Lectio divina
Une lectio divina est une commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.
Lectio divina pour le 3ème dimanche du Temps Ordinaire
LE PRETRE, UN HOMME POUR LES HOMMES…
Dans le troisième dimanche ordinaire, l’Eglise nous propose de continuer notre méditation sur l’appel des premiers apôtres. « Aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent… » Mais où ? Le mystère de la fin de cette vocation apostolique est, là encore, lié au mystère de la vocation de l’homme. La Liturgie de dimanche dernier nous enseignait que l’apôtre était appelé pour être au service de l’homme, pour aider l’homme à s’épanouir. C’est l’aspect joyeux, facile et entraînant de la vocation apostolique. Mais il ne faut pas s’arrêter à ce premier aspect des choses.
Jésus, aujourd’hui, fait des quatre premiers disciples des pêcheurs d’hommes. Nous savons la difficulté de ce métier : sortir par tous les temps, réparer les filets à peine rentrés et vendre médiocrement le produit de la nuit… Jésus nous dit ainsi que la vocation apostolique n’est pas seulement une aide à l’épanouissement de nos concitoyens. Il y a quelque chose d’autre…
Le prêtre, un homme pour nous aider à vivre selon l’Amour divin
Dans la collecte, nous demanderons à Dieu la grâce de vivre Son amour au nom de Jésus, c’est-à-dire par le moyen de l’Unique Médiateur, l’Unique Prêtre et donc par le moyen de ceux qui participent à Son Sacerdoce : les prêtres, les apôtres. Voilà donc résumée la vocation apostolique dans son aspect crucifiant : le prêtre est là pour aider l’homme à vivre selon l’Amour de Dieu. Et ce n’est pas chose facile car l’homme n’est pas toujours prêt à vivre selon l’Amour de Dieu ou dit autrement, selon Sa Volonté.
Comment peut-il se faire que l’homme ne puisse vivre selon l’Amour de Dieu ? Objectivement ce n’est pas possible ! L’homme ne peut refuser un amour vrai au plan humain ; à plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’Amour divin. Si donc l’homme se cabre et refuse de vivre sa vie selon l’Amour divin, c’est qu’il doute de la véracité de cet Amour et n’en accepte pas alors les désirs ni les propositions.
C’est un sentiment très répandu dans le cœur des hommes de douter de l’Amour de Dieu. Pourquoi ? Essentiellement parce que l’homme voit, et très souvent subit, les souffrances, le mal. Et de ce mal, de ces souffrances, il rend Dieu responsable : puisque Dieu est Tout-Puissant, s’Il nous aime, pourquoi permet-Il que nous souffrions ? Combien d’entre nous n’ont-ils pas tenu ce raisonnement !
Lorsque je vois les guerres, lorsque je vois cet enfant atteint d’une mortelle maladie, comment puis-je croire en la véracité de l’Amour de Dieu pour les hommes ? Si je pense que Dieu est responsable de nos maux, j’ai raison de ne point pouvoir L’aimer… Mais si nous nous trompions ? Si nous faisions erreur, si Dieu, en fait, n’était pas responsable de ce mal, de cette souffrance, de ce non-être (car le mal, c’est du néant, du non-être) ? Alors, quelle erreur ferions-nous de Lui refuser notre amour !
Dieu peut créer, mais Il ne peut décréer
Or Dieu ne fait pas le mal, Il n’est pas responsable de la souffrance. Dieu donne la vie, Dieu donne l’être : Dieu ne peut donner le néant, Il ne peut créer le non-être, Il ne peut faire le ‘non-faire’. C’est absurde ! Non, Dieu n’est pas responsable du mal, des souffrances qui nous atteignent : Il peut créer, mais Il ne peut ‘décréer’. Et s’Il ne peut faire le mal, Il ne peut pas, non plus, châtier contrairement à ce qu’une lecture superficielle du texte de Jonas pourrait nous faire croire. Faire des guerres ou des maladies des châtiments de Dieu, c’est Le rendre responsable directement du mal : ce n’est pas possible. Dieu ne châtie pas et ne reproche jamais rien : Il laisse cela à notre conscience.
Si Dieu ne fait pas le mal, s’Il ne crée pas la souffrance, ne châtie pas, quelle place occupe-t-Il dans le mystère du mal ? Dieu est la première victime du mal ! Dieu est comme la mère devant son enfant qui souffre. Parce qu’Il est notre Père et notre Créateur, Dieu, devant notre souffrance, souffre. Et Il souffre plus que nous, comme la mère souffre plus que son enfant car elle est plus consciente du mal qui le ronge. Le mal, c’est la tragédie de Dieu avant d’être la tragédie de l’homme. Dieu, devant les souffrances humaines, compatit. Il n’y a pas de blessures humaines, il n’y a pas de souffrances humaines, il n’y a pas de guerres ni de morts qui n’atteignent et ne blessent la tendresse de Dieu.
La cause du mal et de la souffrance : le refus de l’homme d’être aimé de Dieu
Si Dieu ne fait pas le mal, si Dieu souffre Lui-même (et plus que nous) du mal qui nous atteint, pourquoi ne l’empêche-t-Il pas ? Pourquoi le permet-Il ?
Pour répondre à cette question, procédons comme les médecins : essayons de découvrir la racine du mal en dépassant les seuls symptômes. D’où vient la souffrance ? D’où vient le mal ? D’où vient le non-être ?
Et pour tenter d’apercevoir cette origine, fixons notre œil sur l’endroit où il nous révolte le plus, où il est à son apogée. C’est ainsi que nous aurons peut-être la chance de dévoiler sa nature et donc sa cause profonde. Où le mal se manifeste-t-il le mieux si ce n’est dans la souffrance et la mort de l’innocent ? L’innocent est pur. Et dès que le mal touche la moindre parcelle de cet être pur, il le blesse et fait jaillir son sang car lorsqu’une réalité est plénitude la moindre égratignure se remarque. Ainsi en va-t-il des œuvres d’art matérielles. Ainsi en va-t-il pour l’œuvre de Dieu qu’est l’homme, âme et corps.
Quel est l’innocent ? Bien sûr nous pensons immédiatement – et avec une certaine justesse – à l’enfant, à nos enfants, à ces petits qui souffrent des guerres, des famines, de la pauvreté comme des conflits. Oui, nous avons raison de penser ainsi. Mais cette innocence-là, elle relève plutôt de l’ignorance.
La véritable innocence est celle de l’homme mûr qui agonise et donne sa vie volontairement. C’est pour cela qu’à cette éternelle enfance de Dieu dont parle Claudel à l’instant de sa conversion, Pour Bernanos, cette innocence totale, cette éternelle enfance, cette clarté du matin de Dieu, où la trouve-t-on vraiment, dans toute sa responsabilité, dans toute sa liberté, si ce n’est au Jardin de l’Agonie ? C’est là où l’on voit Qui est l’Innocent. En contemplant cet être pur offrant libéralement Sa vie, Son corps et Son sang, on comprend quelle est la cause du mal : Jésus a prêché l’Amour de Dieu pour l’homme, Il a manifesté cet Amour. Si donc Jésus, qui est innocent, souffre et meurt, c’est parce que l’homme refuse Son message, l’homme refuse l’Amour de Dieu ! La raison de la souffrance humaine (physique, morale), la raison de la mort humaine, c’est le non-amour, c’est le refus d’être aimé de Dieu. Autrement dit, c’est le péché. Nous retrouvons saint Paul quand il nous dit que le péché est entré dans le monde et, par le péché la mort. C’est donc le mal qui engendre le mal, les maux, les souffrances. D’abord à travers Jésus qui agonise, puis à travers tous les hommes qui participent aux souffrances du Christ, qui continuent dans leurs corps ce qui manque à Sa Passion.
Jésus, dans Son Agonie, et par elle, n’est pas venu supprimer la souffrance, mais éclairer son mystère en nous en dévoilant la cause : non pas Dieu mais l’homme par son refus de recevoir l’Amour divin !
Dieu prend le risque de la liberté
Mais la question attend toujours sa réponse : pourquoi Dieu n’a-t-Il pas empêché ce Mal qui est à l’origine de tous les maux dont Son Fils fut la première victime sur la croix, et dont les hommes supporteront, la plupart du temps sans comprendre, le poids écrasant ?
Parce que Dieu a créé le monde par amour et libre pour qu’il puisse répondre du fond de son cœur à cet Amour divin ! En effet il n’y a pas d’amour s’il y a contrainte ; si je suis obligé d’aimer, je ne peux vraiment aimer. Alors Dieu prend le risque du Mal, Dieu prend le risque de tous ces maux qui nous assaillent, Il prend le risque des souffrances car Il prend le risque de la liberté pour permettre l’amour véritable ! Oui, le prix de cette liberté, de cette possibilité de L’aimer du fond de mon cœur d’homme, ce sont les souffrances et la mort de Son Fils !
A côté des souffrances et de la mort de Jésus-homme qui, parce qu’Il assume la condition du pécheur, prend sur Lui toutes nos souffrances et toutes nos agonies, Jésus-Fils de Dieu, souffre aussi et surtout à la manière de Dieu. Il souffre de cette compassion divine que j’évoquais précédemment. Dans Son agonie, Jésus est atteint par tous les coups qui frappent l’homme et donc, par là-même, par tous ces coups qui touchent Dieu. La véritable souffrance, cachée mais combien infinie de Jésus, c’est celle du Cœur de Dieu ; c’est cette compassion devant le Mal qui nous ronge et les maux et les souffrances qui nous brisent.
Le prêtre accompagne Jésus dans Son innocente Agonie
Nous touchons là la fin véritable de la vocation sacerdotale. Où l’apôtre va-t-il suivre Jésus si ce n’est dans cette agonie qui lui fera voir, non seulement son propre mal, son péché mais aussi le poids du mal sur ses frères ?
Non pour les juger, bien évidemment. Lorsque Jésus crie « Convertissez-vous », ce n’est ni un jugement des hommes qui Le condamnent ni la crainte de cette mort qu’Il voit venir comme don des hommes. Non ! Le cri de Jésus est le cri de la compassion de Dieu ! « Nous sommes tous touchés par le péché » fait dire à Chantal, Bernanos dans La Joie. Oui, nous sommes tous touchés par le péché : soit que nous y participions, soit que nous en voyions le poids et l’horreur sur les épaules des autres. Et disant cela, la jeune fille expliquait l’attitude de l’Abbé Donissan qui vit sous le soleil de Satan, qui vit et qui voit, comme le Curé d’Ars, le mal contre lequel le pécheur a tant de mal à lutter.
Suivre Jésus pour le prêtre, ce n’est pas seulement refuser des plaisirs légitimes tels que les joies du mariage, la joie des enfants. C’est s’enfoncer (sans toujours le désirer et sans en être digne mais parce qu’il est comme attaché, lié au sacerdoce du Christ) dans l’innocente Agonie du Grand Compatissant. C’est ce qui faisait dire au Curé d’Ars : « Si j’avais su ce que c’est d’être prêtre, jamais je n’aurais accepté. »