps que catholique, je… » ? Non. Sûrement pas. Il suffit juste de ne rien dissimuler. Qu’as-tu fait dimanche matin ? Que font tes enfants cet été ? Je ne vais tout de même pas dire que j’ai fait du jogging et que j’ai envoyé mes enfants en colonie ! Pourquoi y aurait-il des discussions que je réserverais à ma communauté et dont je priverais mes collègues ? Maintenant que c’est un secret pour personne, l’apostolat vient de commencer. On saura venir me trouver en cas d’urgence existentielle…
Et puis j’ai des amis au travail. Je ne vais pas aller à la cantonade dire à des gens : « Amen, Jésus t’aime », ils seraient en droit de me répondre, « et toi m’aimes –tu ? ». Je parlerai de Jésus d’abord à tous ceux que j’aime. Il serait étrange qu’arrivant au ciel, ils me disent : et pourquoi tu ne m’en as jamais parlé. Et puis il y a cette douce sensation d’être hors la loi, de mélanger des genres. C’est interdit de faire du prosélytisme sur le lieu du travail qui plus est au sein d’une relation hiérarchique. Je m’en fiche, mon vrai patron n’est pas celui que vous croyez ! Une chose en entraînant une autre, une discussion faisant émerger un peu d’appétence religieuse chez tel ou tel ami, on décide un rituel, une fois par semaine, on se fait lecture d’évangile et dîner charcuterie.
Ensuite, voilà que je parle avec autorité. Il faut croire à l’efficacité du sacrement de confirmation. Nous pouvons parler avec autorité. La dialectique doit disparaître au profit de la parole de vérité dont nous sommes dépositaires. Et cela fait tellement de bien dans une entreprise rongée par les processus de parler avec autorité. Le sacrement agit plus efficacement qu’une délégation de pouvoir ! Je ne cherche pas à convaincre les gens d’adhérer à l’Eglise catholique, je ne cherche pas non plus à les convaincre de l’existence de Dieu. La foi n’est pas une opinion. Le surnaturel se passe de la suffisance de nos raisonnements. L’enjeu est seulement de réveiller ce désir de nous relier à l’invisible, ce sentiment religieux qui précède tout mysticisme.
J’aurais du commencer par me convertir… Si seulement j’étais réconcilié avec Dieu, j’aurais sans doute davantage de fruits… Tant pis, je ne suis qu’un passeur, c’est déjà ça.
Donc pas si difficile… Faire de l’apostolat dans le monde du travail, ce n’est pas si difficile, pas plus qu’ailleurs, tout autant qu’ailleurs, aussi difficile qu’exister…
Rodolphe Dupuis
Notre baptême nous oblige à être apôtres, et pas seulement disciples, notamment dans le lieu où nous passons l’essentiel de notre temps: le travail. Cependant, nos petites lâchetés et notre amour-propre nous empêchent souvent d’y annoncer Jésus et son amour pour chacun.
Pas facile d’être catholique auprès de collègues, pour qui la foi chrétienne relève, au choix, d’une pratique bourgeoise néo-réactionnaire, d’un carcan moral totalement suranné, ou bien d’une religiosité incompréhensible. Notamment dans le milieu de l’éducation nationale. S’il faut d’abord se faire connaître et apprécier, il est ensuite possible de lâcher quelques indices. A une collègue qui appartenait à une chorale, j’ai répondu que je chantais aussi dans ma paroisse. A un prof de maths qui nous racontait qu’il avait rencontré un curé lui offrant un branchage, et lui proposant de venir à l’église dimanche, j’ai expliqué que c’était les Rameaux.
Maigre bilan, évidemment, mais les occasions sont rares, et il est difficile de parler de l’Evangile entre le dernier numéro de Charlie Hebdo et l’abondante propagande syndicale qui tapisse les murs d’une salle des profs.
S’il n’est pas toujours aisé de s’afficher comme chrétien, il est en revanche très facile de travailler en chrétien : échanger une heure pour arranger une collègue, ne pas maugréer systématiquement contre la hiérarchie, corriger davantage de copies d’examens blancs que le quota minimal, rendre service sans compter ses heures, refuser les conversations malveillantes, oser reconnaître humblement ses erreurs …
Chaque jour, dans n’importe quel métier, il est possible de mettre en pratique la Parole, d’être serviteur, humble, mais charitable.
Envers les élèves, la liberté de l’éducateur est plus ample. Chacun peut orienter le contenu de sa leçon à sa guise, pour sortir de l’idéologie pédagogique, étudier de beaux textes, sensibiliser à la culture patrimoniale, à l’héritage de la civilisation chrétienne, et au contenu dogmatique de la foi. (Il suffit de pouvoir supporter les sarcasmes moqueurs d’un inspecteur reprochant vertement à l’enseignante d’avoir prononcé la phrase « Chez les chrétiens, Jésus est Dieu » dans une leçon consacrée à la place de l’Eglise dans la société médiévale occidentale. (à raison d’une inspection tous les 7 ans en moyenne, le tarif est largement supportable, et donne plutôt envie de persévérer…))
Cependant, dans la salle de classe et dans les couloirs, l’enseignant ne doit pas seulement instruire, il doit aussi éduquer. Le collège est baigné dans un climat de violence et de néo-pornographie, où les insultes les plus choquantes et les allusions les plus obscènes sont courantes. Obliger un élève à s’excuser auprès d’un camarade, sanctionner un vocabulaire ordurier, prévenir les parents, expliquer le respect de soi et des autres etc… sont des exigences de chaque instant, qui relèvent de l’incontournable « Aimez-vous les uns les autres ».
Enfin, de nombreux élèves sont musulmans pratiquants. Avoir lu le Coran est une nécessité vitale pour sa crédibilité d’enseignant! Cela permet de corriger certaines affirmations péremptoires, de répondre aussi aux questions que tous se posent sur le contenu des différentes religions, d’affirmer les vérités de l’enseignement de l’Eglise avec souplesse et sans aucune honte, sans pour autant les brandir comme des croyances personnelles.
(Par exemple, à un jeune musulman qui me proposait d’aller prier avec lui, j’ai répondu enthousiaste : « Avec plaisir, vous me direz dans quelle église ! ». Face à sa protestation, nous avons convenu de prier l’un pour l’autre chacun de notre côté. Toute la classe a compris qui j’étais, sans que j’aie pour autant piétiné l’exigence de neutralité exigée par mon statut, ni blessé ou moqué sa croyance.)
C’est aussi ce que nous demande Jésus. En plus de tout le reste.
Chaque matin en franchissant la porte du travail, redisons inlassablement : « Venez Esprit saint ! »
Une enseignante
Lectio divina pour Pâques 2018