« Je suis le chemin, la vérité et la vie ! »
Effectivement, et c’est la grande révélation de Jésus-Christ, il ne s’agit pas pour l’homme d’aller vers le Seigneur comme l’on va vers quelqu’un, ou vers un lieu qui reste extérieur à sa personne. Jésus nous révèle dans l’Évangile qu’Il est Lui-même le chemin et qu’il ne s’agit donc pas seulement d’aller sur le chemin de la justice vers Lui, comme on prend la voiture pour aller à tel endroit…
Il s’agit d’aller en Lui, Lui qui est le Juste, Lui qui est l’Évangile c’est-à-dire le chemin de la justice de Dieu. Il s’agit d’être en Lui. Lorsque nous sommes sur le chemin, nous sommes en Jésus-Christ ; lorsque nous marchons sur le chemin de la justice à la rencontre du Seigneur cela veut dire que nous marchons vers Jésus-Christ qui est en nous ; nous sommes en Lui, nous nous approchons de Lui qui est en nous.
C’est la caractéristique de notre cheminement chrétien. Nous nous souvenons de ce si bel épisode des disciples d’Emmaüs où ces compagnons marchent avec Jésus qui, dans Son humanité, nous montre la route pour aller vers le Père : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Voici comment il faut vivre pour être enfant de Dieu.
Et Jésus va se manifester aux disciples d’Emmaüs d’une manière mystérieuse, pas seulement comme un compagnon physique, mais comme quelqu’un qui est au dedans d’eux à travers Sa Parole et Son Eucharistie, et qui brûle le cœur c’est à dire qui éclaire, qui illumine, qui transforme…
Jésus est là pour nous faire tenir jusqu’au bout !
C’est Jésus qui, non seulement nous a montré le chemin, mais avec Sa divinité nous édifie de l’intérieur pour monter vers le Père, comme construction du Père dont Il est la pierre d’angle. Il nous édifie pour tenir comme cette construction que le Père désire, ce temple spirituel fait de pierres vivantes qui forment l’Église.
C’est le thème de la lecture de saint Paul. Jésus est là pour nous faire tenir jusqu’au bout, non pas comme l’entraîneur fait tenir le sportif jusqu’au bout de sa compétition grâce à des exercices particulièrement durs… Non, Jésus dans Sa divinité, par Sa divinité est à l’intérieur de moi pour m’édifier. Il m’édifiera par Sa Parole comme les disciples d’Emmaüs, Il m’édifiera par Son corps qui est justement là pour construire, dira saint Paul, le Corps mystique, « son corps qui est l’Église. »
Dans cette vision absolument nouvelle par rapport à l’Exode, où Dieu n’était présent dans Son peuple que par le signe, (ce signe était l’Arche d’Alliance et les Tables de la Loi), Dieu est présent pour nous réellement, véritablement. Autant qu’Il est présent dans Son mystère eucharistique, le Fils est présent en nous pour nous édifier et nous accompagner, nous faire rejoindre le Père dans une forme particulière qui transforme, qui renouvelle, qui, peut-on dire, ressuscite la forme originelle de l’homme : l’enfant de Dieu.
Être et être en communion !
C’est important de réfléchir sur ce thème du chemin que notre Collecte nous fait prier : « Allez avec courage sur le chemin de la justice à la rencontre du Seigneur. » Cela aide à nous rendre compte que notre vie chrétienne (que nous recommençons aujourd’hui pour un nouveau cycle de douze mois), est avant tout une vie de communion ! Ce n’est pas une vie de pratique au sens où Jésus fustigera la pratique des pharisiens. Il ne s’agit pas tant de faire que d’être et d’être en communion, d’être uni avec Celui qui est le centre de notre être, qui est le révélateur de notre être, qui est l’icône, le prototype de notre être d’enfant de Dieu. Et Celui-ci est le Verbe : le Fils unique par nature et le Fils aîné par grâce !
Nous sommes en communion ici-bas par la grâce, par la foi, comme nous serons en communion dans le Royaume par l’état, par la vision. Pour le moment nous ne Le voyons qu’à travers le miroir de la foi alors qu’au Ciel nous Le verrons face à face. Pour le moment nous ne sommes en communion que par le jeu de la grâce, alors qu’au ciel nous serons en état de communion.
Remarquons, dans la Lecture, comment saint Paul utilise à trois reprises le mot de grâce. La grâce est véritablement un autre nous-mêmes, un autre être intérieur substantiel reçu par le Baptême qui est la configuration à Jésus, renouvelé par le sacrement de Réconciliation et reconstruit, édifié, incorporé par le sacrement de l’Eucharistie. Cette grâce, saint Paul le dit, se manifeste particulièrement par la Parole du Verbe qui nous révèle la connaissance du Père.
« Avec courage ! »
Donc la vie chrétienne, telle que nous l’entamons aujourd’hui avec l’Église universelle, c’est la vie de communion et cela donne tout le relief à l’expression utilisée dans la Collecte : « avec courage. »
Lorsque nous parlons de courage il ne s’agit pas tant de ce courage physique, de la force ; il s’agit de faire référence au mot qui est la racine du courage : le cœur. Puisque nous sommes en communion nous devons vivre avec notre cœur.
Et nous faisons encore référence à saint Paul qui compare les chrétiens avec les hommes du monde qui vivent commandés « par leur ventre » c’est à dire par leur chair au sens paulinien du mot : la passion quelle qu’elle soit, le pouvoir, le savoir, l’avoir… Alors que l’homme nouveau doit être commandé par ce qui est son centre : le cœur. Donc notre vie chrétienne doit être vécue avec le cœur. Nous sommes bien loin de la « pratique », de l’habitude, de la routine, du formalisme…
Nous devons vivre avec le cœur, ce cœur qui va être habité, ne serait-ce que déjà par notre Eucharistie de ce dimanche et qui va donc être transformé c’est-à-dire qui va reprendre sa forme originelle d’enfant de Dieu.
Et parce qu’il aura été transformé il sera orienté. C’est le thème de ce premier dimanche de l’Avent et de son chant grégorien : « Vers Toi Seigneur j’élève mon âme ».
Le cœur est transformé parce qu’il est habité et, parce qu’il est transformé, il est orienté vers son Bien premier nécessaire, naturel, qui est son Père. Mais parce qu’il est transformé et orienté, il va être aussi transformant et orientant.
« Vers Toi Seigneur j’élève mon âme. »
Voilà comment nous devons vivre cette Année liturgique : en recherchant le Christ au centre de notre âme, en allant à la rencontre de Jésus qui est en nous, sur le chemin qui est Jésus Lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie. » A la manière des disciples d’Emmaüs qui quittent Jérusalem pour retrouver le Christ dans la fraction du pain, aidés par la Parole…
Voilà la vocation de notre vie. Car la vie n’est rien d’autre que cet appel que Dieu nous lance, ce temps que Dieu nous donne pour refaire le chemin du fils prodigue et revenir dans l’héritage et la maison paternelle.
La vie a deux dimensions. Elle a la dimension du temps lorsqu’elle est seule, ce temps qui est le cercle de l’éternel recommencement : tous les jours se ressemblent, nous revenons sur une nouvelle année, nous entrons dans un nouvel hiver et puis il y aura un autre printemps, c’est le quarantième, le cinquantième ou le soixante-dixième printemps dans lequel nous entrerons ! « Rien de nouveau sous le soleil » dit l’Ecclésiaste.
Et puis il y a la modalité de vivre cette vie, le mode avec lequel nous allons aborder le temps, avec lequel nous allons absorber le temps, avec lequel nous allons nous mettre dans le temps. Cette modalité c’est le Christ qui nous donne deux directions.
Il nous donne la direction verticale d’abord vers le Père ; puis Il nous donne la direction horizontale vers les frères. Ainsi la vie, qui en elle-même est tout à fait routinière et banale, parce qu’elle est dynamisée par la Croix, cette vie permet chaque jour de nous rapprocher du Père et de nos frères, c’est-à-dire de vivre notre vocation d’enfant de Dieu et de frère des hommes.
« La création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement »
La Croix est au centre de notre vie car le Mystère pascal du Christ est au centre de l’Histoire puisqu’il en est la lumière. Jésus sur la Croix éclaire tout le passé depuis la Création. Depuis la Création le monde converge vers la mort et la Résurrection de Jésus.
Et Jésus sur la Croix est le centre de l’Histoire aussi parce qu’Il en est le sens : tout part de cette mort et de cette Résurrection pour orienter le monde. Saint Paul nous dit que « la création tout entière gémit dans les douleurs de l’enfantement », pour s’orienter dans sa relation vers le Père et Son Royaume que nous attendons et que nous célébrons.
Dans cette marche vers le Christ au centre de notre âme, dans ce pèlerinage intérieur que saint Augustin a si bien décrit dans ses confessions et que tant de saints ont vécu avant nous, dans cette plongée en apnée à l’intérieur de nous-mêmes pour y découvrir le mystère de la Trinité à travers le mystère du Fils dans la tendresse de l’Esprit, il nous faut bien entendu, et Jésus nous le rappelle, veiller et prier.
Prier c’est être uni à Dieu : la prière n’est autre que la présence à Dieu.
Et il nous faut veiller pour que cette union à Dieu dans la prière, dans le cœur à cœur, soit concrétisée dans la relation à nos frères. Souvenons-nous de ce que dit Jean : « Celui qui dit aimer Dieu et n’aime pas son frère est un menteur. »
Veiller et prier, non pas dans la crainte parce que nous sommes des fils et que « l’amour filial bannit la crainte » ; veiller et prier dans cette attention permanente à être avec Lui, en Lui et par Lui pour le Père !
Je vous souhaite une bonne année liturgique pleine de grâce, de paix et de joie !