Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.
Lectio divina pour le quatrième dimanche de carême – Laetare
OSERIONS-NOUS PRIVER LE PERE DE LA JOIE DU PARDON OFFERT AU PECHEUR ?
En ce quatrième dimanche de Carême, appelé dimanche de « Lætare » du nom de l’Introït : ‘Réjouissez-vous !…’, les fleurs reviennent pour quelques heures, la musique se fait plus présente pour exprimer la joie. Mais de quelle joie l’Eglise veut-elle donc nous parler, quand Saint Paul nous exhorte à nous laisser réconcilier avec Dieu ? Certes, l’Eglise a essayé, en changeant le nom du sacrement de pénitence en sacrement de la Réconciliation, de nous le rendre plus sympathique. Mais nous approchons toujours avec crainte et tremblement du confessionnal ! Comment pourrions-nous nous réjouir d’aller nous confesser ? Paradoxe de l’évangile…
Accepter d’être le vase de la joie de Dieu
A quelle joie donc l’Eglise nous invite-t-elle ? A une joie humaine, certes et c’est normal, mais qui vient de Dieu, et nous est donnée par Lui. Puisqu’elle vient de Dieu, elle est objective, elle est infinie, sans mesure. Nous avons du mal à nous établir dans cette joie spirituelle. Car nous ne faisons pas de nos personnes un vase dans lequel peut s’engouffrer la joie de Dieu. Mais nous ramenons à nous la joie en faisant de nos personnes le propre moteur de nos joies par notre sensibilité, par notre conscience claire et distincte. En conséquence, lorsque l’épreuve vient, la joie disparaît. Elle est toute subjective, et donc, si l’on pousse jusqu’au bout, sans motif vrai.
Nous avons du mal à croire que la joie, comme toute autre vertu, vient de Dieu. Elle est d’abord joie de Dieu. Cette joie de Dieu est causée par Dieu Lui-même, et Il désire nous la transmettre, nous la faire vivre en plénitude, avec son enracinement divin qui ne passe pas. Comment comprendre comment quelqu’un qui souffre le martyr sur son lit d’hôpital peut encore rester dans la joie, s’il ramène sa joie à sa sensibilité, à la conscience qu’il a de son état ! S’il est dans la joie, c’est qu’il a accepté d’être le vase de la joie de Dieu.
« Le bonheur de Dieu, c’est d’aimer ! »
La joie de Dieu est propre à Sa nature. Le bonheur de Dieu, c’est d’aimer ; et donc lorsque Dieu opère, comme nous le rappelle Paul dans la seconde lecture, la réconciliation de toute l’humanité avec Lui, Il est dans la joie. Dieu se réjouit parce que Son amour, Son amitié pour nous peut être enfin reçue, acceptée, et même Lui être renvoyée dans la réciprocité puisque cet Amour nous a été donné par l’Esprit diffusé en nos cœurs. Lors donc que cette réconciliation s’opère dans le don du Fils, et que la charité de Dieu qui descend sur les hommes peut, des hommes, remonter vers Lui, que l’amitié peut être réciproque entre Dieu et l’homme, entre l’homme et Dieu, alors Dieu se réjouit.
Pour Dieu, l’homme vaut la Vie de Dieu
La Rédemption est le fruit du Cœur de Dieu. Ses entrailles sont bouleversées comme on le voit dans la parabole, quand le père est saisi de pitié pour son fils. Dieu est bouleversé au plus profond de Son Etre, lorsqu’Il considère l’état de l’homme pécheur qui s’en va hors de la Vie ; et Sa détresse de Père est telle qu’Il a tout employé pour récupérer la vie du fils, jusqu’à donner la Vie de Son propre Fils !
Réfléchissons sur cette vérité que, pour Dieu, l’homme vaut la Vie de Dieu, puisque pour racheter l’homme, le Père lui donne la vie du Fils ! Et, lorsque cette réconciliation dans le sang de Jésus est accomplie, lorsque la vie divine peut être redonnée à chacun de nous, lorsque nous pouvons être rétablis dans cette relation de paternité-filiation, lorsque ce ré-enfantement, cette re-création de l’homme nouveau réussissent, apparaît la joie divine dans le cœur et le regard de Dieu.
L’homme est un néant capable de Dieu…
C’est tout l’enseignement de la parabole que je n’appellerai pas du fils prodigue, mais plutôt de la miséricorde infinie du Père. « Un homme avait deux fils… » C’est moi, baptisé, introduit par le baptême, dans la maison de Dieu, c’est-à-dire dans la Vie Divine. « Le plus jeune dit à son père : « Père, donne-moi la part de biens qui me revient… » C’est encore moi qui, lorsque cette proximité de Dieu dans la maison m’oppresse, lie ce que je pense être ma liberté. Alors, je m’éloigne quelquefois de manière subtile ; je détourne mon regard du Père : ce n’est plus Lui l’objet de ma vision, je regarde ailleurs, vers d’autres biens que Sa Vie. Je considère que mon Père est comme mort : Il est inutile. C’est le drame de l’indifférence religieuse dans laquelle s’établissent nos sociétés actuelles. De même, lié à cela, l’individualisme hédoniste me fait penser que Dieu n’a pas le droit d’empêcher l’épanouissement de ma personne, ni même la recherche d’un bien autre que Lui. N’est-ce pas là le péché que de penser que Dieu n’a pas de place dans ma vie ?
Et je m’éloigne… Je m’éloigne vers la mort. L’homme est un néant capable de Dieu, mais si vous supprimez Dieu, il ne reste que le néant. Dès le moment de mon choix, mon Père me regarde partir. Il me laisse libre, mais Il est attristé. Il est saisi de pitié. Ses entrailles se bouleversent parce qu’Il sait très bien que je m’éloigne de la Vie, que je marche vers la mort intérieure, que je m’enfonce dans l’abîme. Comme un poisson hors de l’eau, je cours à l’asphyxie. Tel a dû être le regard de Jésus lorsque, sortant du prétoire, Il vit Pierre qui venait de Le renier : aucune haine, aucune rancune, aucun jugement, mais que de tristesse ! Que de compassion Pierre a dû lire dans les yeux de son Maître !
« Personne ne lui donnait à manger… »
« Alors, il eut faim, et il entra en lui-même et se dit : Je vais retourner vers mon Père. » Le néant de Dieu, l’absence de Dieu se creuse en moi, me creuse et me détruit : « Et personne ne lui donnait à manger. » Devant cette destruction de ma nature appelée dans l’existence pour être enfant de Dieu, personne ni aucun bien terrestre ne peut pallier, ne peut me nourrir substantiellement, ne peut me redonner cette vie filiale. « Personne ne lui donnait à manger… » Voilà encore décrit ici, l’état de nos sociétés délabrées qui suscitent la famine spirituelle encore bien plus dramatique, si l’on peut dire, que la pauvreté économique. Et c’est ce néant dans lequel tombent tant de personnes, qui les transforme en instruments de destruction d’elles-mêmes et souvent aussi des autres… Telle fut l’Histoire de Mouchette écrite par Bernanos…
« Alors, il entra en lui-même et se dit : Je vais retourner vers mon Père, au moins, j’aurai de quoi manger ! » Quel culot de revenir à son père de manière si intéressée ! N’est-ce pas un peu la réflexion que nous nous faisons ? Comment moi, pécheur, oserais-je me retourner vers Dieu après mes trahisons multiples, après mes lâchetés, après mes incohérences ou mes indifférences coupables ? Comment surtout oserais-je me présenter devant mon Père avec une contrition si imparfaite ? Je ne suis pas digne de revenir et de me réconcilier avec mon Père car ce vertige que donne la faim, ce vertige devant le néant que je vois en mon cœur, n’est peut-être bien, après tout, seulement que la peur de la solitude, la peur du jugement dernier, la peur de la mort… Mais est-ce un regret sincère et profond d’avoir péché ?
N’attends pas d’être un saint pour M’aimer, sinon tu ne M’aimeras jamais
Justement, la parabole est là pour nous dire : – Ose… n’attends pas d’être un saint pour M’aimer, sinon tu ne M’aimeras jamais !… Viens…viens… avec tes pauvres motifs, avec ton raisonnement bancal, avec ton intérêt ! Viens… comme le fils prodigue qui, apparemment, revient plus pour la faim que pour le mal commis contre la paternité. Viens, fais un pas, un pas infiniment petit, et Je ferai, Moi, devant toi, un pas infiniment grand… Dès que je te vois initier le retour, J’accours, Je Me jette à ton cou, Je t’embrasse, Je te serre contre mon cœur ! Et, comme Je le révélais à mon enfant Catherine de Sienne, gicle du Cœur de mon Fils le Sang qui va nettoyer ton âme, pour la purifier et lui redonner la Vie.
N’hésite pas, c’est une joie que ton retour Me donne et que Je veux t’offrir
Voilà l’enseignement du Père à travers cette parabole : N’hésite pas… C’est une joie que tu Me donnes. Aussi vais-Je offrir un festin nuptial et te passer la bague de l’honneur au doigt, le vêtement de fête… Parce que tu étais mort et que tu es revenu à la vie, parce que tu étais perdu, et que te voilà retrouvé. Oui, dès que je me retourne vers Lui, quelle que soit la pauvreté de mon cœur, le Cœur le Dieu s’emplit de joie ! Et c’est cette joie qu’Il veut nous faire connaître c’est à dire partager. Nous serons alors, dit Jésus, comme la femme qui, sur le point d’enfanter, est dans la tristesse de la douleur, mais est pleine de joie lorsqu’elle met au monde un homme nouveau ! Dieu est plein de joie à la vue de la brebis retrouvée, à la vue du pécheur justifié, à la vue de l’homme nouveau qui renaît, que Sa grâce a ré-enfanté en notre âme.
Voilà comment nous pouvons relier joie et réconciliation. Si telle est la joie de Dieu, lorsque nous faisons un pas vers Lui, oserions-nous Le priver de cette joie ? Lui qui n’a pas hésité à donner Son Fils, aurions-nous le courage de Lui supprimer la joie de notre conversion ? Allez… Laissons-nous donc réconcilier avec Dieu ! Car, quelle que soit la gravité et l’étendue de nos fautes que notre cœur reproche : « Dieu est plus grand que notre cœur ». Et n’oublions pas : si telle est la joie de Dieu, telle est la même joie qu’Il veut nous faire partager !
N’ayons pas peur, Dieu est plus grand que notre cœur !
Alors, comme nous le demandons dans notre collecte, hâtons-nous !… Hâtons-nous vers la réconciliation… Hâtons-nous pour procurer à Dieu la joie du fils retrouvé… Hâtons-nous pour goûter enfin ce qu’est véritablement la joie chrétienne qui ne dépend pas de mon oubli de la faute, ce qui serait terrifiant, mais qui est certifiée par le fait que Dieu Lui-même m’a pardonné.
Dieu met tellement d’empressement à courir pour se jeter à mon cou ! Il met autant d’empressement que j’en ai eu pour m’éloigner de Lui. La force de Son baiser n’a d’égal que la grandeur de mon péché reconnu et devant lequel je fais volte-face ! La joie de Dieu, lorsque je me retrouve à genoux devant le ministre à qui a été confié le pouvoir de lier et délier les fautes, cette joie de Dieu n’a d’égale que la détresse qu’Il a ressentie lorsque je m’éloignais de Lui. Alors, n’ayons pas peur ! Venons au sacrement de la réconciliation pour y puiser la joie de Dieu que nous Lui aurons donnée, Lui qui a donné Son Fils, pour nous empêcher de mourir à jamais.
Et moi, au nom du Père, du Père des miséricordes, du père du fils prodigue, au nom de Son Fils qui nous a réconciliés par le sang de la Croix, au nom de l’Esprit, qui est l’Esprit de charité, je te pardonne tes péchés…