Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
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DANS LE ROYAUME DE DIEU, LES GRANDS SONT LES PETITS !…
Lectio divina pour le 29ème Dimanche Ordinaire
Is 45, 1-6 1Th 1, 1-5 Mt 22, 15-21
Nous venons d’entendre un des passages de l’Évangile les plus célèbres et les plus cités depuis que l’Église existe et qu’elle a une histoire, histoire mêlée par ses grâces et par ses faiblesses à l’histoire du monde, à l’histoire des hommes et donc à l’histoire politique : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »
Telle est la phrase que le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel se disputent depuis 2000 ans pour arguer de leur indépendance. C’est tantôt le gouvernement tantôt l’Église qui usent de cette arme pour défendre leur terrain de chasse… Quel que soit le but avec lequel les hommes utilisent cette petite phrase de Jésus, celle-ci est prise pour une identification entre Dieu et César : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Donc nous divisons le monde en deux parties égales : le monde de la politique avec ses chefs d’État et le monde du spirituel avec son chef, le Pape et les évêques. Un pouvoir temporel et, en contrepoids un pouvoir spirituel.
Mais est-ce que c’est finalement une interprétation juste que cette identification entre César et Dieu ?
« Fais-nous toujours vouloir ce que tu veux. »
C’est vrai que lorsqu’on entend la Collecte qui ouvre l’Eucharistie il semblerait qu’avec le Christ l’Église elle-même nous pousse à cette identification puisque nous avons demandé à Dieu la grâce de pouvoir Le servir, Lui et Sa gloire, d’un cœur sans partage. Nous avons aussi demandé la grâce de vouloir ce qu’Il veut. Ne sont-ce pas là des éléments qui tendraient à faire de Dieu un tout puissant, un pharaon, un maître ayant avec les hommes la relation que les rois de ce monde ont avec leurs sujets, une relation d’esclavage, de pouvoir totalitaire ? Vouloir ce que Dieu veut, servir, Le servir dans Sa gloire, n’est-ce pas une soumission liée à une diminution de notre liberté ?
Justement, le Christ fait le partage et la différence. Il dit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Il ne dit pas : -Rendez à César comme vous rendez à Dieu, ou -Rendez à Dieu comme vous rendez à César ! Il distingue bien César et Dieu. Il y a donc, dans l’esprit du Christ, une distinction dans la relation que l’homme a avec le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, le roi d’un côté et Dieu de l’autre.
« Que le plus grand d’entre vous soit le serviteur… »
Quelle différence y a-t-il entre la relation de l’homme à César et de l’homme à Dieu ?
Jésus la définit au chapitre vingtième de Matthieu disant à Ses apôtres : « Les grands se font servir et règnent en maîtres ; pour vous qu’il n’en soit pas ainsi mais que le plus grand d’entre vous soit le serviteur et que le premier soit le dernier. »
Il y a donc une opposition totale entre la manière dont l’homme est appelé habituellement à servir son maître temporel et la manière dont l’homme est appelé par vocation à servir son Roi spirituel.
Dans le monde de l’homme, dans le monde temporel, nous servons le Prince à travers les grands qui le représentent. Songeons donc aux Grands d’Espagne, dénomination qui veut bien dire ce qu’elle veut dire ! Ce sont des hommes de haute dignité qui représentent le pouvoir du roi ou du Président. Le peuple sert la monarchie à travers le biais de ces Grands qui ont une certaine juridiction temporelle.
« Celui qui accueille un enfant m’accueille »
Alors que le service de Dieu se fait à travers les petits, ceux que Jésus appelle les enfants : « Celui qui accueille un enfant m’accueille », moi le Fils de Dieu. Et encore : « Celui qui donne un verre d’eau à cet enfant c’est à moi qu’il le donne. »
L’enfant, pour Jésus, c’est bien sûr l’enfant. Mais c’est aussi tous ceux qui sont petits, humbles, pauvres, malades. C’est l’étranger oui, pas forcément l’étranger maghrébin ou yougoslave ; c’est celui qui n’est pas de notre cité, celui qui n’est pas de notre classe ou niveau social, celui qui n’est pas de notre région… Ce sont les orphelins, ce sont les veuves, ce sont tous ces gens qui, dans nos villes mais souvent isolés, sont à la merci des peines, des injustices, des rebuffades.
Yahvé s’emploie de nombreuses fois, dans l’Ancien Testament déjà, à recommander au peuple juif d’être accueillant avec le pauvre, de payer le salaire avec justice, d’accueillir l’étranger, de soutenir la veuve et l’orphelin…
Dans le royaume de Dieu, les grands sont les petits.
Dans le monde spirituel on s’approche de Dieu par les petits. La relation de l’homme au Prince se situe donc à l’opposé de la relation de l’homme à Dieu.
Pour vivre cette relation à Dieu, l’homme doit faire preuve d’une très grande liberté d’esprit. C’est pour cela qu’avec la prière sur les offrandes, avant d’entrer dans le rite eucharistique proprement dit nous demanderons à Dieu la liberté d’esprit pour le servir en plénitude à l’autel.
Pas seulement à l’autel de l’église, mais à l’autel de notre cœur, c’est-à-dire dans toute notre vie quotidienne !
La liberté d’esprit c’est ne pas faire acception des personnes, ne pas considérer le pauvre de manière médiocre parce qu’il est pauvre et le riche d’une manière particulière parce qu’il est riche. Nous sommes naturellement un petit peu comme ça : notre regard, notre sourire, notre générosité varieront selon que notre interlocuteur est un homme de bien, sociologiquement, économiquement, moralement, physiquement parlant…
Soyons honnêtes ! Pour vivre la relation que nous demande le Christ, la relation de l’homme à Dieu, il ne faut pas faire acception des personnes. Il faut être comme Dieu Lui-même !
Curieusement, les scribes qui viennent interroger Jésus ne s’y trompaient pas ; ils disaient : « Toi qui juges droit parce que tu ne fais pas acception des personnes. » Sans le savoir ils prophétisent comme plus tard Caïphe le fera pour la mort de Jésus. Sans le vouloir ils donnent à Jésus le titre même de Dieu : celui qui regarde en profondeur, celui qui sonde les reins et les cœurs, celui qui accueille le pauvre comme on accueille le riche.
La foi, c’est voir Dieu à travers les évènements de ma vie
Il nous faut donc, pour entrer dans cette relation de l’homme à Dieu, pour faire partie du royaume de Dieu, pour servir Dieu, avoir cette liberté d’esprit c’est-à-dire ce regard que Dieu pose sur chacun et chacune d’entre nous. Il faut avoir la foi, comme rappelle saint Paul dans son épître aux Thessaloniciens.
C’est cela la foi. Ce n’est pas seulement réciter son Credo. La foi, c’est arriver à voir Dieu à travers les évènements de ma vie, c’est arriver à voir ce regard de Dieu, ce regard de Jésus sur l’homme et sur le monde qui est un regard de rédemption. C’est un regard de miséricorde qui plonge sur le pécheur, le publicain comme le pharisien !
Cette relation de l’homme à Dieu dans ce service de Dieu à travers les frères les plus petits, les plus humbles est un thème tellement fondamental pour le Christ qu’il y revient à plusieurs reprises dans l’Évangile.
« J’étais nu et vous m’avez habillé, j’étais seul et vous m’avez visité… »
Ce sera même le thème du jugement dernier, le thème qui sera choisi pour l’Évangile de notre fête du Christ-Roi qui approche ! La royauté du Christ n’est pas d’abord une royauté d’or et d’argent : ce sera le thème de la célébration du Christ-Roi, le dernier dimanche de l’Année liturgique, comme nous le verrons en réfléchissant alors sur notre fin dernière et sur ce avec quoi nous serons pesés dans la balance de la justice de Dieu.
Jésus nous a prévenus : « Ce n’est pas moi qui vous juge. C’est ma Parole qui vous jugera. » Et quelle parole ? Celle-ci : « J’étais nu et vous m’avez habillé, j’étais seul et vous m’avez visité, j’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’étais malade et vous êtes venus me voir, vous m’avez soigné. » Jésus en fait réellement le thème de notre jugement, ce jugement entre les brebis et les boucs.
Et nous aurons à peine le temps de dire : -Mais pourquoi suis-je à droite ou pourquoi suis-je à gauche ? Parce que, répondra Jésus : « J’avais faim et tu m’as nourri », ou bien, au contraire : « J’avais faim et tu ne m’as pas nourri. » « J’avais soif tu m’as donné à boire », ou bien, au contraire « J’avais soif et tu ne m’as pas donné à boire. »
« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ! »
Et si c’est le thème du jugement dernier cette relation de service de notre Dieu-Roi à travers nos frères les plus pauvres, c’est que toute ma vie doit être orientée vers la perfection de cette relation ! C’est ce que l’on appelle la charité finalement : aimer le prochain comme moi-même pour l’amour de Dieu, aimer le prochain avec l’Amour même que Dieu lui porte, grâce à l’Esprit d’Amour que nous avons en nous !
Toute ma vie doit être orientée non pas vers le savoir, vers le pouvoir ou vers l’avoir, mais vers ce perfectionnement, cette entrée progressive dans ma relation de serviteur de Dieu, ce Roi des rois qui vient à moi et qui demande d’être aimé, d’être servi, non pas à la manière des Césars mais à Sa manière à Lui : à travers les petits qui sont Ses frères et doivent devenir les nôtres !
Jésus-Christ n’exige pas de nous une perfection achevée dès l’instant où nous entrons dans l’Église. Par contre, Jésus exige de nous cette tension vers la perfection qui est la Sienne et qui doit être notre modèle.
Il exige que nous marchions avec Lui. C’est la prière de saint Paul dans l’épître aux Thessaloniciens : « cette espérance qui tient bon avec le Seigneur. »
« Celui qui me mange vivra par moi ! »
Ilo exige aussi que nous marchions avec Ses forces reçues dans l’Eucharistie : « Celui qui me mange vivra par moi ! » Si nous communions, c’est bien pour avoir le Christ en nous. C’est pour tenir bon dans cette espérance qu’un jour nous arriverons à progresser vers Sa perfection à Lui qui est l’Amour fou, invincible, infini vis-à-vis des hommes qui sont tous des pauvres finalement, qui sont tous des faibles, des petits.
Voilà le but vers lequel nous devons marcher.
Voilà ce que nous devons avoir en nous. D’abord cette foi active, c’est-à-dire ce regard que Dieu porte sur les hommes. Nous devons avoir aussi cette espérance pour arriver à assimiler ce regard et à le rendre de plus en plus vrai, de plus en plus profond tout au long de notre vie pour arriver lors de notre jugement, à cet état de perfection que nous ne pouvons pas quantifier, mais que Jésus décrétera, nous l’espérons, lorsqu’Il nous dira : « J’avais faim et tu m’as nourri, j’étais seul et tu m’as visité !
« Que votre charité se donne de la peine » !
Voilà comment la foi active et l’espérance chrétienne nous permettent d’avoir cette charité dont parle Paul aux Thessaloniciens, « cette charité qui se donne la peine », qui travaille…
Oui, la vertu, c’est un travail ! C’est une acquisition difficile et douloureuse. Nous ne sommes pas naturellement bons, contrairement à ce que disait Rousseau. Nous naissons déséquilibrés et fragiles. Voyez les guerres, les heurts, les racismes, toutes les violences qui ensanglantent notre monde…
Donc il nous faut entrer dans une autre démarche, cette démarche du service de Dieu, du service de la gloire de Dieu à travers les frères. Avec la foi et l’espérance nous pouvons arriver effectivement, petit à petit, à faire de notre vie une vie de charité qui œuvre et s’efforce à servir son Dieu à travers les petits.
Mgr Jean-Marie Le Gall
Communauté Saint Martin
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