« Mère voici ton fils ! »
On pourrait se poser la question de savoir si ce n’est pas parce que le Père a confié l’homme à la femme, comme je viens de le rappeler, que le Christ s’est révélé de manière inégalée, en privilégiant la femme.
Lorsque nous relisons l’Évangile nous nous apercevons que le langage que Jésus tient aux hommes, la révélation qu’Il fait aux hommes tient en quelques mots si peu riches : « Suis-moi… », « Venez, et voyez… », « Venez, suivez-moi… » Pourtant c’est à Pierre, c’est à Matthieu, c’est à André, et à Jean que le Seigneur s’adresse !
Mais à la femme -que ce soit indirectement par l’ange Gabriel à Marie, ou que ce soit directement de Sa bouche à la Madeleine le jour de la Résurrection, et dès avant, dès maintenant, dès aujourd’hui à la Samaritaine, Jésus dévoile Son secret, à charge pour la femme de transmettre, d’engendrer spirituellement l’homme, de le féconder dans la foi ! C’est le rôle de Marie, notre Mère, bien entendu, nous le savons : « Mère voici ton fils, fils voici ta mère ! » Mais c’est aussi le rôle de Madeleine qui va avertir Pierre le jour de la Résurrection ; et dès aujourd’hui c’est le rôle de la Samaritaine qui retourne au village et y informe ses concitoyens de la rencontre qu’elle vient de faire !
C’est la femme qui féconde l’homme spirituellement.
Miracle ! Ou plus exactement mystère ! De même que Pierre, croyant en Madeleine se précipite avec Jean pour voir le tombeau vide, de même les Samaritains (qui étaient des gens plutôt durs et rudes) suivent la femme pour voir Celui qu’elle a rencontré qui est un Juif.
Nous sommes en face du mystère de l’enfantement spirituel de l’homme par la femme, ce mystère qui s’enracine très certainement dans cette Création dont j’ai rappelé la phase initiale.
Cela dévoile, bien au-delà de tous les féminismes sociologiques, historiques, politiques, le rôle et la fonction matricielle d’engendrement de la femme : féconder l’homme ! C’est vrai que l’homme féconde la femme charnellement ; mais là, nous nous apercevons que c’est la femme qui féconde l’homme spirituellement : « Maintenant ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons ; nous l’avons entendu nous-mêmes… » disent les villageois à la Samaritaine…
Plus je suis petit, plus c’est beau pour Dieu que je Lui fasse confiance !
Ce mystère de la femme est d’autant plus grand, extraordinaire, inexplicable, d’autant plus merveilleux que cette femme est pécheresse, comme vous toutes et comme nous tous, les hommes !
Elle est dans son péché. C’est pourtant de cette femme -comme de Madeleine qui a été une femme de mauvaise vie- dont Jésus se sert pour enclencher de manière tout à fait extraordinaire la connaissance que l’homme va avoir du Fils de Dieu : « Je le suis moi qui te parle. »
Cette contradiction apparente entre le fait d’être témoin du Christ et d’être pécheur se résout en fait, lorsqu’on se retourne vers Saint Paul quand il dit : « C’est dans mes faiblesses que je me glorifie parce que c’est dans ma faiblesse que se manifeste le plus la puissance de Dieu. » Plus nous sommes petits et misérables plus c’est beau pour Dieu que nous lui fassions confiance !
Plus encore : c’est à cause même de cette pauvreté due à son péché, que la femme va rencontrer Jésus comme Messie, « celui qui doit venir » : « Je le suis moi qui te parle. »
Et c’est pour rencontrer la femme dans sa pauvreté, dans son espace de pauvreté, qu’Il s’est fait pauvre et a créé autour de Lui Son espace de pauvreté de Dieu incarné.
Le péché donc n’est pas, je dirais, un obstacle, il est la raison de la rencontre ! Dieu ne vient pas sur terre en se dérobant aux pécheurs jusqu’à ce qu’ils soient dignes de Le rencontrer avec tous les égards dus à Son rang ! Non ! Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il faille pécher pour rencontrer le Christ, (Saint Paul l’a remarqué avant moi d’ailleurs…) mais le Christ est venu rencontrer les pécheurs.
Donc à partir du moment où nous ne nous voyons pas dans cette catégorie-là, nous ne pouvons pas rencontrer le Christ !
Il faut que nous sortions de ce Carême en étant convaincus que plus nous cherchons à être ‘dignes’ plus nous nous éloignons de Dieu.
La pauvreté de l’homme est misère, la pauvreté de Dieu est richesse !
Remarquons que cette rencontre entre la femme et le Christ ne va se faire que lorsqu’elle va entrer et parce qu’elle va entrer dans l’espace de pauvreté de Jésus.
Cet espace de pauvreté de Jésus, qui est plus globalement le mystère de l’Incarnation, c’est la fragilité humaine dont la soif et la fatigue sont les signes.
Mais cet espace de pauvreté de Jésus est magnifique autant qu’il est tout opposé au nôtre ! Lorsque nous sommes pauvres nous avons chaud, nous avons la fièvre, nous ne sommes pas bien dans notre peau, nous ne voulons voir personne… Pour le Christ c’est le contraire ! C’est là le mystère de la Pauvreté de Dieu qui n’a rien à voir avec notre pauvreté ! La pauvreté de l’homme est misère, la pauvreté de Dieu est richesse.
La pauvreté du Christ est comme un espace, comme une ombre qui miraculeusement Le précède. En général l’ombre nous suit ; là elle précède et elle donne un espace de fraîcheur, de repos, d’apaisement, pour tous ceux qui viennent à Sa rencontre. Si nous relisons l’Évangile, nous nous apercevrons comme tous ceux qui touchent le Christ, tous ceux qui entrent dans cette ombre lumineuse certainement et rafraîchissante -comme les théologiens décrivent le Paradis : « refrigerium locis » : lieu de la fraîcheur- tous ceux qui touchent le Christ sont apaisés !
Il faut entrer dans l’espace de pauvreté du Christ pour être sauvé !
Donc il faut remarquer que la femme va entrer en contact avec Jésus, pas seulement en tant qu’homme, mais en tant que Messie, qu’elle va être ensemencée par Dieu, qu’elle va être fécondée par la Parole avant de féconder les autres, qu’elle va en un mot se convertir.
Insistons sur le fait qu’elle ne le fera qu’à partir du moment où elle entrera dans Son espace de pauvreté, sans oublier que les pauvretés de cette femme ne sont pas l’espace de pauvreté de Jésus, attention !
Elle a des pauvretés et Jésus se plaît à les lui faire souligner, à les mettre en valeur. Elle en a un certain nombre : pauvreté physique : elle a soif ; pauvreté sociologique : c’est une femme donc, pour la mentalité de l’époque, une quasi-exclue ; pauvreté religieuse : c’est une Samaritaine, rejoignant tous les mécréants qu’il y a sur notre planète ! Plus grave encore, pauvreté humaine : elle est concubine ou adultère, ou elle n’a pas de mari, c’est son cinquième… enfin bref c’est une femme de mauvaise vie ou en tous les cas d’échec de mariage, avec divorce, puis remariage, puis nouveau divorce… C’est la pauvreté humaine dans toute son indigence.
Mais attention, tout cela ne rentre pas dans l’espace de pauvreté de Jésus ! Oui, attention, ce n’est pas parce que Lazare est pauvre qu’il se retrouve chez Abraham et ce n’est pas parce que le clochard est pauvre qu’il est sauvé de même que ce n’est pas parce que le riche est riche qu’il est perdu ! Il faut rentrer dans l’espace de pauvreté du Christ pour être sauvé !
La pauvreté sublime est le regard vrai sur sa misère !
Il y a donc la pauvreté sublime de cette femme, la pauvreté qui va assumer toutes les précédentes que je viens de décrire, et même va les éclairer : c’est la pauvreté de l’aveu, la pauvreté de la reconnaissance de sa misère : « Je n’ai pas de mari… » Elle ne ment plus.
Quand je dis que c’est important ce n’est pas parce qu’elle n’a pas de mari et que c’est croustillant d’immoralité ! C’est fondamental car en disant « Je n’ai pas de mari », elle se découvre, elle accepte, elle se voit en vérité et elle la dit cette vérité douloureuse à cet inconnu, à ce Juif qui la subjugue sûrement -sinon elle se serait tue…- ce bel homme qu’elle pouvait séduire en continuant de se cacher, à ses propres yeux, sa pauvreté profonde.
« Je n’ai pas de mari. » Jésus, pour nous montrer l’importance de cet aveu confirme : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari. » Ce n’est pas pour la condamner ; comme Il fit pour la femme adultère : « Va et ne pèche plus ! » C’est pour souligner l’importance de s’inscrire dans la vérité de sa fragilité : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari parce que tu en as eu cinq et celui qui est avec toi actuellement n’est pas ton mari. »
Voilà la pauvreté sublime, le regard vrai sur sa misère, l’aveu qui va faire entrer cette femme dans l’espace de pauvreté de Jésus puisqu’Il est venu, Lui la Vérité pour sauver les hommes de la misère du péché !
C’est cet aveu qui la fait entrer dans cet espace rafraîchissant qui va l’apaiser, et lui donner cette certitude du cœur qu’après cet aveu à cet homme (qui est prophète puisqu’Il a découvert son état) elle n’est pas repoussée, mieux encore : elle est aimée, elle est sauvée !
Quiconque a un cœur peut refaire en lui cette expérience de conversion !
Elle a une connaissance de Dieu qui n’est pas une connaissance de l’idée, mais qui est une expérience du cœur, expérience qui est unique ! D’ailleurs en général nous n’en avons qu’une dans notre vie de ces expériences de Dieu : les expériences de conversion comme saint Augustin, saint Martin et tant d’autres… Cette expérience unique d’un cœur déchiré qui a rencontré quelqu’un à qui aller, à qui parler à qui dire sa misère ses pauvretés, sans être repoussé, c’est extraordinaire !
Cette femme n’était peut-être pas intelligente, peu importe, elle avait un cœur comme chacun de nous. Quiconque a un cœur peut refaire en lui cette expérience.
Jésus va la récompenser de manière discrète, extrêmement délicate. De cette femme qui a donné son adhésion à cet inconnu, à la personne, pas à un livre, à la personne de cet inconnu, Il va consolider l’esprit, Il va édifier sa foi, donc son adhésion intellectuelle en lui révélant alors Son identité.
Nous comprendrons qu’on est bien loin de la preuve du genre : -Oui le Christ est Fils de Dieu parce qu’Il a dit à la Samaritaine : « Je le suis moi qui te parle » Cela c’est pour les manuels d’apologétique !
Mais à elle, qui avait ouvert son cœur à travers son espace de pauvreté qu’elle avait accepté et qu’elle a apporté à Jésus, déposé à Ses pieds, Il lui révèle alors, Il la confirme (comme Il confirmera Pierre : « Je t’ai confirmé pour qu’à ton tour tu confirmes tes frères ») dans sa foi : « Je le suis moi qui te parle. »
« Afin d’éveiller en elle la foi il fit naître l’amour de Dieu »
Il est recommandé, d’ailleurs, de bien écouter la Préface qui sera dite lors de l’Eucharistie. Elle dit : « Il tenait tellement à éveiller la foi dans son cœur qu’il fit naître en elle l’amour de Dieu. »
En général on dit que la foi précède l’amour : je connais et donc j’aime. Là c’est le contraire et cela nous montre que les voies de Dieu sont insondables, c’est vrai ! Mais c’est pour nous montrer aussi que la foi, même la plus intellectuelle, si elle est vraie, part du cœur. « Afin d’éveiller en elle la foi il fit naître l’amour de Dieu » d’abord !
Alors demandons cela dans notre Eucharistie dominicale. Nous demandons un petit peu d’inverser la vapeur, de ne pas nous raidir dans notre foi, dans nos sentiments de dignité : nous sommes chrétiens, pratiquants, parfaits… Non au contraire !
Nous demandons pour entrer dans l’espace de pauvreté de Jésus et donc pour recevoir la Vie qui jaillit en Vie éternelle, nous demandons deux choses : d’abord de reconnaître nos blessures (c’est notre espace de pauvreté) et ensuite de reconnaître le regard d’amour du Médecin divin qu’est Jésus (c’est Son espace de pauvreté à Lui).