Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
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« VIENS M’HABITER SEIGNEUR ET QUE JE SOIS TON TABERNACLE ! »
Solennité de NOËL Messe de minuit ANNÉE B
Is.9, 1-6 Tit.2, 11-14 Lc.2, 1-14 .
Quelquefois je me demande si nous sommes vraiment conscients de la raison pour laquelle nous venons à la messe de minuit ! S’il n’y a pas chez nous, peuples occidentaux, riches à tous points de vue, une certaine désillusion, une certaine lassitude et finalement une perte de sens du pourquoi ; en particulier pour ce qui nous rassemble ce soir : nous allons aux messes de minuit de père en fils. « Minuit Chrétien c’est l’heure solennelle !… » Ensuite il y a le réveillon avec la non moins traditionnelle dinde. C’est vraiment les trois messes basses de Don Balaguère, dring, dring, dring…
Et si Dieu n’était pas venu chez nous ?
Est-ce que nous pourrions, en fermant les yeux, imaginer par exemple qu’il n’y ait pas de messe de minuit, qu’il n’y ait pas de fête de la Nativité ? Non pas seulement à cause du confinement sanitaire, mais parce qu’il n’y aurait pas eu de naissance de Dieu, et que nous soyons restés dans un monde qui a été le monde jusqu’à Jésus-Christ, un monde qui a existé, qui était fort intelligent, avec ses chercheurs, ses scientifiques, (les mages !), une civilisation du Bassin méditerranéen, un art, un art de vivre, une architecture, que sais-je ?… Enfin des richesses presque infinies, rassemblées dans ce croissant fertile qui pourtant était un morceau de terre posé sous le ciel dans le silence de Dieu.
Et si nous vivions à cette époque ? Si nous étions toujours dans ce silence pesant ? Si Dieu n’était pas né, qu’est-ce que cela changerait ? Pas de messe de minuit effectivement, pas de dinde…
Dieu avec nous !
Réfléchissons un peu sur ce que nous apporte cette Nativité. Essayons de ressourcer notre dévotion à Noël.
« Voici que la Vierge va enfanter et elle va concevoir un fils » dit Isaïe. Et Gabriel reprend : « Tu vas enfanter, tu concevras un fils et tu lui donneras le nom d’Emmanuel » c’est-à-dire Dieu avec nous.
Tout est dit : Dieu avec nous !
C’est à cet instant solennel que l’histoire du monde bascule d’un temps de silence à un temps de la Parole, d’un temps d’obscurité et de recherche à un temps de lumière et de découverte, d’un temps de solitude à un temps de proximité, d’un temps de mort à un temps de vie…
Pourquoi ? Parce que Dieu se fait avec nous, parce que Dieu se fait appeler l’Emmanuel. Lui-même d’ailleurs se donne ce nom pour bien signifier par là que Jésus est le Fils du Père.
« Emmanuel : Dieu avec nous… »
Dieu avec nous cela veut d’abord dire Dieu comme nous.
Nous essayons bien dans nos amitiés humaines et nos amours humaines, de coller à la réalité de l’autre, d’entrer en lui, d’entrer dans sa vision des choses, dans ses conditions de vie parce que nous savons que tant qu’il n’y a pas ce ‘comme’ il n’y a pas d’ ‘avec’. Et c’est pour cela que Dieu l’invisible, Dieu qui n’est même pas apparu à Moïse, ce Dieu invisible se fait charnel, palpable.
C’est pour être dans notre condition à nous, d’hommes, que d’immortel Il se fait passible, que d’infini Il se fait enfant à l’extrême opposé. Le Créateur du Ciel et de la terre, (celui que nous chantons dans notre Credo), s’enclot ; Il s’enferme dans ce jardin secret, dans ce second paradis qu’est le sein de Marie dont Il sait que dès qu’Il le quittera, Il entrera dans le monde de la souffrance.
Dieu se fait comme nous…
Dieu se fait comme nous. Nous devrions réfléchir à cette réalité impensable pour une intelligence et même un cœur humain !…
Que Dieu se laisse porter par la terre ! Que Dieu se laisse engendrer ! Dieu assume de manière démultipliée la pensée païenne si bien chantée par un Giono : la terre genitrix, la terre qui donne la vie, la terre toute puissante… Voilà que Dieu se laisse engendrer par cette terre qui va Le porter, qui va Le faire nôtre et qui va donner à ce Dieu -encore plus extraordinaire !- notre vocation d’homme.
Jésus entre sur la terre en sortant de Marie pour y vivre, pour réaliser ce que tout homme est appelé –vocatus– à vivre et à réaliser : dans le travail, dans l’éducation, dans la réception, dans le don, dans l’accueil, dans l’amour, dans la souffrance aussi, hélas !
Dieu pour nous…
Dieu avec nous, cela veut dire aussi Dieu pour nous, Dieu dans notre camp, Dieu du côté des hommes.
Jésus le dit dans Son Evangile : Il n’est pas venu pour être servi mais bien pour servir, pour servir la cause de l’humanité. C’est d’ailleurs parce qu’Il veut être pour nous qu’Il se fait d’abord comme nous !
C’est le mystère de la Toute-Puissance de Dieu. Dans notre sainte nuit, la naissance d’il y a 2 000 ans va se reproduire de manière mystérieuse. C’est-à-dire qui dépend du mystère, et même du double mystère : celui de l’âme c’est notre mystère, et celui de la grâce c’est le mystère de Dieu.
Nous avons chacun notre mystère. Raïssa Maritain écrivait que dans les plus grandes et les plus belles amours humaines l’autre reste toujours imprenable et finalement secret : c’est le mystère de l’âme, puits profond, immense, abîme…
Abîme de vie duquel je surgis à chaque seconde, abîme qui m’a été donné par Dieu, abîme que je dois façonner, abîme que je peux remplir ou que je peux détruire… Abîme où je me retrouve, abîme où je peux contempler non seulement tous ceux que j’aime et que je prends dans mon cœur mais dans lequel je peux contempler Dieu. A cause du mystère de la grâce.
« Je suis à la porte et je frappe ; si l’on m’ouvre… »
Dieu existe, Il est partout : Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Dieu existe dans ces êtres qu’Il a créés et en particulier dans l’homme qu’il a façonné à Son image. Et voilà donc que cette naissance de Jésus dans la chair de Marie, cet engendrement de cette race de David va se prolonger, va se continuer, se diffuser jusqu’à la fin des temps dans cet autre sein qu’est mon âme, dans cette autre chair qu’est ma personne. Non pas certes de manière charnelle comme la gestation de la Vierge, mais de manière mystérieuse par cette présence de grâce, cette présence du Dieu Tout-Puissant qui est là, qui frappe à la porte, qui attend pour entrer, pour faire chez moi sa demeure.
Etre pure capacité de Dieu
La grâce de notre liturgie de Noël est celle-ci : que Jésus investisse non plus le sein de la Vierge mais le sein de mon âme, ma personne à moi, bien à moi, mon cœur, mon intelligence, mes facultés, mon corps, mon tout ! Christianiser un peu plus ce que j’ai déjà reçu au Baptême dans la foi, l’espérance et la charité ; faire de moi un homme vrai, un homme véritable à l’image de l’Homme nouveau que fut Jésus, faire de moi un homme vrai à l’image de Dieu.
Jésus veut naître ce soir en chacun et chacune d’entre nous. Il nous suffit pour cela de Lui ouvrir la porte c’est-à-dire, finalement, de contempler par la prière, de contempler par l’Eucharistie, que nous allons recevoir tout à l’heure, ce mystère de la Nativité. Il nous faut désirer le Sauveur nous aussi comme Jean-Baptiste et tous les justes de l’Ancien Testament L’ont désiré, comme la Vierge L’a désiré et L’a reçu !
Prends-moi à moi pour me donner à Toi !
Viens Seigneur Jésus, viens en mon cœur, fais-y Ta maison, habite en moi, prends-moi, prends-moi à moi pour me donner à Toi, fais de moi un tabernacle, fais de moi un homme vrai à l’image de Ton Père, à Ton image !
Et, dès que nous ouvrons la porte le Christ entre, car Il n’attend que cela ! C’est pour cette raison qu’Il demande à son Eglise de célébrer Noël tous les ans : pour être accueilli chez nous dans l’intime de notre cœur.
« Vous avez revêtu le Christ… »
Sitôt que le Christ entre, voilà qu’Il nous revêt de Sa parure : Il nous revêt de Ses vertus, Il nous revêt de Sa sagesse, Il nous revêt de Son intelligence, Il nous revêt de Sa miséricorde, de Sa patience, de Sa douceur, Il nous revêt de l’homme nouveau.
Il nous permet, comme le dit le prophète, de « jeter loin les dépouilles de l’ennemi vaincu », c’est à dire notre vieil homme, notre être de passion, notre être de faiblesse, de péché, de dérapage, qui nous a fait faire tout ce que nous regrettons durant cette année ; toutes les mochetés : les mochetés de famille, les mochetés de commerce, les mochetés politiques, les mochetés sociales… Dès ce soir nous pourrons rejeter ces dépouilles, joyeusement parce que nous savons que recevant Jésus nous recevons Ses vertus !
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour…
Dès qu’Il va entrer en nous, Jésus aussi nous nourrit.
C’est Lui qui est né dans la maison du pain, Bethléem ; et c’est Lui qui va devenir le froment, le froment de notre pain quotidien : Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour…
Nous savons que Jésus vient pour Se faire manger. Il vient partager notre repas : Il est l’hôte, Il est l’invité. Il est aussi la table, mais surtout Il est aussi le pain, la nourriture !
« Tu as du prix à mes yeux et je t’aime… »
Enfin Jésus vient, comme l’annonce le prophète, nous relever du poids du péché, de ce fardeau de la solitude humaine, cette désespérance que décrit Bernanos dans Mouchette : la haine de soi, le mensonge, la duplicité, l’envie de mourir…
Jésus vient pour ceux qui ont des grandes souffrances, mes frères : pour vous, pour vos malades, pour les isolés, pour les pauvres. Il vient à l’intérieur de notre âme pour dire : tu n’es pas seul, Je t’aime toi aussi, tu as du prix à Mes yeux, Je viens Me donner en nourriture, Je viens t’habiller, te revêtir des vêtements du Salut, Je viens te parler, Je viens avec toi, Je suis l’Emmanuel Dieu avec toi et toi avec Moi…
L’Eglise, un peuple ardent à faire le bien, à la suite de Marie…
C’est la grâce que je souhaite à chacun : prendre conscience de cet instant inouï qui s’est produit il y a plus de 2 000 ans et qui va se produire lorsque pendant la Messe de la Nativité chacun à son instant, au Credo, à l’Offertoire, au Pater, à la Communion, nous dirons : oui viens Seigneur Jésus ! Viens me revêtir, viens me nourrir, viens m’accompagner afin que j’aille plus vite vers le Père, dans la communauté qu’est l’Eglise, ce peuple qui doit être ardent à faire le bien. Parce que Dieu est Celui qui fait toujours le bien !
Mgr Jean-Marie Le Gall
Communauté Saint Martin
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