« Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ! »
Lectio divina pour la Solennité de Noël Messe de minuit
Is.9, 1-6 Tit.2, 11-14 Lc.2, 1-14
Lectio divina pour la Solennité de Noël Messe de minuit
Is.9, 1-6 Tit.2, 11-14 Lc.2, 1-14
Mes chers amis, nous sommes toujours dans l’émerveillement de voir la diversité des âmes à la crèche : Joseph et Marie, les très saints et très chastes, puis les bergers, des pauvres sans grande instruction et sans même aucune existence sociale, simples et humbles sûrement ; et puis plus tard les rois mages…
Nous sommes émerveillés.
Mais il y a une raison encore plus forte de nous émerveiller : c’est de voir la diversité des âmes qui viennent célébrer l’Incarnation du Fils de Dieu : enfants du catéchisme célébrant la pastorale provençale ou la crèche vivante à la manière de St François d’Assise, grands-parents assistant traditionnellement à ce mémorial sacré de la naissance du Sauveur, les familles comme les plus jeunes venus de tous horizons…
Et si nos églises sont bondées, c’est encore la diversité qui est là. La diversité de nos âmes par rapport au Mystère unique que nous allons célébrer. Il y en a qui croient, il y en a qui doutent peut-être -ce n’est pas une honte : même les apôtres ont douté… Il y en a pour lesquels c’est la première fois qu’ils assistent avec les yeux ouverts par la foi à cette naissance de l’Enfant Sauveur. Il y en a pour lesquels c’est la nième fois… Il y en a qui vont découvrir, d’autres qui vont approfondir…
Tout cela pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas seulement devant une manifestation, une fête, celle que vous allez célébrer en famille qui rassemble certainement, mais aussi qui uniformise…
Mais nous sommes devant quelque chose de beaucoup plus important qui nous transcende : dans la Liturgie, nous sommes présents devant Dieu, devant l’Enfant de la crèche.
Nous le sommes d’autant plus ce soir (et c’est pour cela que chacun fait l’effort de venir et de veiller avec toute l’Eglise pour célébrer l’Enfant Jésus), que nous avons conscience que cet instant de Noël est le début de notre liturgie humaine. C’est le point de départ, la chiquenaude initiale, le ‘big-bang’ du culte.
La Liturgie nous le savons c’est servir : en grec cela veut dire servir Dieu. Et cela veut donc dire aussi être en présence de Dieu.
C’est pour cette raison que c’est extraordinaire de nous voir tous ici présents, totalement différents, avec nos limites et nos vertus, nos richesses, nos grandeurs, nos vieillissements, nos faiblesses, nos lâchetés, nous sommes tous présents… Présents devant Dieu, présents devant ce Dieu qui a commencé justement la grande Liturgie sur la terre au moment de l’Incarnation, au moment où Il s’est rendu présent, où Il s’est rendu visible nous dira saint Jean, où nous avons pu Le palper, Le toucher à travers les apôtres ! « Ce que nous avons touché du Verbe de vie, nous vous l’annonçons… »
Oui, Dieu s’est rendu présent sur notre terre pour que nous puissions être présents à Lui c’est à dire Le servir ! Ainsi les fidèles laïcs font autant de liturgie que les prêtres célébrants parce qu’ils sont autant qu’eux présents à Lui.
Pas tellement présents au Jésus en plâtre qu’à Celui qui, depuis l’Incarnation, depuis qu’Il a pris la race humaine, est dans le cœur de chacun.
Chacun d’entre nous a le Christ en lui.
Et aujourd’hui que faisons-nous ? Nous célébrons le début de la présence de l’un à l’autre, le début des fiançailles ! Non seulement de Dieu avec l’humanité : cela reste abstrait ; mais les fiançailles de Dieu avec chacun de nous : homme et femme, enfants, prêtres… Avec chacun qu’Il a appelé par son nom le jour du Baptême : Jean, Paul, Sylvie, Anne, Pierre, Jacques…
C’est un moment extraordinaire, c’est un moment de charité, c’est un moment de partage que la fête, elle, ne donne pas. La fête uniformise, la fête avec le tambourin, la fête avec la dinde : nous mangeons tous la même chose, nous écoutons la même musique… Tandis que maintenant la Liturgie se déroule vraiment dans la maison du Père, là où il y a mille demeures car chacun de nous est unique pour Dieu !
Le regard que Jacques porte sur Dieu n’est pas le regard que porte Pierre ou Paul. Cette présence est personnelle et est finalement, suivant l’honnêteté de notre cœur, aussi belle chez l’un que chez l’autre et aussi capable de servir Dieu.
Dire : Voilà Seigneur j’arrive, je viens Te voir comme le berger, ou comme Marie, ou comme Joseph, peu importe, mais je suis là devant Toi et je vais Te servir. Je vais essayer d’entrer avec Toi en ce Noël 2021, comme tous ceux-là sont entrés avec Toi dans le grand service de Dieu, il y a 2000 ans, dans cette présence de l’Un à l’autre, cette présence de Cœur à cœur : Dieu et l’homme, l’homme et Dieu…
Cette relation nécessite bien entendu la confiance. Nous ne pouvons être présent à quelqu’un que si nous avons confiance en lui. Il ne s’agit pas bien entendu d’une présence physique, être comme une bûche sur un banc avant de manger la bûche de Noël… Il s’agit d’une présence d’esprit !
La grande liturgie de Dieu, cette relation de présence à présence qui commence aujourd’hui le jour de Noël est effectivement une relation de confiance que le Christ veut provoquer avec l’homme. Il nous demande notre confiance et pour cela Il va nous en donner la force ! Cela ne vient pas de nous : Il va nous donner la force d’être confiants.
Nous savons bien que ce n’est pas toujours facile d’être confiants. Vous le savez bien les enfants, les parents, les amis, les conjoints : c’est difficile d’avoir toujours une confiance inébranlable en quelqu’un ; cela demande une sortie de soi, cela demande comme un saut, un pari…
Regardons d’ailleurs : pourquoi Jésus est-Il venu à nous comme un enfant ? Pourquoi Dieu s’est-Il incarné enfant alors qu’Il veut sauver l’homme ? Parce que justement pour Dieu l’homme doit être un enfant. C’est à dire qu’il doit être quelqu’un de confiant : l’enfant c’est celui qui a confiance ! Dieu désire que nous ayons confiance en Lui. Dieu désire que chacun de nous ait confiance en Sa paternité !
Oui, Dieu désire que j’aie confiance en Lui, en ce mystère de l’Incarnation, en cette grande liturgie qui commence, en cette grande nouveauté de l’histoire humaine.
Jusqu’à présent Dieu avait parlé par les prophètes, Dieu s’était caché dans les nuages, dans le tonnerre, la foudre du Sinaï et la brise légère de l’Horeb. Maintenant Il est là : « Il est au milieu de vous et vous ne le connaissez pas » dira saint Jean.
Il demande que j’entre en confiance, que je fasse confiance dans ce Mystère de l’Incarnation, Dieu et homme, « Dieu-parmi-nous », l’Emmanuel.
Et qu’est-ce que cela implique cette Incarnation de Dieu ?
D’abord une révélation magnifique sur l’humilité de Dieu. Quelle leçon pour nous ! Nous qui sommes toujours prêts à nous ajouter des galons, des étoiles, des médailles… Lui, Il vient comme un enfant, c’est-à-dire qu’Il nous prend pour des adultes, pour des hommes responsables, des femmes responsables. Il se confie à nous puisqu’Il est enfant et qu’Il vient chez nous, nous les hommes !
Il fait ce geste : c’est Lui le premier qui entre dans la relation de confiance ! « Il nous a aimés le premier … » nous dit saint Jean. Rappelez-vous, les gens mariés, la première fois où vous vous êtes dit l’un à l’autre, l’une à l’autre : « j’ai confiance, je me fiance à toi, je t’aime… »
Pourquoi joue-t-Il le jeu de la confiance ?
Pour que nous ne soyons plus seuls dans notre vie ! C’est le but du mariage : le soutien mutuel, se soutenir entre l’homme et la femme. Pour que nous ne soyons plus seuls, à jamais !
Depuis l’Incarnation personne d’entre nous, aucun homme n’est seul. Seulement nous n’en avons pas toujours conscience malheureusement. D’où les désespoirs, les souffrances, les croix, les solitudes : parce que nous n’arrivons plus à voir la présence de Dieu en nous. Or, si Dieu s’est fait homme, c’est bien pour que nous ne soyons jamais seuls…
Mais Il nous laisse libres : puisque c’est un enfant Il n’impose pas Sa présence, Il ne gêne pas. Il reste dans le tréfonds de notre âme. Il est là, « à la porte de notre âme » dira Jean. Il est là, prêt à entrer si nous ouvrons, mais Il ne nous oblige pas.
Mais dès que nous L’appelons, dès que nous disons ce « oui » de la confiance, Il devient pour nous le compagnon lumineux qui transcende notre vie, lumineux et chaleureux, humble et gratuit, charitable. « Allez, donne-moi la main, viens vermisseau d’Israël, je te conduis sur la route… » disait Dieu à Jacob.
Jésus devient notre pèlerin d’Emmaüs si nous disons le « oui » de la confiance. C’est pour cela que Dieu s’est incarné, pour être dans nos vies.
Être chrétien ce n’est pas seulement venir à l’église, c’est avoir une vie spirituelle c’est-à-dire avoir une vie avec le Christ. Être deux : Lui et moi, moi et Lui. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » certes, mais il y a Lui et moi, Lui en moi. Comme dans le mariage encore une fois où il y a l’homme et la femme, il y a cette altérité qui doit subsister pour qu’il y ait amour : il y a le Christ et il y a moi.
Je dirais même : non seulement Il vient pour que nous ne soyons jamais seuls, mais Il vient pour que nous L’utilisions.
Nous touchons là au fin fond du mystère de l’abaissement de Dieu que nous rejoindrons à Pâques avec la Croix. Dieu, par Son Fils Jésus, se fait instrument. Comme tel, Il ne s’impose pas mais se met complètement à notre disposition. Il met simplement Sa « forme » et Sa force à notre service. Il est à notre dévotion.
Jésus est vraiment l’instrument du Père. Et la forme de Jésus c’est la charité. Ah ! Nous sommes loin de notre monde où rien n’est gratuit. Pensons-y dans cette nuit de Noël : descendons en nous-mêmes, fermons les yeux et descendons en apnée dans notre profondeur intérieure pour y trouver Celui qui est en relation de confiance avec nous, Celui qui n’attend que notre oui.
Regardons Le, utilisons Le dans notre vie quotidienne. Nous sommes faits pour l’amour : nous avons été créés par amour et nous sommes faits pour aimer ! Et Lui est l’Amour parfait ! Il est donc l’instrument parfaitement adapté pour nous aider dans notre vie à aimer nos enfants, les parents, les amis, les camarades, les frères et les sœurs, notre prochain quel qu’il soit…
Et lorsque nous nous servons du Christ, lorsque nous avons cette simplicité de Le prendre comme instrument, lorsque nous utilisons Sa charité, nous ne faisons rien d’autre que de poursuivre Son mystère d’Incarnation parce que nous rendons public, nous manifestons au monde non seulement le Christ mais Son Amour ; c’est-à-dire non seulement le Christ mais le Père et l’Amour que le Père nous porte.
Dans cette ligne, il serait déjà bien que cette communion eucharistique de Noël, nous la fassions chacun les uns pour les autres. Nous sommes communauté : alors débordons de notre cœur ! Ne pensons pas seulement à nous, pensons au voisin, à la voisine, peu importe son nom… Même si nous ne le ou la connaissons pas : que chacun communie pour l’autre, pour qu’il -ou elle- prenne conscience que nous, chrétiens croyants, nous sommes appelés à poursuivre l’œuvre de Marie c’est-à-dire à donner le Christ au monde, à poursuivre cette incarnation, à la rendre réelle, crédible, actuelle.
Alors ceux qui ne croient pas encore, ceux qui n’ont pas été touchés par la Bonne Nouvelle, en voyant notre comportement, pourront voir le Christ et, en voyant le Christ, pourront voir le Père ; en voyant notre charité ils remonteront à la charité du Christ et en remontant à la charité du Christ ils remonteront à la charité de Dieu.
Alors ils pourront s’interroger : « Mais si, finalement, nous étions vraiment aimés de Dieu ? »
Nous savons bien, chers amis, qu’il y a de la solitude, de la souffrance et du désespoir dans notre monde… Et qu’en plus des mesures matérielles pratiques et concrètes que les autorités politiques peuvent apporter, notre rôle à nous en tant qu’hommes c’est-à-dire ayant un cœur qui bat, c’est justement de manifester à ceux qui nous entourent cette présence de ce Dieu qui s’incarne pour manifester Son Amour, pour dire à l’homme donc à chacun d’entre nous : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ! », oui toi !
Vous avez du prix aux yeux de Dieu et Il vous aime !
Pour que je puisse le dire à mon prochain de la part de Dieu, il faut que j’en sois le témoin, que je le vive moi-même ! C’est à cela que je vous invite en ce Noël 2021 ! Nous engager à pouvoir dire à quelqu’un, pouvoir penser de quelqu’un, quelqu’un avec qui nous n’avons peut-être pas beaucoup d’atomes crochus, quelqu’un qui nous a fait du mal, un adversaire, ou quelqu’un qui est indifférent à notre personne, peu importe, mais que nous puissions, avec la charité du Christ en nous, lui dire, intérieurement ou en le regardant dans les yeux, sans faux-semblants : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime, non pas parce que tu es ce que tu es et que je suis ce que je suis, mais parce que nous sommes tous les deux enfants de Dieu ! »
Mes bien chers amis, si nous prenions cette résolution et si nous arrivions à l’accomplir ne serait-ce que pour une personne durant le temps de Noël qui suit cette fête, ce serait merveilleux, ce serait le miracle de l’Incarnation qui continuerait, ce serait l’Incarnation rendue actuelle en l’an 2021. C’est la grâce que je nous souhaite.
Mgr Jean-Marie Le Gall
Communauté Saint Martin
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