QU’ILS SOIENT UN, PÈRE, COMME TOI ET MOI NOUS SOMMES UN. »

« Cependant certains eurent des doutes. »

C’est le temps de l’Eglise, c’est donc notre temps, le temps de notre vie et de notre mission à laquelle il faut nous atteler avec courage. Ce n’est pas toujours facile d’être chrétien dans notre monde. Nous nous remettons en question, le monde nous remet en question, le monde remet notre foi en question, le monde remet Dieu et l’Evangile en question !

La fête de la Trinité est là justement pour nous stimuler dans ce départ vers les œuvres missionnaires. Retenons déjà cette remarque pleine de finesse et d’humour de Matthieu : « Lesapôtres se prosternèrent devant Jésus, cependant certains eurent des doutes. »

Alors, que devons-nous craindre ? Notre indignité, notre manque de foi, nos faiblesses ? Si les apôtres eux-mêmes qui ont vu Jésus, qui ont vécu avec Lui, qui L’ont touché de leurs mains, comme dit Jean, qui ont contemplé le Verbe de Dieu ressuscité, eurent des doutes, n’est-il pas normal que nous soyons nous aussi éprouvés, « sassés » par le Malin ?

« Ce n’est pas vous qui m’avez choisi… »

Nous pouvons être rassurés sur l’efficacité divine de l’œuvre de Dieu à travers les pauvres instruments humains que nous sommes et ne pas attendre d’être un saint, ni d’avoir tout saisi du mystère de Dieu pour aller proclamer l’Evangile.

Nous devons faire comme les apôtres : partir avec l’âme confortée en particulier parce que, l’Evangile nous le rappelle, ce n’est pas nous qui avons choisi d’être disciple, c’est Jésus qui nous a choisis, qui nous a élus pour que nous allions et que nous portions du fruit, et un fruit qui demeure. Souvenez-vous de ce que le Christ dit à Ses apôtres après la Cène : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Jésus nous envoie prêcher, Jésus nous envoie diffuser la Bonne Nouvelle du Salut par Son Esprit.

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. »

L’Eglise trouve donc sa source dans la Trinité : le Père qui envoie le Fils, le Fils qui donne Son Esprit aux hommes pour que les hommes proclament l’Evangile du Salut.

C’est pour cela que nous baptisons au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ce n’est pas seulement pour proclamer notre Credo. Car s’il est vrai que le Baptême au nom de la Trinité rassemble toute notre foi, nous le faisons aussi parce que nous baptisons au nom de Quelqu’un qui nous envoie, au nom du Père qui a envoyé le Fils, au nom du Fils qui nous a envoyés dans Son Esprit.

« Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »

Alors, pouvons-nous imaginer que ce Dieu qui nous mande pour faire des nations des disciples et des fils, ce Dieu qui nous envoie pour baptiser et pour proclamer la Bonne Parole, nous abandonnerait ? Pouvons-nous même penser que ce Dieu ne tiendrait pas compte de nos propres faiblesses comme de la faiblesse de l’Eglise dont nous ne connaissons que trop les travers ?

Nous devons donc partir dans le champ de la mission pleins de courage, pleins de confiance non pas en nous-mêmes, mais dans la grâce de Dieu qui nous est donnée pour qu’à notre tour nous contribuions à la transmettre !

Il ne nous est pas demandé d’être intellectuels, il ne nous est pas demandé d’être riches, il ne nous est pas demandé d’être forts. Comme le dit Saint Paul, c’est au contraire ce qui est fragile, ce qui est pauvre, ce qui est humble que Dieu veut envoyer au monde parce que c’est dans cette faiblesse que se manifeste le mieux Sa puissance : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort. »

« Je suis un Dieu lent à la colère et plein d’amour… »

Le mystère de la Trinité nous conforte sur deux autres points. Le premier qui est essentiel, c’est la révélation de l’Amour de Dieu.

L’Ancien et le Nouveau Testament sont remplis de cette proclamation que Dieu fait de Son Amour et de Sa Miséricorde : « Je suis un Dieu lent à la colère, plein d’amour, plein de miséricorde… » Plus tard Saint Jean nous dira que « Dieu a tant aimé le monde qu’Il a envoyé son Fils… »,que« Dieu est amour », et que donc « Celui qui est dans l’amour connaît Dieu. »

Alors, nous allons nous poser une question sur cette réalité de l’Amour de Dieu. Ne pensons-nous pas d’ailleurs que la foi monothéiste, à l’époque de Jésus, a pu être heurtée par cette révélation de l’Amour de Dieu ?

Si Dieu est Dieu, Il est parfait. Il est donc parfaitement aimable, Il est parfaitement objetd’amour. D’un autre côté Dieu nous dit qu’Il est Amour. Il est donc parfaitement sujetaimant. Comment est-il possible que Dieu soit à la fois parfait et amour, aimant parfaitement et parfaitement aimable, qu’Il soit donc Lui-même l’objet de Son propre Amour ?

Serait-Il alors, Lui le Bon, la réalisation parfaite de l’amour-propre ? Serait-Il, Lui, le Saint, la réalisation infinie de cet amour-propre qu’il nous est si difficile de combattre en nous-mêmes et qui est à l’origine de nos orgueils, nos vanités, nos colères, nos impatiences, nos injustices ?

Comment concevoir un Dieu qui soit Un, S’aimant lui-même parfaitement, donc parfaitement replié sur Sa propre personne ? C’est tout simplement impensable !

« Dieu est amour. »

Justement, le mystère de la Trinité est là pour nous montrer, pour nous prouver, si l’on peut dire, la réalité de l’Amour de Dieu parfait.

Si Dieu est Amour, Il n’est donc pas seul car une relation d’amour véritable, c’est une relation d’amour qui ne me regarde pas moi. C’est une relation qui regarde un autre, qui est orienté vers cet autre, celui que j’aime. C’est une relation de réciprocité, c’est une relation de donation. Si Dieu est Amour, il faut donc qu’Il soit déjà deux, Dieu aimant et Dieu aimé. Il faut qu’Il soit parfaitement, je dirais, en dehors de Lui-même, tourné vers l’autre, puisqu’Il est parfait, et parfaitement Amour.

Dieu effectivement est Père. Il n’existe comme Père que parce qu’Il est tourné totalement vers le Fils qu’Il engendre. Et Dieu Fils existe comme Fils que parce qu’Il est parfaitement tourné vers le Père qui L’a engendré.

« Le Père et moi nous sommes un. »

Dans notre humanité, nous sommes et nous nous donnons. Il y a des actes bien différents : notre acte d’exister et notre agir d’amour. En Dieu, il en va autrement. Dieu estAmour. Donc, Il est en même temps qu’Il donne, en même temps qu’Il se donne.

Le Père est parce qu’Il engendre. Le Fils est parce qu’Il est engendré. Le Père n’existe que dans Son Amour pour le Fils, et le Fils n’existe que dans cette ‘eucharistie’, ce retour, cette action de grâce vers le Père.

Et leur Amour est si absolu (comme tout ce qui est en Dieu) sans aucune tache, sans aucune finitude, cet Amour est si total qu’Il est à son tour, lui aussi Personne : c’est l’Esprit-Saint. L’Amour de Dieu est fécondant à l’infini : c’est la production éternelle de l’Esprit-Saint que l’on appelle l’Esprit d’Amour, ou l’Esprit de Communion parce qu’Il relie le Père et le Fils, parce qu’Il exprime cette union éternelle entre les deux personnes du Père et du Fils.

Voilà ce que le mystère de la Trinité nous éclaire de la nature de Dieu. Il ne s’agit pas de penser que Dieu est trois comme Il aurait pu être quatre ou cinq ou six suivant le bon vouloir des évangélistes. Dieu est trois parce qu’Il ne peut pas être seul, Il ne peut pas être seul parce qu’Il est Amour et que l’Amour se vit à deux, que l’Amour féconde, que l’Amour donne la Vie. En l’occurrence, le fruit de l’Amour du Père et du Fils, c’est l’Esprit.

« Dieu créa l’homme à son image… »

Il y a un deuxième point sur lequel le mystère de la Trinité nous éclaire, sur lequel il nous fortifie, c’est celui de notre vocation d’homme.

Nous sommes souvent désespérés, lorsque nous regardons le monde autour de nous, le monde que nous faisons. Attention, il ne s’agit pas de juger les autres. Le monde qui nous entoure est notre monde, celui que nous façonnons par nos vertus et par nos fautes, par nos vices, par nos faiblesses… Nous sommes effarés de voir la solitude, la souffrance, les haines, les guerres !… A tel point que, bien souvent, nous mettons en doute l’utilité de l’homme et de sa vocation, et finalement, l’utilité à Dieu, Sa bonté et finalement Son existence même.

« L’homme est à l’image de Dieu » nous rappelle la Genèse. Comment d’abord réagissons-nous à cette phrase ? L’homme dans sa réalité charnelle, visible, quelquefois belle, en général médiocre, lourde, pesante est à l’image de Dieu. Dieu serait-Il comme cela ? L’homme est à l’image de Dieu lisons-nous en même temps que nous voyons tous les vices répandus dans le monde, à commencer par les nôtres. Quelle relation pouvons-nous faire de l’homme à Dieu avec cette expérience du mal, de l’injustice, de la haine ?

« Abba Pater ! »

L’homme est à l’image de Dieu veut dire que l’homme est fils. Dans notre monde humain, c’est bien le fils qui est le plus apte à être l’image de son père.

L’homme est fils et cette filiation est invisible, bien entendu, aux yeux du corps, tout comme la filiation humaine, car cette filiation (qui peut être représentée d’une certaine manière par l’aspect physique) est avant tout un lien de sang et un lien intérieur, un lien spirituel.

La filiation de l’homme à Dieu est avant tout intérieure, spirituelle, et nous ne pouvons donc la voir que dans la foi par l’Esprit qui nous fait dire d’une manière extraordinaire : « Abba Pater ! »

Pourquoi puis-je dire Père à Dieu ? Pourquoi chantons-nous« notre Père qui êtes aux cieux » ? Personne ne nous force à le dire, et pourtant nous le disons ! Nous le disons avec joie et Claudel dira que c’est le plus grand cri qui s’élève du monde, ce grondement de tonnerre infini qui se lève de toutes les poitrines du monde, à toute heure du jour et de la nuit, à chaque fois qu’une messe est célébrée : « Notre Père qui êtes aux cieux ! »Parce que l’Esprit, qui nous a été donné, nous fait crier en nous de manière spontanée : « Abba Pater » comme le soulignera Paul.

« Vous êtes tous fils d’un même Père. »

Voilà ce que veut dire: « L’homme est à l’image de Dieu » : l’homme est fils de Dieu et l’homme peut appeler Dieu son Père… « Je monte vers mon Dieu etvotre Dieu, vers mon Père et votre Père. »

Et donc si l’homme est à l’image de Dieu, il est fait, comme Dieu son Père, pour vivre en communion. C’est une certitude de foi qui découle de ce dogme de la Trinité.

L’homme seul n’est pas possible. L’homme seul n’est pas complet, l’homme seul ne peut atteindre à sa perfection. L’homme est appelé comme Dieu Père, Dieu Fils et Dieu Esprit à vivre en communion, à vivre dans l’Amour.

Malgré les guerres, malgré les imperfections du cheminement humain, malgré tous les désastres, malgré toutes les souffrances, nous savons que nous sommes appelés, dans la perfection de notre vocation humaine, à vivre en communion, en communauté, en famille faudrait-il dire même : « Votre Pèrefait pleuvoir sur les bons et les méchants, car vous êtes tous fils d’un même Père. »

« Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux… »

Voilà ce qui peut rasséréner notre esprit lorsque nous contemplons dans le monde actuel tous les maux, toutes les erreurs, toutes les turpitudes. Nous savons que l’homme est fait pour grandir, que l’homme est fait pour s’épanouir, que l’homme est fait pour aimer, que l’homme dans la famille, dans la paroisse, dans la ville, dans le pays, dans la communauté internationale est fait pour être en communion, à l’image de Dieu qui est en lui.

L’homme est fait pour être en communion avec ses frères. Et puisqu’il est fils de Dieu il est d’abord fait pour être en communion avec son Père. L’Esprit qui m’est donné par Jésus, cet Esprit qui m’est donné pour aller en mission, cet Esprit qui m’est donné pour construire la communion et l’unité de l’Eglise, Il m’est d’abord donné pour être, dans le Fils Jésus, en communion avec mon Père du Ciel c’est-à-dire pour être intégré à la communion de Vie trinitaire.

« Je monte vers mon Dieu et votre Dieu, vers mon Père et votre Père. »

Ainsi, lorsque le Père aime le Fils, Il m’aime moi aussi qui suis dans le Verbe, configuré au Verbe par l’Esprit. Et quand le Verbe aime Son Père, c’est moi en Lui qui peux aimer vraiment le Père du Ciel : « Nous sommes enfants de Dieu, vraiment » dit Saint Jean, c’est dire comme nous sommes compris, inclus dans cette communion trinitaire.

Voilà la vocation réelle de l’homme, bonheur difficile à percevoir mais qu’il nous faut essayer de contempler au plus profond de nous-mêmes… Bonheur inaccessible à notre seule intelligence humaine, car accessible seulement dans l’Esprit qui nous fait crier encore une fois « Abba Pater » et nous fait entrer de plain-pied dans le flux d’amour permanent du Père vers le Fils et du Fils vers le Père dans l’unité de l’Esprit.

« Qu’ils soient un eux aussi parce que je suis en eux et qu’ils sont en moi »

N’est-ce pas merveilleux de saisir ainsi ce à quoi l’homme est appelé ?

C’est dans la mesure où j’entre dans cette communion trinitaire, où je fais partie du mouvement d’Amour entre Père et Fils, entre Fils et Père, où je dépose mon esprit dans le souffle de l’Esprit qui unit le Père et le Fils, que, aimant Dieu avec Son propre Amour divin, je L’aime avec tout ce qu’Il est, avec tout ce qu’Il a, avec tout ce qu’Il aime, c’est-à-dire tous les hommes, « Lui qui fait luire le soleil sur les bons et les méchants. »

Et mon acte d’amour qui est monté vers Dieu par le Fils dans l’Esprit redescend ensuite pour créer la communion humaine : « Qu’ils soient un, Père, comme toi et moi nous sommes un.Qu’ils soient un eux aussi parce que je suis en eux et qu’ils sont en moi, et que je suis en toi. »

Notre communion ecclésiale est la reproduction, plus exactement la représentation, ce qui rend présent (au même sens que l’Eucharistie est la représentation) de cet Amour du Verbe pour Son Père. Notre communion ecclésiale rend présente la Trinité, cette sainte Trinité qui est la source, l’âme, la force, le moteur de l’Eglise et donc de notre vie à chacun.

Voilà de quoi méditer en ce dimanche de la Trinité sur notre origine, notre fin et notre route.

 

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

Retrouvez la lectio divina quotidienne (#twittomelie, #TrekCiel) sur tweet : @mgrjmlegall