Ou alors, peut-être nous trompons-nous de route ? Et plus nous avançons sur ce que nous pensons être la route de la rencontre, plus, en fait, nous nous éloignons de Jésus qui n’est pas sur la même route !
Notre route n’est-elle pas, en fait, une route éthérée de fausse mystique, alors que la route de Jésus-Christ serait une route très concrète, profondément humaine ?
Nous avons l’art de séparer dans nos journées notre temps de prière de ce qui nous regarde, en propre ; notre petit Je vous salue Marie du matin, et ensuite nos activités familiales et professionnelles qui n’ont rien à voir avec le Christ. Nous allons à la Messe du dimanche, mais quelle est la diffusion de cette pseudo-rencontre avec le Christ dans notre semaine ? Nous vivons la semaine après comme avant, sans aucun changement !
« Venez à moi vous tous qui peinez… »
Mais si en fait, Jésus venait sur une route qui n’est pas celle que nous imaginons pour Le rencontrer, mais qui est véritablement la route des 24 heures de notre vie quotidienne, alors Il serait bien plus facile de Le rencontrer et nous n’aurions pas l’excuse fallacieuse du manque de temps ! Combien de fois, en effet, disons-nous que nous n’avons pas le temps de prier !? Comme s’il fallait du temps pour aimer Dieu, comme si cela prenait du temps pour aimer quelqu’un !…
Regardons l’Évangile et essayons de voir si Jésus-Christ ne vient pas sur une route finalement beaucoup plus proche de la nôtre que nous ne l’imaginons.
« L’an 15 du règne de Tibère… »
« L’an 15 du règne de Tibère, Pilate étant gouverneur, Hérode étant roi… » N’y a-t-il pas dans ce tableau la première preuve que Dieu vient dans l’histoire de l’homme ? Non seulement Dieu s’incarne, ce qui est déjà magnifique, mais Il prend chair de manière irréfutable, dans un contexte, au milieu d’évènements que l’on ne peut pas renier, que l’on ne peut oublier : Pilate, Tibère, Hérode, ils ont existé !
Dieu a pris un peuple, Dieu s’est choisi une langue, une race ; la race juive, l’araméen, et la modeste bourgade de Nazareth, dans une époque qui est inscrite dans l’Histoire. Oui, c’est dans l’Histoire que Dieu s’incarne.
C’est non seulement dans l’Histoire que Dieu vient à notre rencontre, mais à travers l’Histoire. Lorsque le Fils de Dieu vient sur notre terre, Il ne vient pas comme un deus ex machina, comme une révélation subite, une réponse à un problème…
Il a été annoncé, Il a été préparé, Il a été désiré dans le cœur des hommes. Écoutons Baruch. Et regardons bien sûr le Baptiste, l’homme de l’Avent ! Y-a-t-il quelqu’un qui soit plus homme que le Baptiste, plus viril ? Jésus le dit Lui-même : « parmi les enfants des hommes, chair de la chair de la femme, il n’y en a pas un qui soit plus grand que le Baptiste », lui qui a rempli le monde, -face à Hérode-, de sa présence, de sa voix, de son message. Il L’a annoncé à la suite des prophètes et comme le dernier des prophètes, comme ces hommes dans une histoire d’hommes (le peuple d’Israël), dans une humanité qui a progressé pendant des centaines d’années. Comme les prophètes, il a préparé les hommes et l’Histoire, à recevoir un Homme dans l’Histoire. Pour sauver cette Histoire, pour sauver les hommes, et non pas des anges… Et le message est passé !
« Convertissez-vous… »
Et quel est ce message ? « Convertissez-vous. » Qu’est-ce que cette conversion dont nous parle Baruch, dont nous parle Isaïe, dont nous parle Jean-Baptiste ?
« Se tourner vers », se tourner vers Dieu. Cela ne veut pas dire : tourner le dos à la vie ! Ce n’est pas une démission qu’on nous demande. C’est absurde de penser qu’il faille abandonner sa vie pour suivre le Christ puisque le Christ est venu dans cette vie pour nous donner la Sienne ! C’est pourquoi Il dira : « Celui qui me suit… aura la lumière de la Vie ! » Il n’y a rien de plus vivant que la Vie de foi ! La preuve en est que le fruit de la foi, c’est la charité ; or l’amour est bien ce qui accomplit l’homme dans la joie !
C’est là que nous voyons qu’il y a deux routes parallèles : C’est dans notre vie que nous rencontrons Dieu, dans ces 24 heures quotidiennes, et non dans la minute mystique, qui nous élèverait soi-disant vers un Dieu abscons, car camouflé dans le spirituel et n’ayant aucun rapport avec notre agir humain, nos relations sociales, notre cœur, notre intelligence, nos facultés et nos choix, l’art, la culture, l’économie…
Soyons logiques : notre vie ne peut pas être un obstacle à la rencontre de Dieu puisque Dieu vient dans la vie ! C’est donc dans cette vie que nous rencontrons Dieu. C’est dans la politique, c’est dans l’économie, c’est dans la culture, c’est dans la Cité, c’est dans la famille, dans ce qui fait véritablement notre journée du matin jusqu’au soir avec les joies, les difficultés, les problèmes, les souffrances.
Dieu est toujours déjà là !
Voilà le message de l’Incarnation. Et voilà pourquoi nous ne rencontrons pas suffisamment Jésus : car nous Le cherchons là où Il n’est pas !
Jésus, je ne Le rencontre pas seulement au confessionnal. Je Le rencontre dans la rue, je Le rencontre dans mon cœur, je Le rencontre dans ma cuisine, dans l’éducation de mes enfants, dans mon travail, dans mon implication à faire vivre la Cité, etc.… C’est beaucoup plus compliqué, difficile à assumer parce que cela nous occupe 24 heures sur 24. Mais c’est aussi plus simple, car Il est toujours déjà là, à nos côtés, face-à-face…
Il ne s’agit plus de donner une heure de présence à Dieu par la Messe du dimanche. Il s’agit que tout notre dimanche soit chrétien et que toute la semaine qui s’enracine dans le dimanche le soit aussi. Il faut que nous arrivions à voir en ces heures qui passent, et qui sont souvent difficiles à vivre, le moyen et le lieu de rencontrer le Christ !
Cela ne se fait pas sans Dieu. Cela ne relève pas de la psychologie ou de l’intelligence seule, livrée à elle-même. Cela relève de la grâce. Comme le rappelle le prophète : « Dieu conduit Israël. » Nous devons être debout, à Sa suite, nous laissant mener, nous laissant prendre la main par Sa grâce qui nous guide.
« Tout est grâce ! »
Car c’est cela la grâce. C’est Dieu qui peut m’aider par la lumière de la foi, par la force de la charité, à transformer le ravin comme la montagne en voie où je rencontre Jésus et, par Lui, le Père. Il faut au contraire que je me précipite, à la lumière de la foi et de la charité, sur l’obstacle, qu’est le ravin ou la montagne. Car je sais que si j’accepte d’être conduit par la grâce de Dieu, si j’accepte, en voyant ravin et montagne, de dire et vivre le « Tout est grâce », de sainte Thérèse, alors je rencontre Jésus et par Lui je remonte doucement mais réellement vers le Père !
C’est difficile car nous n’avons pas l’habitude de raisonner ainsi. Il faut le demander. Il faut mendier cette grâce aujourd’hui. C’est notre collecte de la Messe : « Donne-nous l’intelligence du cœur pour ne pas être ensevelis par les tâches présentes… » Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire ces tâches, mais que nous pouvons, à travers ces tâches présentes, rencontrer le Fils qui vient vers nous pour s’unir à nous.
C’est cette connaissance vraie dont nous parle Paul. Cette connaissance vraie est connaissance du cœur, c’est-à-dire posée dans la confiance d’enfant qui nous fait percevoir les ravins et les montagnes de notre vie comme les points privilégiés de notre rencontre avec Jésus.
Pour que cette vie qui est nôtre, notre famille, notre Cité, notre pays, soient véritablement rédemptés par le Salut que Jésus est venu nous apporter dans l’Histoire !