La charité eucharistique de St Martin
Don Bruno Attuyt
Le récit de la messe de saint Martin nous est familier. Le globe de feu au dessus de la tête du saint, nous livre un message explicite. La charité de Martin catéchumène est devenue d’autant plus flamboyante qu’elle s’enracina dans la liturgie eucharistique. Il célébrait ce qu’il vivait, il vivait ce qu’il célébrait.
« Martin encore catéchumène a revêtu le Christ de la moitié de son manteau ». C’est l’épisode le plus connu, celui du pauvre à la porte d’Amiens dont la vision bouleversa Martin et le conduisit à partager son manteau avec celui que ses yeux voyaient pauvre et misérable et que son cœur pressentait comme la rencontre avec le Christ désiré. « Ce que vous avez fait à l’un de ses petits qui sont miens, c’est à moi que vous l’avez fait » dira le Christ à ses disciples. Trois siècles plus tard cette parole retentira à nouveau : « Martin, encore catéchumène m’a revêtu de son manteau ».Par une moitié de manteau, il a vêtu entièrement le Christ. Pourquoi une moitié seulement ? Le paquetage militaire appartenait pour moitié au soldat et pour moitié à l’empire romain. Martin dans sa justice ne voulu léser ni l’empereur ni le pauvre, il a donné ce qui lui appartenait en propre. Consacrés par le baptême, nous demeurons, dans notre pèlerinage sur cette terre, des catéchumènes de la gloire éternelle. Souvent sollicité au don de nous même pour nos frères, nous savons qu’il y a une part de nous même que nous ne pouvons donner sans perdre notre identité et faillir à nos responsabilités, car elle ne nous appartient pas: elle est propriété de notre empereur divin. Notre charité, Parole de Dieu en acte, est invitée alors à se manifester comme un glaive tranchant qui d’une part, sauvegarde cette part de bien qui n’est pas nôtre (la part de manteau gardé), et, d’autre part, manifeste le don sans conditions ni retenu de ce qui nous est propre (la part de manteau donné). En revêtant le pauvre, Martin a revêtu le Christ, Martin s’est revêtu du Christ.
« Il célébrait ce qu‘il vivait, il vivait ce qu’il célébrait. »
Ce geste ne fut pas occasionnel chez Martin comme en témoigne un second épisode de sa vie rapporté par Galus dans les chroniques de Sulpice Sévère. Alors qu’il s’apprêtait à célébrer la messe, il est dérangé par un pauvre venant réclamer un vêtement chaud. Devant la mauvaise volonté du diacre qui tarde le lui apporter sur l’ordre de Martin, le saint évêque échange ses vêtements avec ceux du pauvre avant de revêtir les habits sacerdotaux. Durant la messe un globe de feu apparaît au dessus de sa tête remarquée uniquement par un moine, une femme et un servant d’autel. Le pain et le vin, qu’il offrait pour le Saint Sacrifice étaient pétri et vinifié dans son attention et sa sollicitude pour les pauvres, et le Christ le lui rendait par un accroissement de sa charité. La manifestation d’un globe de feu au-dessus de sa tête alors qu’il débutait la messe révèle que sa charité de catéchumène par son enracinement eucharistique de chrétien accompli n’est devenue que plus flamboyante. Il célébrait ce qu’il vivait, il vivait ce qu’il célébrait. En nous souvenant de l’évangile lu au cours de la messe en l’honneur de saint Martin, puissions-nous entendre le Christ nous dire : « J’étais nu et vous m’avez revêtu de la grâce par les sacrements dont vous vivez, j’avais faim et vous m’avez nourri de l’eucharistie à laquelle vous communiez, malade et vous m’avez soigné par votre renoncement et votre ascèse, prisonnier et vous m’avez visité de vos prières et de votre compassion. »
C’est bien cet enracinement spirituel eucharistique qui nous permet de découvrir et d’aller vers le Christ en allant vers le pauvre et le blessé de la vie, comme c’est notre charité vers les éprouvés qui nous fait recevoir au plus profond de notre âme la visite, la nourriture, l’abri, la vie que constitue l’eucharistie par laquelle le Christ nous unit à Lui. Martin a revêtu le Christ, Martin s’est revêtu du Christ.
Don Bruno Attuyt