Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

LA CHARITÉ DU CHRIST DOIT NOUS PRESSER À AIDER LE PAUVRE PAR LE BIEN !

Lectio divina pour le 26e dimanche du temps ordinaire

Par une étrange coïncidence la Liturgie du 26° dimanche ordinaire nous offre de quoi préparer notre cœur à célébrer prochainement le géant de la charité que fut Saint Vincent de Paul. Ne sommes-nous pas un peu empêtrés dans notre charité concrète, ne sachant pas trop quoi faire pour soulager la misère des pauvres ? Alors, écoutons ce que le Christ nous dit aujourd’hui, par l’Eglise, sur le rapport entre le chrétien et la pauvreté.


« L’homme de Dieu doit se battre pour sa foi. »

Commençons par l’évangile qui n’est pas, bien entendu, l’évangile de la lutte des classes se terminant par le gain d’un paradis prolétarien : le riche meurt, et le pauvre obtient une éternité égalitaire. Vision simpliste…

Si ce n’est pas l’évangile de la lutte des classes, c’est l’évangile du combat de la foi comme le rappelle la 2° lecture : « L’homme de Dieu doit se battre pour sa foi ». Ce qui n’est pas un appel à la croisade, et à son lot de chevalerie maintenant désuète…

Avant de se battre pour convertir l’autre, il faut se battre pour vivre, nous, notre foi. C’est beaucoup plus difficile, parce que si la conversion, le prosélytisme regarde l’idée, le discours, (l’apologétique mise en œuvre par tous les moyens médiatiques dont nous disposons pour atteindre au mieux notre cible), notre conversion regarde notre cœur. Il est facile de parler à la télévision, d’écrire un livre sur sa vie, surtout quand on n’a rien à dire !… Il est également aisé d’écouter à la télévision un quidam racontant n’importe quoi pour le critiquer ensuite dans un salon de thé… Oui, cela est simple. Mais se battre pour la foi, c’est-à-dire faire de sa vie une vie de foi, faire de sa foi, une foi vivante comme le demande Saint Jacques, une foi qui s’exprime dans ses œuvres : « Montre-moi tes œuvres, je te dirai ta foi. » Voilà qui est plus épineux…

« Montre-moi tes œuvres, je te dirai ta foi. »

Quelles sont les œuvres que nous produisons pour exprimer notre foi et spécialement son cœur, ce commandement qu’il nous faut garder dit Paul : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » ? Quelles sont les œuvres que nous pourrions montrer à Dieu comme expression concrète et vivante de notre foi véritable en ce commandement de l’amour, plus particulièrement appliqué aujourd’hui au prochain pauvre ?

La réponse n’est pas facile, que faire ? Voyons ! Avec la Sécurité Sociale, le Revenu de Solidarité Active, etc…, aurions-nous encore quelque chose à faire ? Et puis, nos propres difficultés ne passent-elles pas avant ? Tous les raisonnements que vous et moi tenons à longueur de temps pour ne pas nous engager dans cette œuvre que Dieu demande pour réaliser le commandement de l’amour gardé dans notre cœur…

Pour savoir les œuvres que nous devons faire et ne pas nous perdre dans les faux raisonnements, nous devons revenir à ce principe premier souligné dans la Collecte de la messe : « Dieu qui montres ta Toute-Puissance dans la miséricorde lorsque Tu prends pitié… »

Pourquoi ? Parce qu’à l’inverse de notre justice humaine qui nécessite la restitution pour recevoir le pardon, chez Dieu c’est le contraire ! C’est Dieu qui pardonne et qui donne sa Vie. Voilà le principe clé auquel il nous faut revenir. « Nous qui étions pécheurs » dit Paul, nous qui étions en dette vis-à-vis de Dieu, nous n’avons rien eu à payer, mais c’est Dieu qui, de Lui-même, a avancé le prix de la Rédemption, le prix de notre filiation, en donnant la Vie de son Fils.

Voilà en quoi Dieu montre sa Toute-Puissance. Parce qu’aucun homme n’est capable de faire cela. « A peine oserait-on mourir pour un homme de bien », écrivait Paul aux Romains, mais pour un pécheur ! Nous le savons : dans nos relations sociales, nous ne donnons que si l’on a reçu. Voilà le premier principe. Mais il y en a un second.

« Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait »

Le deuxième principe regarde le pauvre. Qu’est-ce que le pauvre ? Le pauvre, c’est tout simplement celui qui est configuré par ses multiples misères, au Christ souffrant et crucifié.

De même que le Christ a été victime du péché du monde, de nos péchés à chacun et ce jusqu’à la mort, de même le pauvre, le misérable, le clochard, le chômeur, etc… est victime de la « structure de péché du monde » comme aimait à dire S. Jean Paul II.

Pour une large part involontairement, une part que nous ne connaissons pas, car nous ne savons pas la sainteté de son cœur : il y a beaucoup de pauvres qui offrent leur pauvreté. En tout état de cause, le pauvre comme le Christ est victime de la même structure du péché qui enserre le monde depuis le péché originel. Sa misère, tout ce qui affaiblit sa personne, sa personnalité, son cœur, son corps, son intelligence est la conséquence de la même cause qui a tué Jésus : ce péché, ce Mal qui entraîne dans notre monde les haines, les injustices, les révoltes…

Lorsque je vois le pauvre, je vois le Christ. Non par une espèce de vague sentiment philanthropique qui me fait faire n’importe quoi dans la charité ! Mais parce que le pauvre, souffrant du même mal que le Christ, représente le Christ de manière encore plus forte que ne le fait chacun de nous du fait de sa simple humanité.

Près de moi, le pauvre représente le Christ donnant sa vie

Le pauvre représente, près de moi, le Christ donnant sa vie. Il représente ainsi le pardon de Dieu ! Voilà les deux vérités qu’il nous faut retenir et qui nous posent, vous le voyez déjà, à un niveau absolument différent de la simple philanthropie qu’il ne faut pas critiquer, mais qui est absolument insuffisante.

Car, que vais-je faire alors face au pauvre ? Je lui donne un billet, me dédouanant de ma richesse bourgeoise et culpabilisante ? Non, je dois simplement soulager le pauvre comme je soulagerais le Christ !

Serions-nous capable de laisser mourir le Christ en Croix sans rien faire ? Non !

Nous essaierions de le soulager comme Véronique, comme Marie, comme Jean, par une présence, par un geste, par un sourire, par notre foi, bien sûr… C’est ainsi qu’il faut agir vis-à-vis du pauvre. Non pas comme l’homme qui aide l’homme : les loups s’entraident aussi entre eux, les animaux ont cet instinct du troupeau, de la meute qu’il faut défendre…

Je dois soulager le pauvre à cause de cette présence de douleur et de Dieu qu’il y a en lui. Comme le Christ, le pauvre ne souffre que des conséquences. Le premier touché par la structure du péché c’est Dieu : c’est Dieu en Jésus Christ, c’est Dieu en ce pauvre, Dieu qui par amour des hommes et à cause du péché attire la douleur dans le cœur d’un homme (pas sur l’homme ! ni comme un châtiment ! ni comme une prédestination arbitraire !) Non, ce n’est pas sur le pauvre, c’est sur Lui-même dans le cœur du pauvre, comme la personne de Jésus qui est touchée par le péché au-delà de la nature charnelle et humaine du Christ.

Soulager le pauvre par le Bien

C’est à ce niveau théologique, avec ce regard profond, que je dois m’approcher du pauvre et le soulager. Comment allons-nous donc soulager le pauvre ? Les moyens pratiques sont à inventer avec amour chaque jour, suivant les lieux, suivant le temps, suivant notre âge, suivant nos possibilités… Mais l’important est de garder l’orientation du regard.

Puisque le pauvre, c’est Jésus brisé dans sa personne, par le mal, et que Jésus je le soulage par le contre-mal, c’est-à-dire par le bien, c’est ainsi que je dois soulager le pauvre.

La Croix n’est pas une fin en soi. La Croix n’est là que pour entraîner la réponse, entraîner ma vertu, exciter ma bonté. La croix est un instrument. Elle est à la fois éternelle et passagère. Elle est à la fois signe de mort et signe de vie, signe de contradiction : signe de mort parce qu’elle est la mort de Jésus, à cause du péché ; signe de vie parce que dès que je la regarde dans la foi, elle me permet de lutter contre le péché, et ses conséquences. Lorsque je soulage le pauvre dans sa misère, je ne fais pas que soulager cette misère conséquente du mal, je pose un acte de bonté. Je lutte contre la structure de péché, je prends parti pour Dieu dans ce combat, j’enfonce un coin, un coin de bien, un coin de vertu dans cette structure du Mal.

La Croix a déjà gagné, mais il faut l’étendre, il faut qu’elle soit réellement efficace, non seulement sur le Golgotha, pour Marie, pour Jean, pour les saints, mais dans le monde entier ! La lutte contre la misère n’est pas seulement une lutte philanthropique, c’est une lutte théologique, contre la structure du péché. Jésus nous a montré l’exemple en ressuscitant. Aussi lorsque je pose un acte de bonté vis-à-vis d’un pauvre, je prends parti pour Dieu dans cette lutte contre le Mal qui est, comme disait Jésus, « homicide depuis le commencement »…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

Retrouvez la lectio divina quotidienne (#twittomelie, #TrekCiel) sur tweet : @mgrjmlegall