Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.
Lectio divina pour le deuxième dimanche de carême
« Le Carême? un temps pour devenir parole de Dieu! »
Le dimanche de la Transfiguration est la preuve que notre Carême n’est pas seulement et avant tout un temps de pénitence. C’est aussi et surtout un temps de proximité à Dieu, un partage dans le « secret » avec le Père qui m’enseigne que la relation qu’Il veut avoir avec moi est une relation d’amour et de vie ! Nous sommes habitués, avec nos relents de jansénisme gallican, à considérer le Carême dans son aspect purgatif sans comprendre que cet ascétisme est orienté vers la vie, et qu’à chaque fois que l’Eglise nous montre la Croix – comme ce fut le cas dimanche dernier – c’est pour nous montrer aussi le partage de Vie auquel nous sommes appelés à la suite du Fils – comme avec ce deuxième dimanche, dit de la Transfiguration.
La Transfiguration, un appel à nous laisser remplir de la Lumière divine
Quelle révélation nous donne le mystère de la Transfiguration ? Il nous révèle que Jésus, l’Homme nouveau, l’homme parfait et parfaitement homme est investi d’une telle plénitude de la Vie de Son Père que Son âme, que Son corps – ce corps de chair qui fut le nôtre -, resplendit, se transfigure au sommet de la montagne. Et c’est donc pour nous un appel, un appel violent, un appel fougueux que Dieu nous fait en disant : – Puisque mon Fils, homme, est effectivement glorifié, en anticipation de Sa résurrection, c’est que tout homme qui participe de la même chair est appelé à la même gloire ! Il est appelé au même titre que mon Fils, au même partage plénier et sans mesure de la Vie qui est ma vie de Père.
Nous ne pouvons pas contempler cette Transfiguration de l’Homme nouveau sans, en même temps, ressentir cet appel que Dieu nous lance à la transfiguration de notre âme, de notre corps, par l’investissement total de ce corps, de cette âme par la vie du Père que nous partageons avec Lui. Quelle révélation en plein Carême, en plein temps de pénitence !
« Ils ne virent plus que Jésus seul »
Bien sûr, nous répondons de suite, et nous disons, comme Philippe le dira à Jésus : « Montre-nous le chemin pour que nous puissions Te suivre » ! Et Jésus de répondre : « Je suis, je suis le chemin, la Vérité, la Vie », comme pour rappeler la phrase de l’évangile de ce jour, retranscrite dans Saint Luc : « Ils ne virent plus que Jésus seul. » Seul Jésus, premier-né de toutes les créatures, seul Jésus, « médiateur unique entre Dieu et les hommes », seul Jésus premier des ressuscités et premier des transfigurés peut nous enseigner la voie de la Transfiguration qui nous est promise. Jésus seul. Jésus seulement.
Alors, si nous fixons le regard sur Jésus seul et que nous essayons de pénétrer ce cheminement d’homme qui traverse cette transfiguration pour aboutir à la Résurrection et à la glorification dans le mystère de l’Ascension, que voyons-nous ? Nous voyons Jésus sur la montagne. Jésus monte pour être seul.
Première difficulté dans nos vies : nous n’aimons pas être seuls. Nous aimons bien les certitudes, humaines, matérielles, les certitudes du cœur, les certitudes de l’esprit, les certitudes du corps ; nous aimons bien assurer nos lendemains tant dans notre subsistance corporelle que dans l’évolution de notre esprit, que dans le mouvement de nos tendresses. Jésus, Lui, monte pour être seul.
Seul mais avec la Parole. Comme Moïse montera au sommet de l’Horeb pour recevoir la Parole de Vie, comme Elie montera au sommet du même Horeb pour recevoir la visite de Dieu, Jésus monte pour être seul avec la Parole de Dieu, avec la Parole de Vie. Souvenons-nous de ce que dit Yahvé : « Je te donne les paroles de la vie pour que tu aies la vie. »
La Parole est transfigurante car elle est créatrice…
Deuxième difficulté : Que représente pour nous la Parole de Dieu ? Nos bibles sur un rayonnage de bibliothèque ? Des textes fort anciens et inintéressants ? Voici que Jésus se présente seul au Thabor entouré de Moïse qui représente la Loi, et d’Elie qui représente les Prophètes, autrement dit, entouré de la globalité de la Parole de Dieu. Lorsque je regarde Jésus seulement, que je fais abstraction de tout ce qui fourmille et grouille dans la plaine humaine, que je fixe mon regard sur le Thabor, je vois Jésus seul avec cette Parole de Dieu qui L’entoure dans une proximité extraordinaire.
Cette apparition, cette Transfiguration de Jésus à côté de Moïse et d’Elie, est le signe que c’est la proximité à la Parole de Dieu qui est l’énergie motrice de la Transfiguration du Christ. Oui, parce que Jésus est proche de la Parole de Dieu, Il est transfiguré !
« Choisis la Vie !… »
Troisième difficulté de notre vie chrétienne : nous aimerions nous transfigurer par nous-mêmes, par nos propres forces, par nos combines – même nos combines spirituelles -, mais se dépouiller à ce point-là de recevoir la transfiguration d’un autre, de cette Parole qui pénètre le cœur comme un glaive à deux tranchants, que c’est difficile !
Car cette proximité de Jésus à la Parole de Dieu n’est pas une proximité externe. Nous pouvons être très forts en exégèse, nous pouvons compiler des milliers et des milliers de pages pour essayer de structurer notre intelligence par rapport à la Parole de Dieu, mais ce n’est pas de cette proximité là qu’il s’agit. Jésus n’est pas un exégète. Les scribes, les pharisiens étaient les docteurs de la loi, les commentateurs de la Parole de Dieu. La proximité de Jésus à la Parole de Dieu est une proximité interne, c’est la proximité de l’achèvement, de la réalisation, de l’accomplissement. Jésus le dit Lui-même : « Je ne suis pas venu abolir la loi, (Moïse), ni les prophètes (Elie) : « Je suis venu accomplir », c’est-à-dire porter à l’achèvement, réaliser en plénitude cet enseignement donné par mon Père depuis les origines. La Transfiguration de Jésus est la conséquence de cet achèvement de la Parole de Dieu, parce que la Parole de Dieu est créatrice, c’est une Parole de Vie. Ce ne sont pas des commandements comme nous l’entendons au sens d’une loi positive. Dieu nous donne Sa Parole parce que Sa Parole est Sa Vie et pour que, par Elle, nous nous quittions nous-mêmes et que nous nous retournions vers Lui et que nous entrions dans Sa Vie.
La Parole est la matrice du jeûne, de la prière et du partage
La Parole de Dieu est une Parole pénitentielle, qui nous incite à nous détacher de notre corps, de nos besoins terrestres pour regarder le Ciel. Une Parole de prière qui nous incite à tourner notre esprit vers Dieu et non pas vers nous-mêmes ; une Parole de partage qui nous incite surtout, comme le premier dimanche de Carême l’a souligné, à tourner notre cœur vers l’Unique Nécessaire qui puisse satisfaire l’infinie spiritualité de notre âme, la capacité infinie que nous avons d’aimer.
La Parole est axée sur ces trois points que Jésus accomplit d’ailleurs sur trois monts. C’est au mont de la Quarantaine que Jésus accomplit cette Parole de pénitence : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
C’est au mont des Oliviers que Jésus va accomplir la Parole de prière : le retournement de Son esprit vers le Père dans cet enseignement magnifique de la prière dominicale : « Quand vous priez dites : Notre Père… »
Et enfin, comme le point d’orgue, c’est au mont du Golgotha que Jésus tournera parfaitement Son cœur vers Dieu et vers les hommes en accomplissant la Parole de Charité : « Tu aimeras ton Dieu et ton prochain de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit. » Voilà de quelle manière Jésus achève, non pas dans des discours – « Pas un iota ne changera de la loi » -, non pas dans une philosophie, mais dans la réalisation, ces Paroles de vie que le Père a données au peuple juif dont Il est le représentant dans toute sa pureté.
Il accomplit ce retournement du corps, ce retournement de l’esprit, ce retournement du cœur pour être tout à Dieu, pour pénétrer, par la Parole vécue, dans la Vie de Dieu.
La Parole de Dieu reste encore à être accomplie en moi
Alors, si nous désirons arriver nous aussi à cette transfiguration que Dieu nous promet, nous devons nous aussi accomplir la Parole. Nous devons réaliser en nous cette Parole de pénitence, cette Parole de prière, cette Parole de Charité pour nous quitter nous-mêmes, pour tourner notre esprit, pour tourner notre cœur vers le Cœur de Dieu.
Et ne croyons pas que tout soit accompli en Jésus ! C’est vrai que la Parole de Dieu est achevée parfaitement en elle-même dans la vie du Christ, mais rappelons-nous ce que dit Saint Paul : « J’achève en mon corps ce qui manque à la Passion de Jésus », ce qui manque dans le lieu, dans l’espace, dans le temps. Ce que la Tête a accompli, les membres doivent l’accomplir. La Parole de Dieu reste encore à réaliser, reste encore à être achevée, à l’exemple de Jésus. Et en Jésus de manière à ce que non seulement la Tête, mais le Corps qui est l’Eglise puisse entrer dans la plénitude de Dieu.
De même que Jésus a accompli la Parole de l’Ancien Testament, je dois accomplir cette Parole de Dieu. Je dois donc accomplir la Vie du Christ, Parole incarnée et Parole vécue. Je dois moi aussi, monter au mont de la Quarantaine, je dois moi aussi monter au mont des Oliviers avant que de monter au Golgotha. Je dois continuer en moi les mystères de Jésus, je dois réaliser en moi ce que Jésus a réalisé.
La vie baptismale ou l’accomplissement de la Parole
Ce qui est extraordinaire, c’est que pour ce faire, j’ai reçu à mon baptême et je reçois à chaque confession, à chaque Eucharistie, l’Espérance qui me dépouille un peu des besoins terrestres pour me tourner vers le Ciel au mont de la quarantaine. Je reçois la Foi qui tourne l’esprit vers la Lumière de Dieu, vers la connaissance de la divinité. Et je reçois surtout la Charité qui tourne mon cœur au Golgotha vers mon Père.
Cette Espérance, cette Foi, cette Charité, c’est exactement la même grâce dont Jésus vit, comme le rappelait Paul aux Ephésiens : « La puissance infinie qu’Il déploie pour les croyants » (Eph 1, 19). Je reçois la même Vie divine que Dieu a donnée à Son Fils, dans la consécration de Son Esprit Saint, pour accomplir avec ce Fils, dans l’Esprit, la même réalisation de la Parole de Dieu qui est une Parole de Vie, qui est le chemin vers ma transfiguration, c’est-à-dire vers l’investissement total de mon âme, de mon corps, de mon esprit, de mon cœur, par la Vie divine.
C’est par l’Espérance que je monte au mont de la quarantaine, ce n’est pas par mes propres forces. C’est la Foi qui me fait, au mont des Oliviers, accomplir la Parole de Dieu : « Un seul Dieu tu invoqueras… » Notre Père qui es aux cieux… Et c’est par la Charité que je peux moi aussi participer à la Croix de Jésus.
Accomplir la Parole, accomplir la Parole de pénitence, de prière, de Charité, monter avec Jésus sur la montagne pour être seul avec cette Parole proche, cette Parole qui est en moi et que je fais mienne librement, pour partager la Vie de Dieu. Voilà ce qui me permettra, comme dit la prière de la collecte, de discerner la gloire de Dieu, c’est-à-dire de participer à cette gloire : « Donne-nous, Seigneur, la foi, donne-nous de comprendre Ta Parole, de la prendre avec nous pour que nous puissions discerner Ta gloire, pour que nous puissions participer de la transfiguration, de la résurrection de la chair. »