« Des fleuves d’eau vive couleront de son sein… »
Ce corps offert que nous allons embrasser tout à l’heure sur la Croix, ce corps qui parle, même dans le silence de la mort, ce corps qui verse telle et telle goutte d’eau sur notre âme sèche, pour la faire grandir, revivre jusqu’à la porter à maturité tout au tong de nos années, pour la mener au fleurissement, pour la lancer dans l’éternité, pour l’accompagner dans son voyage ultime, c’est le corps que nous regardons lorsque nous sommes en désespérance, nous tournant vers le Crucifix c’est-à-dire la Croix et le corps, le corps calqué sur la Croix, la lumière au-dessus de l’ ombre…
Oui ce corps est vraiment le corps de la Lumière de la Vie. C’est le corps de la Lumière de la Vie par l’eau qui jaillit du cœur transpercé par la lance et qui va arroser le jardin de la Résurrection, qui va arroser le monde et l’irriguer pour en faire comme un nouvel Éden.
« Quiconque est de la vérité écoute ma voix ! »
Cette eau lumineuse nous rappelle les larmes de Pierre. Et pourquoi cette eau nous rappelle-t-elle les larmes de Pierre en lesquelles sont rassemblés, contenus tous les repentirs de tous les hommes de tous les temps : ceux des plus grands pécheurs comme ceux des plus grands saints, ceux des condamnés à mort, ceux de saint Augustin, de la Madeleine ou de Matthieu… pourquoi ?
Parce que cette eau qui sort du cœur appelle ces larmes !
Regardons et suivons Pierre qui accompagne le Maître tout en Le laissant dans ces quelques heures : pourquoi pleure-t-il tout à coup ? N’a-t-il pas posé la question comme Judas hier à la Cène : « L’un de vous va me livrer. -Est-ce moi Seigneur ? » Et le Christ aurait pu dire oui…
Comme Judas sortant du Cénacle, Pierre n’est-il pas sorti de la maison de Caïphe comme pour fuir, à l’instar de Judas, la proximité du Maître ?
N’a-t-il pas finalement trahi comme Judas ? « Non je ne connais pas cet homme » au moment même où Jésus déclare : « Je suis venu pour la vérité, quiconque est de la vérité écoute ma voix » Et à ce moment-là Pierre sort et l’abandonne…
« Ceci est mon corps livré pour vos péchés
Qu’est-ce qui a pu faire changer le cœur de Pierre ? Qu’est-ce qui a pu le convertir, le faire passer du péché au repentir, des ténèbres à la lumière, de la trahison à l’oblation ?
La mémoire bien sûr ! La mémoire de paroles bien précises que Pierre venait d’entendre il y a quelques heures à peine, au Cénacle : « Voici mon corps livré pour les péchés. » Et Pierre comprend…
Pierre est touché, non par ce que les théologiens décrivent à juste raison comme l’Amour infini de Dieu : l’Éternel, le Tout-Puissant, l’Amour… Pierre n’est pas un théologien, Pierre est un pêcheur, autrement dit et sans mépris, un rustaud, qu’on reconnaît à son accent.
Ce qui touche Pierre c’est l’application concrète de cet Amour de Jésus à sa personne parce qu’il comprend que lorsque Jésus dit ces paroles : « Ceci est mon corps livré pour vos péchés », Jésus sait que Pierre va Le livrer, que Pierre va Le trahir. Malgré cela, Jésus sachant cette prochaine trahison de Pierre, et le regardant dans les yeux, pendant qu’Il donne la bouchée à Judas, dit : « Voici, ceci est mon corps livré pour les péchés du monde ! »
Voilà l’application concrète sur la personne de Pierre, sur son cœur, sur son corps, sur son esprit, sur tout ce qu’il est de cet Amour du Seigneur qui l’aime, qui l’a aimé de toute éternité et qui l’aimera jusqu’à la fin ; qui l’aime dans sa vie, cette vie qu’il ne peut donc pas quitter puisque c’est là qu’il rencontre l’Amour de Jésus !
Alors que Judas justement, ne se souvenant pas de ces paroles bénies, va quitter la vie dans un geste de désespoir, Pierre ne peut pas la quitter parce qu’il sait que c’est là que se fait la rencontre ineffable de l’Amour, malgré les trahisons, avec les trahisons, au-delà des trahisons !
« Voici mon sang versé pour les péchés du monde. »
« Voici mon sang versé pour les péchés du monde. » Ces paroles, Pierre les a entendues, encore une fois, pas de son oreille de théologien, mais de son oreille de simple chrétien c’est-à-dire de compagnon du Christ. Pierre les a entendues, il a reçu, il a retenu, il a ensemencé, fécondé dans son cœur ces paroles que Judas, lui, a oubliées, que Judas n’a même pas entendues parce qu’il était déjà ailleurs, préoccupé par quelque chose, quelque souci, on ne sait pas… Il est passé à côté, comme nous tant de fois !
Et Pierre ayant ensemencé ces paroles dans son cœur fait jaillir des larmes qui ne le mènent pas au désespoir, au dégoût à la mort, mais qui l’amènent à la vraie Vie, cette Vie remplie de la tendresse du Maître. Et il entend déjà dans son cœur retentir les paroles de Jésus que nous entendrons bientôt, dans la lumière du matin de Pâques : « Pierre m’aimes-tu ? »
« Pierre m’aimes-tu ? »
Voyez-vous, Pierre pour cette conversion, pour ce retournement de lumière, n’avait en mémoire que les paroles de son Maître qu’il venait d’entendre. Nous, nous avons plus que les paroles, nous avons les faits ! Nous avons l’Acte, nous avons la Croix !
Nous avons la représentation de la Croix chaque dimanche dans l’Eucharistie pour nous appeler au repentir !
Pour nous appeler à la conversion du cœur.
Pour nous appeler à la joie de la miséricorde.
Pour nous appeler à entrer dans la Vie !
Pour nous appeler à mettre notre âme, dans laquelle sont présentes notre foi, notre espérance et notre charité, sous la Fontaine lumineuse de la Vie !
Mieux encore, nous avons : la foi même de Jésus au moment où Il meurt : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Sans oublier l’espérance de Jésus au moment où, du calvaire, Il surplombe Jérusalem : « Entre tes mains je remets mon esprit. »
Et bien plus encore : la charité de Jésus au moment où Il donne Sa vie pour tous les pécheurs du monde : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »