Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
« C’EST LE SEIGNEUR ! »
Ac 5,27-41 Ap.5,11-14 Jn.21, 1-19
Ce récit de l’apparition de Jésus est sans conteste le plus détaillé de l’évangile de Jean, probablement parce que c’est la dernière apparition, peut-être aussi parce que cette apparition tient une place mémorable pour les apôtres.
Elle est aussi importante pour nous parce qu’elle nous montre comment les apôtres, face à Jésus, passent du ‘non-savoir’ (« Ils ne savaient pas que c’était Jésus ») à la certitude : « C’est le Seigneur ! »
« Désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Il est bon pour nous de savoir ce que représente ce cri, ce cri d’adhésion, ce cri de foi : « C’est le Seigneur ! » Qu’est-ce que Jean et les autres apôtres, Pierre en premier, placent sous ces paroles ? Regardons quel enseignement contient cet épisode si simple de la pêche miraculeuse. Nous pouvons pour cela nous aider d’un autre récit de pêche miraculeuse qui est au chapitre 5 de Saint Luc. La question n’étant pas de savoir s’il y a eu deux pêches miraculeuses ou une seule rapportée à deux endroits différents, par Luc et Jean, mais de mettre les deux textes en parallèle pour en éclairer la portée.
À première vue, avec le contexte dans lequel se placent ces deux récits, nous pouvons dire que la première pêche miraculeuse souligne la fécondité apostolique. Elle est liée à l’appel des apôtres. Nous nous souvenons de ce passage. Jésus marche sur les bords du lac de Tibériade, et s’adresse aux foules qui le pressent. Voyant deux barques avec leurs pêcheurs réparant les filets, Il monte dans l’une d’entre elles, la fait s’éloigner un petit peu de la rive, enseigne les foules, puis dit à Pierre : « Avance en eau profonde et jette le filet… Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
« C’est le Seigneur ! »
La deuxième pêche miraculeuse, celle de Saint Jean lue en ce troisième dimanche de Pâques, est orientée vers le Jugement dernier.
C’est le contexte post-pascal de la Résurrection. Jésus précède les apôtres en Galilée, comme Il nous précède dans la Vie Éternelle. Jésus est sur la terre ferme, signe de l’éternité fixe et stable. Jésus demande aux apôtres de jeter les filets à la droite de la barque, rappelant ainsi le Jugement en Matthieu (les brebis à droite et les boucs à gauche…) Bref, une multiplicité de signes qui nous indiquent que cette pêche est orientée vers les fins dernières.
La première conséquence à tirer de cette brève comparaison des deux récits, est celle-ci. Il y a un lien d’homogénéité (puisque c’est le même signe dans les deux cas) entre notre vie apostolique et notre vie éternelle. Cela ne veut pas dire qu’il y ait équivalence logique entre la quantité d’âmes que j’arrive à ramener dans mon filet, et le Salut qui m’est donné par Dieu, puisque le Salut est de toute façon totalement gratuit.
Mais il y a comme une certaine complicité ; il y a une continuité entre la vie apostolique et la Vie Éternelle, il y a une similitude. C’est pour cela que Jésus définira le Royaume de Dieu en le comparant à un filet de pêche que l’on remplit et que l’on mène au rivage. Ceci nous montre que Royaume de Dieu est ici-bas et pourtant il n’est pas achevé. Il s’achèvera dans l’éternité. Retenons donc que notre vie éternelle, notre éternité, est liée de manière mystérieuse, mais réelle, à notre fécondité apostolique.
« Jésus était là au milieu d’eux… »
La deuxième conséquence que nous pouvons tirer de ces récits, est que notre vie peut prendre deux aspects.
Le premier est celui-ci : les ténèbres, la stérilité et l’absence du Christ. Dans les deux pêches, les apôtres œuvrent la nuit, ils ne prennent rien, le Christ n’est pas avec eux.
L’autre aspect de notre vie : nous sommes dans la lumière (c’est le lever du jour), notre vie est féconde, fertile, (les apôtres prennent une grande quantité de poissons qui est le symbole de l’eau et de la vie), et le Christ est en nous, dans la barque, sur le rivage.
Conclusion : pour que notre vie soit féconde, vivante et surtout orientée vers la vraie Vie, il faut que le Christ soit présent ! De quelle présence s’agit-il ?
Il faut que le Christ soit présent concrètement, réellement, comme Il le fut en étant au milieu d’eux. Il doit pouvoir nous parler comme Il leur parla. Il ne s’agit pas d’une présence philosophique, livresque. Il ne s’agit pas de lire, mais d’être avec Lui !
Il faut que cette présence soit ecclésiale, comme le souligne le fait que Jésus est dans la barque qui est le symbole de l’Eglise.
Il faut que cette présence soit motrice. Autrement dit qu’elle serve à quelque chose : Jésus dit à Pierre : « Mène la barque en eau profonde, jette les filets. » Il ordonne et Pierre obéit : je dois répondre moi aussi à la présence du Christ.
« Venez déjeuner… »
C’est seulement à cette triple condition de la présence de Jésus (une présence réelle, une présence ecclésiale et une présence motrice, dynamisant ma vie) que je pourrai alors entendre l’appel que Jésus me lance aussi du rivage de l’éternité.
Jésus les appelle, dit Jean. A quoi les appelle-t-Il ? La vocation est une vocation à partager le Banquet : « Venez déjeuner… »
Nous voyons toute l’importance qu’il y a de lier notre vie éternelle et notre vie présente. Il est de coutume de dire que nous mourrons comme nous vivons. C’est une manière populaire et simple, rapide de reprendre cette vérité théologique.
Ne comptons pas sur les miracles de la dernière heure : il sera bien temps de se confesser, de communier, de regretter ses fautes ! Si Jésus n’est pas présent dans ma vie maintenant, de manière réelle, ecclésiale, dynamisante, il n’y a aucune raison logique, humaine que dès cette vie j’entende le Seigneur qui m’appelle à venir partager Son festin ! C’est évident !
Il n’y a donc aucune raison que je réponde spontanément comme Saint Jean : « C’est le Seigneur. » C’est à dire qu’il n’y a aucune raison que j’oriente ma personne, comme Pierre qui se jette à l’eau, vers ce Jésus qui est sur le rivage de l’Éternité, et qui devrait représenter la direction, la tendance de ma vie.
Nous devons réfléchir à cela. Si nous n’avons pas le désir du Ciel, et si nous ne savons pas ce qu’est l’espérance, c’est peut-être parce que dans notre vie quotidienne, Jésus n’a pas suffisamment de place.
« Là où est l’Esprit de Jésus, là est Son Eglise. »
Alors, faisons une place à Jésus, une place réelle, concrète, une place motrice, une place ecclésiale.
Qu’est-ce que veut dire une place ecclésiale du Christ ? Est-ce une référence unique à la hiérarchie ? Il ne faut pas réduire ou caricaturer. D’autant plus que la hiérarchie n’est pas toujours un modèle, nous le savons très bien.
Il s’agit de l’Esprit de Jésus : « Là où est l’Esprit de Jésus, là est son Eglise. » Mais il est vrai que l’Esprit de Jésus, c’est la hiérarchie qui nous le donne à travers les sacrements du Baptême, de la Réconciliation, de l’Eucharistie. Logiquement (dans la logique de Jésus-Christ !), c’est cette Église hiérarchique qui transmet l’Esprit Saint, qui est la plus à même de nous guider dans la garde de cet Esprit Saint.
« Ils prirent une telle quantité de poisson… »
Cet Esprit de Jésus, quel est-il ? Là encore, les récits des deux pêches sont révélateurs. Jésus, comme Il le dit Lui-même et comme les prophètes l’ont annoncé, n’est pas venu pour éteindre la mèche qui fume. Jésus n’est pas venu pour faire une sélection, les bons chrétiens à droite, les mauvais à gauche, les riches, les pauvres, les grands, les petits…
Jésus ramasse tous les poissons ! Le tri sera fait plus tard comme dans la parabole du bon grain et de l’ivraie. L’Église, au nom du Christ ramasse tous les poissons au risque de faire rompre les filets, au risque du schisme, au risque de l’hérésie, au risque de toutes ces tensions, ces crises que nous connaissons dans l’histoire de l’Eglise.
Au risque aussi et simplement que les barques deviennent lourdes, pesantes, comme quelquefois nos communautés : pesantes de nos tiédeurs, pesantes de ces chrétiens médiocres, que nous sommes comme tant d’autres… Cela ne fait rien ! Tous les poissons sont pris ! Jésus n’éteint pas la mèche qui fume, ne brise pas le roseau.
Il recueille tous les hommes, c’est ce que l’on pourrait appeler la catholicité, c’est-à-dire l’universalité, de la charité.
L’Eglise catholique est universelle d’abord de cette universalité de la réception, qui est le fruit de l’universalité de l’amour. L’Église, comme le Christ en croix, a les bras ouverts pour accueillir dans son sein -du baptême jusqu’à la mort- tous les hommes de bonne volonté. Même avec leur tiédeur, même avec leur lourdeur, même avec leur trahison…
« Le filet était plein de gros poissons ; il y en avait 153… »
Et c’est grâce à cette catholicité de la charité, à cette patience du Christ dont l’Eglise doit être la représentation perpétuelle que nous pouvons arriver ensuite à une catholicité de la foi, c’est-à-dire une unité dans l’adhésion et dans la vision.
Ainsi l’exprime le nombre symbolique des 153 poissons de la pêche rapportée par Jean. Sont ainsi ramassés les élus, tous les élus, tous ceux qui, comme dit l’Apocalypse, auront obéi et auront reçu le Christ. 153, d’après la symbolique du nombre est la somme des 17 premiers nombres : 17 que nous divisons en deux : 10 d’un côté et 7 de l’autre. 10 : le Décalogue : c’est le monde juif ; 7 : les Dons du Saint-Esprit : c’est le monde païen.
Donc, la catholicité dans l’adhésion au Christ par la foi dépend d’abord de la catholicité de la charité, c’est-à-dire de cette acception de tous. Voilà, l’Esprit de Jésus, voilà comment le Christ doit être présent dans ma vie.
Demandons, en ce troisième Dimanche de Pâques, la grâce de mettre un peu plus Jésus dans nos vies concrètement, ecclésialement, de manière dynamique afin que nous puissions entendre l’appel de Dieu qui, du rivage, nous invite à Son banquet éternel ; afin aussi que nous puissions comme Jean, comme Pierre, comme les apôtres, orienter notre personne, orienter notre vie vers Celui qui nous attend en disant : « C’est le Seigneur ! »
Saint temps pascal à vous tous !
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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