Revêtir le Christ
Don Bruno Attuyt
Les deux charités de Martin, celle du manteau partagé et celle de l’eucharistie résument ce que nous essayons de vivre pour nous préparer à célébrer le mystère pascal.
« Nul n’a de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’il aime »
C’est le grand témoignage de la Charité divine que le Christ vient donner au monde par son Mystère pascal. Ce mystère, le baptême nous en a rendu solidaires. Le temps du carême est l’occasion pour nous de vivre intensément cette communauté de destin avec Jésus. A travers ce chemin de conversion que l’Eglise nous donne, c’est une rencontre qui nous est proposée avec l’amour que Christ nous donne de voir particulièrement dans l’eucharistie et dans le sacrement du pauvre. Rencontre où le dialogue s’exprime dans le langage de la prière, de la pénitence et du partage. Saint Martin dont nous invoquons le patronage sur notre communauté, en est, par sa vie, l’illustration. Les deux charités de Martin, celle du manteau partagé et celle de l’eucharistie résument ce que nous essayons de vivre pour nous préparer à célébrer le mystère pascal.
« Martin encore catéchumène a revêtu le Christ de la moitié de son manteau ».
L’épisode le plus connu est celui du pauvre d’Amiens dont la vision bouleverse Martin et le conduit à partager son manteau avec le frère que ses yeux voient pauvre et misérable et que son cœur pressent comme la rencontre avec le Christ désiré. « Ce que vous avez fait à l’un de ses petits, c’est à moi que vous l’avez fait » dira le Christ à ses disciples. Trois siècles plus tard cette parole retentit à nouveau : « Martin, encore catéchumène m’a revêtu de son manteau ». Par une moitié de manteau, il a vêtu entièrement le Christ. Pourquoi la moitié seulement ? Le paquetage militaire appartient pour moitié au soldat et pour moitié à l’Empire dont il est le soldat. Martin dans sa justice ne veut léser ni l’empereur ni le pauvre, il donne ce qui lui appartient en propre. Consacrés par le baptême, nous demeurons des catéchumènes de la gloire éternelle. Sollicité au don total par nos frères, nous savons qu’il y a une part de nous mêmes que nous ne pouvons donner sans perdre notre identité, car elle ne nous appartient pas. Elle est propriété de notre Empereur divin. Notre charité est invitée alors à se manifester comme un glaive tranchant qui d’une part, sauvegarde cette part de bien qui n’est pas nôtre (la part de manteau gardée) et, d’autre part, manifeste le don sans condition de ce qui nous est propre (la part de manteau donnée).
« En revêtant le pauvre, Martin revêt le Christ.
En revêtant le pauvre, Martin est revêtu par le Christ. »
Pétrir le pain et presser le vin par la force de la charité
Ce geste n’est pas occasionnel comme en témoigne un second épisode de la vie de Martin. Le pain et le vin que saint Martin, devenu évêque, offre au Sacrifice de la messe sont pétri et vinifié par sa sollicitude pour un pauvre avec la défroque duquel il échangea ses habits épiscopaux. Le Christ lui rend cette compassion par la manifestation de Sa charité : le globe de feu au-dessus de sa tête alors qu’il débute la messe révèle qu’il célèbre dans l’eucharistie ce qu’il vit et qu’il vit ce qu’il célèbre. Dans l’enracinement eucharistique, la charité de Martin est totalement empreinte de la lumière divine.
En revêtant le pauvre, Martin revêt le Christ. En revêtant le pauvre, Martin est revêtu par le Christ.
La vie des saints ne nous est pas donnée pour susciter notre seule admiration : elle nous enseigne que l’Evangile doit s’inscrire dans les pages de notre vie. Les saints nous en montrent la possibilité en tous temps et en tous lieux. Durant le carême et plus particulièrement pendant le triduum pascal, nous ne pouvons contempler le sérieux avec lequel le Père veut nous sauver et nous associer à sa gloire dans le Christ sans le prendre lui-même au sérieux. Quelle gloire du Ressuscité peut naître dans notre vie, si comme pour Martin, notre vie n’est pas un Jeudi Saint qui nous prépare et anticipe notre propre Pâque tant dans son versant de mort que dans son versant d’éternité bienheureuse? Il s’agit de faire mémoire du Christ, au sens le plus concret, dans la liaison intime de la célébration de l’eucharistie où nous communions à la gloire du Christ ressuscité avec le lavement des pieds où nous sommes identifiés au Serviteur de Dieu qui donne sa vie pour le salut du monde. Le Verbe s’est fait chair afin que notre chair se fasse Verbe, avons-nous médité à Noël. Le mystère de Pâques, nous révèle le sens de notre vie chrétienne : une vie signe du Verbe glorieux parce que passionnée pour Dieu, par, avec et dans le Christ. En un mot : une vie tournée vers le Père et vers notre prochain.
+ Don Bruno Attuyt