Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
PAR L‘AMOUR, DIEU M’APPREND A ÊTRE LIBRE ET ACHEVE DANS MA PLENITUDE
Lectio divina pour le 25e dimanche du temps ordinaire
Nous pourrions méditer avec un profit certain la finale de l’Evangile proposée par la Liturgie du 25ème Dimanche Ordinaire et réfléchir sur ces deux réalités toujours entremêlées dans notre vie suivant des lois et des équilibres très fragiles : le service de Dieu, et le service de l’argent. Mais je propose plutôt de réfléchir sur la collecte de la messe qui résume notre foi et qui est si souvent mal comprise ou oubliée : « Seigneur, tu as voulu que toute la loi consiste à t’aimer et à aimer son prochain… »
« La plénitude de la loi, c’est l’amour. »
Nous pouvons reconnaître que l’achoppement premier de notre vie chrétienne c’est d’oublier que toute la loi se résume dans l’amour, selon l’admirable formule de Saint Paul : « Plenitudo legis est dilectio », autrement dit : « La plénitude de la loi, c’est l’amour. » Qu’est-ce que cela veut dire et qu’est-ce que cela entraîne alors pour notre comportement de chrétien ?
Qu’est-ce que la loi ? La loi, c’est l’ordonnancement de l’agir en fonction de l’être. C’est vrai pour les lois civiles. C’est vrai pour la loi morale : la loi est ce qui nous guide vers notre accomplissement, c’est-à-dire la cohérence de notre action par rapport à notre être de personne.
Quant à l’amour, c’est l’expression la plus aiguë, la plus fine, la plus puissante de la liberté. Personne ne peut forcer l’amour, ou alors l’amour disparaît.
Si donc, la loi n’est pas l’amour, si la plénitude de la loi ne s’identifie pas à l’amour, cela veut dire que l’accomplissement de l’homme ne s’identifie pas à la liberté totale, dans sa forme achevée : autrement dit, l’homme est un esclave ! Cela veut dire aussi que Dieu n’est pas souverainement libre, c’est-à-dire en un mot, qu’Il n’existe pas !
Au contraire, si nous identifions l’accomplissement de l’homme – qui est la finalité de la loi – avec l’amour, – c’est-à-dire la liberté dans sa forme la plus achevée – c’est le meilleur gage qu’effectivement l’accomplissement de l’homme se trouve dans la plénitude de son « être tel », tel qu’il est créé, que l’accomplissement de l’homme c’est d’être « l’être soi », d’être sa personne et non pas une autre, d’être ce qu’il est avec ses limites et ses grandeurs, avec tout ce qui est inclus dans sa personne créée. Autrement dit, mon accomplissement c’est d’être moi-même et de l’être en plénitude.
La béatitude c’est d’être parfaitement ce que je suis.
L’homme est appelé donc, comme Dieu, à l’image duquel il est fait, à une plénitude d’être. Il n’y a pas de limitation, il n’y a pas d’esclavage. Souvent, nous faisons du Ciel, de la béatitude finale, quelque chose qui nous limiterait, nous nous sentons limités par Dieu, nous pensons que la grâce limite notre liberté. Nous voyons tout en négatif. Or il ne faut pas, car c’est tout le contraire… Ma plénitude, mon bonheur, mon accomplissement, c’est d’être parfaitement ce que je suis.
On remarquera que les autres créatures, aussi sophistiquées soient-elles, (les dauphins, les abeilles, tous les animaux qui nous surprennent par leur organisation intelligente), ne se construisent pas parce qu’elles ne sont pas libres. Elles sont déterminées, elles ne sont donc pas appelées à une plénitude : elles meurent, c’est tout… L’homme seul se construit, tout le reste, dans le monde créé, est détruit.
Il n’y a pas de liberté sans amour…
L’homme est donc appelé à la plénitude, et cette plénitude c’est sa liberté.
Comment atteindre cette liberté ? Par l’amour. Et là, nous nous trouvons au nœud essentiel de notre vie humaine : c’est par l’amour que ma liberté s’exprime, se gagne, se construit. Pourquoi ?
Parce que d’abord, comme on l’a dit, il n’y a pas d’amour sans liberté.
Mais aussi parce qu’il n’y a pas de liberté sans amour. Car l’amour, c’est le don, c’est ce qui me libère, c’est ce qui me détache de moi-même. Et nous arrivons à ce paradoxe que nous comprenons mal et que nous vivons mal au niveau de notre morale d’homme et de chrétien : pour arriver à ma plénitude, pour arriver à ma liberté, pour me construire en tant que je suis, avec toutes mes capacités, il faut que je passe par une dépendance, il faut que je passe par la fourche de l’amour, c’est-à-dire la fourche du don… C’est cela qui est compliqué à saisir.
« Tu aimeras ton Dieu de toutes tes forces, de toute ton âme, de tout ton cœur. »
Pour être personne, être indivis et incommunicable, parfait en soi dans son existence créée, il faut que je passe par une dépendance, par un oubli de moi, par un don, par l’amour.
D’où le premier commandement donné par Yahvé : « Tu aimeras ton Seigneur ton Dieu de toutes tes forces, de toute ton âme, de tout ton cœur ». Ce n’est pas un commandement d’esclavage, ce n’est pas un ordre, comme le maître peut donner à son intendant, c’est au contraire le chemin de la vie, le chemin qui nous permet de nous construire, de nous libérer. C’est cela le désir de Dieu : « La gloire de mon Père est que vous alliez et que vous portiez du fruit ».
Pourquoi Dieu nous dit-Il de L’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes nos forces, en un mot, de nous précipiter dans cette dépendance, dans cet oubli de nous-mêmes ? Parce que c’est à Dieu seul que nous pouvons tout donner, et donc, trouver la libération totale !
Il n’y a qu’à voir les saints, quels qu’ils soient dans leur maturité humaine, quelle que soit l’époque à laquelle ils ont vécu, quels que soient leurs charismes, leur libération fût-ce don total de toute leur vie à Dieu. En Dieu.
« Dieu nous a aimés le premier… »
En effet l’amour pour se construire, pour se développer, nous le voyons dans l’expérience de l’amitié ou du mariage, exige une réciprocité. Et lorsque j’aime Dieu, lorsque je me donne à Lui, je reçois la réciprocité de l’Amour de Dieu : un Amour parfait, un Amour infini, un Amour sans mesure, un Amour absolument personnalisé et non pas générique, un Amour de ma personne, pour elle-même, absolument gratuit et désintéressé. Dans cet Amour que Dieu me porte, la réciprocité me dépasse infiniment, comme disait Sainte Thérèse : « Mon Dieu, vous avez dépassé mon attente ! » Parce que moi, j’aime avec mes petites forces, (et un brin d’intérêt toujours !) mais Lui m’aime de manière absolument première et gratuite.
L’amour c’est se donner à l’autre pour le bien de l’autre
L’amour, c’est vouloir le bien de l’autre. Ce n’est pas le sentiment, la sensibilité qui ne sont que des parties de l’amour. Et l’amour sponsal qui nous unit à Dieu, (dont est remplie toute la Bible) c’est se donner à l’autre pour le bien de l’autre.
Or le bien de Dieu, la joie de Dieu, Paul nous le rappelle dans la 2° lecture : « C’est que tous les hommes soient sauvés. » Aussi ma personne exprimera son amour de Dieu en se donnant à Lui pour le salut du monde. C’est ce qui provoquera la Joie divine puisque, Jésus nous l’affirmait dans la Liturgie de dimanche dernier, « Il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui se convertit… »
Et justement : à qui ce désir de plaire au Père nous fait-il penser ? A Jésus-Christ bien sûr !
« Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne… »
D’ailleurs la prière sur les offrandes déclare : « pour que ce peuple qui s’est offert à Toi, reçoive dans le mystère de l’Eucharistie, les biens auxquels il croit. » Quels sont ces biens ?
Les biens auxquels nous croyons, à la suite de Jésus, les biens auxquels l’Eglise croit, le Corps à la suite de la Tête, c’est justement la Rédemption du monde. Nous comprenons mieux ainsi le caractère catholique, universel de la messe. Nous comprenons pourquoi chaque fois qu’une messe est célébrée même sans peuple, il y a du Bien qui s’élève du monde pour le salut du monde.
C’est parce que Jésus en premier a cru à ce fruit de la Croix, (« Père, pardonne-leur…) qu’Il s’est donné totalement à son Père par cette même Croix (« Père, entre tes mains, je remets mon Esprit »). Et lorsque nous offrons notre personne durant l’offertoire, nous nous unissons à cette offrande amoureuse de Jésus à Dieu Son Père, offrande qui n’est pas un acte juridique, une espèce de dette à remettre, mais qui est l’expression de Son oblation intérieure amoureuse, de Sa personne qui s’offre à Dieu dans l’accomplissement de Sa liberté plénière et reçoit en récompense ce bien qui est la joie du Père : la Rédemption des âmes.
Par la messe je me libère en m’associant à l’offrande d’Amour de Jésus
Lorsque nous nous associons à l’offrande de Jésus, nous nous associons à l’Amour de Dieu pour les hommes, de la manière la plus profonde possible, ce qui n’empêche pas d’agir aussi concrètement par des œuvres philanthropiques pour soulager la misère de l’homme. Mais il nous faut en priorité œuvrer pour le salut du monde, s’associer à l’Amour de Dieu pour les hommes, finalement se perdre dans cet Amour qui est infini de la part de Dieu, et qui, si j’ose dire « libère » Dieu.
Dieu, c’est la gratuité, c’est Celui qui s’oublie. Lorsque je m’associe véritablement à cette offrande eucharistique, à ce sacrifice de la Croix rendu présent, lorsque je me perds en Dieu, je me perds dans Son Amour pour le monde. Et donc je marche pas à pas, dimanche après dimanche, vers la libération totale de ma personne, je marche vers mon accomplissement, je marche vers la plénitude de mon être.
Ce faisant, après la première partie de la Loi sur l’amour de Dieu, j’accomplis automatiquement la seconde partie : « …et tu aimeras ton prochain comme toi-même », puisque je m’associe à l’Amour de Dieu pour les hommes.
Voilà ce que veut dire « plenitudo legis est dilectio. » La Loi qui consiste à aimer Dieu et à aimer les hommes n’est pas une loi d’esclave, c’est le chemin qui me conduit à ma propre libération !
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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