« NOUS SERONS JUGÉS SUR L’AMOUR ! »

« Marie conçut dans la foi avant de concevoir dans la chair… »

D’ailleurs, nous sommes-nous déjà posé la question de savoir pourquoi on disait que l’Église était vierge ? Et c’est justement pour cette raison que j’insiste sur la nécessité d’une traduction exacte et in ecclesia de l’Évangile : l’Église n’est pas une jeune fille, mais l’Église est vierge. Parce que la virginité spirituelle, (la première, la plus importante), la virginité intérieure, celle qui a plu à Dieu en la Vierge Marie est l’expression de la confiance fidèle, c’est-à-dire de la foi tout au long du temps. L’Église est vierge parce qu’elle est fidèle, comme Marie qui est vierge dans et par sa foi. Elle a enfanté dans la foi disent les Pères, avant d’enfanter dans la chair. Essayons de saisir l’importance de cette précision de vocabulaire.

« Il leur parlait de sa venue. »

Nous nous approchons donc à grands pas de notre fin d’année liturgique et l’Église désire nous aider à nous préparer à cette clôture de l’année, pour, sur le temps long, nous aider à préparer la clôture de notre vie et notre rencontre définitive avec le Seigneur.

Pour cela elle nous sert aujourd’hui, à la table de la Parole, cette parabole des vierges que Jésus a racontée à Ses apôtres justement pour attirer leur attention sur Son retour : « Il leur parlait de sa venue. »

Alors que peut-on dire de cette parabole, quel est le sens que l’on peut en retenir pour cette année ?

Remarquons tout d’abord que Jésus parle de vierges, c’est-à-dire de l’Église, c’est-à-dire de chacun et chacune d’entre nous : c’est à nous que Son message s’adresse. Si nous ne sommes pas toujours vierges, nous essayons de l’être, c’est-à-dire d’être fidèles dans notre foi au Seigneur. D’où ma remarque précédente…

« Le Verbe était la lumière des hommes. »

La lumière qui est donnée par les lampes, cette lumière, nous l’aurons compris, c’est le Christ qui se dit Lui-même Lumière : « Je suis la lumière. » Saint Jean dira : « Le Verbe était la lumière des hommes. » D’où le rite symbolique qui inaugure la Vigile pascale avec le cierge pascal et le feu symbolisant le Christ-Lumière.

Et la première idée que nous pouvons tirer de cette parabole aussi importante que belle, est que le Christ, donc la Lumière, est en nous puisque la lampe, tenue par chaque vierge, représente notre personne, notre âme.

Et Il est aussi l’Époux que nous attendons. Car l’époux de la parabole c’est le Christ, bien entendu, et l’Église est l’épouse. Donc nous sommes tendus, entre un point de départ qui est le Christ qui, en nous, est Lumière, Lumière de notre vie depuis notre baptême, Lumière qui va éclairer notre route et le Christ-Epoux vers qui nous nous avançons, l’Epoux que j’attends, l’Epoux qui va revenir pour me prendre avec Lui.

Et entre ces deux présences du Christ, entre le Christ intérieur et le Christ glorieux, se déroule toute ma vie. Entre elles deux, nous allons essayer d’avancer pour justement arriver au point final qui est l’Epoux, afin d’avoir part avec Lui au banquet nuptial.

« Je resplendirai de Ta splendeur et servirai de lumière pour les autres. »

La deuxième idée que nous pouvons tirer s’enracine, elle, dans le symbolisme de l’huile.

Qu’est-ce que l’huile dans la lampe ? C’est la matière qui va donner la flamme, c’est-à-dire la lumière, le Christ. Donc, dans mon âme, dans ma vie, l’huile représente ce qui va me permettre d’illuminer, ce qui va me permettre de présenter le Christ à ceux qui m’entourent, ce qui va me permettre de montrer, de manifester le Christ tel qu’il est : Lumière !

Il ne s’agit pas de montrer mon Christ à moi tel que je le conçois ‘mon Jésus’ que j’emprisonne, que je capte, ‘mon Jésus’ des mauvais moments, ‘mon Jésus’ dont j’ai besoin et que je délaisse lorsque tout va bien dans ma vie… Non ! Je dois manifester par ma lampe la Lumière c’est-à-dire le vrai Christ tel qu’Il est c’est-à-dire amoureux des hommes. Comme disait Sainte Mère Térésa : «Qu’en me regardant ce ne soit pas moi qu’on voit mais Toi en moi. Demeure en moi. Ainsi je resplendirai de Ta splendeur et pourrai servir de lumière pour les autres. »

Et qu’est-ce qui va me permettre de présenter en moi le Christ amoureux des hommes ? C’est l’amour, bien sûr, Son Amour d’agapè dont Il m’emplit à chaque sacrement en proportion de l’ouverture de mon cœur !

Je dois aimer mon prochain comme Dieu l’aime. Voilà ce qu’est l’huile : l’amour que je porte aux autres. Pas seulement mon amour personnel, mon amitié, mon affection, mon affinité, mais l’Amour du Christ, avec le Christ qui est déjà en moi, l’Amour tel que le Christ Le vit, tel que le Christ Le donne, amoureux qu’Il est des hommes ! L’amour dont il s’agit, c’est donc l’amour théologal, la charité. L’huile c’est la charité.

Vivez dans la vérité de l’amour !

La comparaison entre la charité et l’huile est très parlante.

L’huile glisse partout, les cuisinières en savent quelque chose… C’est comme l’amour ! L’amour se met sur toutes choses : la manière de faire le catéchisme, la manière d’éplucher les pommes de terre, la manière de donner un coup de balai, la manière de faire son travail, la manière de parler, la manière de penser… Tout, absolument tout peut et doit être coloré, habillé par l’amour pour que son existence s’épanouisse !

Deuxièmement l’huile ne se contente pas de glisser, elle pénètre, elle imprègne, là encore, comme l’amour. L’amour nous fait entrer dans l’autre, nous fait pénétrer son cœur. Lorsque je connais par amour, je connais de l’intérieur, je connais donc en profondeur : je participe à la connaissance de Dieu qui sonde les reins et les cœurs, non pas parce qu’Il est infiniment intelligent, mais parce qu’Il est Amour !

Lorsque j’ai un ami et que j’aime cet ami, j’entre en lui-même, j’entre dans son intérieur et je le vois de l’intérieur. La science n’a pas encore réussi à reproduire cet acte de l’amour. On reproduit les objets en trois dimensions, mais on ne reproduira jamais les objets dans leur dimension intérieure.

Et donc, à l’intérieur de mon ami je vois ses besoins, j’y réponds, je le soigne comme l’huile qui soigne les plaies.

« La charité excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout ! »

Troisième lien entre le symbole de l’huile et l’amour : l’huile protège. Nous savons bien comment les gladiateurs s’enduisaient d’huile pour éviter de se faire agripper par l’adversaire. L’huile protège. La même chose pour l’amour. C’est paradoxal, mais cela se comprend.

L’amour que je porte à quelqu’un va me protéger des faiblesses de ce quelqu’un ou du mal que ce quelqu’un a vis-à-vis de moi. Nous sommes tous faibles par rapport à l’autre ; notre amour vis-à-vis de l’autre n’est pas parfait, bien entendu. Notre amour se décolore très rapidement par la jalousie, l’envie, la susceptibilité, la possessivité, la concupiscence, l’irascibilité… Nous voulons l’autre pour nous, que pour nous, tout pour nous… Nous avons un véritable amour, mais un amour qui n’est pas très ajusté.

Ce peut être aussi l’autre qui me porte un amour imparfait et qui, quelquefois, me fait du mal. Alors l’amour que je vais porter à cette personne va me protéger des insuffisances de cette personne parce que je verrai en elle non pas le mal fait ou la faiblesse, la faute, le déséquilibre dans la relation mais je verrai le bien. C’est le rôle de protection de l’huile et de l’amour.

« La charité est serviable… »

Et enfin l’huile imprègne la mèche de la lampe goutte à goutte comme l’amour qui imprègne mon quotidien par tous les petits riens de ma vie, par les petites choses. Le Christ le dit : « Celui qui m’aime ce n’est pas celui qui dit Seigneur, Seigneur, c’est celui qui met en pratique la parole de Dieu. »

Le goutte à goutte de mon huile, c’est cette petite chose que j’accomplis de manière insignifiante et tous les jours avec amour. Lorsque je suis en famille ou en communauté, en groupe : la ponctualité -la politesse des rois !-, la présence que je qualifierai de réelle, c’est-à-dire marquée par le sourire, l’attention à l’autre et l’écoute, le petit rien que l’on offre, le service que l’on rend…

Vraiment, ces petits riens de la vie sont le goutte à goutte de l’amour que je distille et qui fait que, même si je suis quelqu’un d’humainement médiocre, je peux distiller un amour fabuleux ! D’ailleurs nous savons que très souvent les saints et les saintes sont des gens humainement simples et faibles.

« On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau… »

La dernière idée que je présenterai c’est qu’il faut effectivement un amour vrai pour présenter un Christ vrai, c’est-à-dire une lumière qui soit effectivement éclairante, réchauffante, pacifiante. Nous savons comme dans les ténèbres l’homme a généralement peur. Au contraire, à la lumière, l’homme se repose, est pacifié, est réchauffé : il voit, il vit !

Or combien de fois nous présentons une lumière fausse, un Christ dénaturé, voire un Christ qui fait fuir. À commencer par nous les prêtres puisque nous sommes les premiers à devoir témoigner, à porter la bonne parole, à être exemplaires… D’où les réactions, un peu primaires et faciles mais fondées dans la réalité, des non-pratiquants ou des non-croyants : -Si c’est ça la foi, non merci !… Si c’est ça la charité, c’est scandaleux !

Quel Christ présentons-nous ? Quel est l’amour que nous avons dans notre vie ? Est-ce vraiment un amour théologal qui donnera une belle lumière, qui offrira un Christ effectivement présent à mon prochain ?

« Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »

Il faut que nous présentions un Christ qui entre dans la vie quotidienne de notre prochain, qui soit un Christ aidant, qui soit un Christ agissant. Il faut vraiment que le Christ que je manifeste à mon prochain soit un Christ de rédemption.

Il doit être le Christ dans Son acte d’incarnation. Nous devons donc être la présence d’un Christ incarné dans la vie quotidienne de notre prochain. Pour cela, nous devons être inventifs, imaginatifs, donc finalement amoureux de l’amour vrai, profond, divin, pour pouvoir présenter un Dieu qui soit vraiment le Dieu amoureux des hommes, qui soit le Dieu Sauveur, qui soit la réponse au désir implicite de tant et tant d’hommes et de femmes en attente de quelque chose d’éternel…

Combien d’hommes et de femmes désirent finalement ce Sauveur, même s’ils ne Lui donnent pas le nom de Dieu ou de Jésus ?! Ils désirent cette Lumière aussi éblouissante que la Sagesse dans la première lecture ; désirant cette Lumière, ils courent après elle, ils voudraient pacifier leur vie, ils voudraient équilibrer leur vie, ils voudraient ajuster leur vie… Mais si nous leur présentons un faux dieu, un dieu pharaonique, un dieu passif ou lointain, ils le refuseront et avec raison !

« Pour moi, vivre c’est le Christ ! »

Il faut présenter le vrai Dieu, le Dieu rédempteur. C’est pour cela que saint Paul parle de Jésus « sagesse et rédemption » : il lie les deux. Le Christ est Sagesse, et véritable lumière resplendissante (comme nous dit l’Écriture), s’Il est Rédemption. Le Christ sera Lumière pour les hommes s’Il est Rédempteur des hommes.

Nous, les baptisés, devons donc présenter un Christ qui attire, que notre prochain voudra connaître car c’est un Christ qui aide, qui aime, qui est près de nous, qui est humain, au sens le plus profond du terme, et cela grâce à Son incarnation historique !

Alors nous serons comme les vierges sages, les vierges qui portent en elles un Christ de Sagesse. Même si ces vierges sont humainement médiocres, même si nous sommes humainement médiocres, nous pouvons être les vierges sages ! En famille, en groupe, en communauté, en Église…

« Je ne vous connais pas… »

Et le Christ, qui les attend, reconnaît en ces vierges sages, que nous devons être, Sa propre personne. C’est pour ça qu’Il les fait entrer. Alors que dans les vierges folles, que nous pouvons malheureusement devenir, le Christ ne se reconnaît pas. En moi, Jésus-Lumière ne se reconnaîtra pas si je n’ai pas Sa Lumière. Pour cette raison, il ferme la porte : « Je ne vous connais pas… »

« Là où je suis, là sera aussi mon serviteur… »

Nous devons donc voir si dans notre Année liturgique qui va se terminer, nous avons été vierge sage ou vierge folle, c’est-à-dire sans la Sagesse que Dieu veut pourtant nous déposer dans notre cœur. Nous devons voir dans quelle mesure nous avons présenté à notre prochain, la Sagesse du Christ, un Christ aimant et rédempteur, un Christ agissant et sauveur… Et dans quelle mesure nous ne l’avons pas fait. Il y a sûrement des deux dans chacune de nos vies…

Nous pourrons ainsi préparer notre bilan et notre confession de fin d’année liturgique afin de demander pardon pour ce qui a été « insensé », pour ce qui en nous, fut contre la Sagesse, fut contre-témoignage de la Sagesse.

Puis nous pourrons rendre grâce pour ce qui, au contraire, fut Sagesse en nous et prendre la résolution pour l’année à venir d’être encore meilleure présence de la Sagesse du Christ ou, ce qui revient au même, d’être un peu moins insensé…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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