Toute cette activité intérieure ne peut pas se dire : elle se vit. Elle se vit dans le secret de l’âme de ces Mages, comme de chacun de nous. Mais pour qu’elle se vive dans le secret de l’âme de chacun, elle a besoin effectivement d’être recouverte d’un voile visible, d’une réalité palpable, tangible, que sont les mots. Ce sera ce petit récit qui va servir à nous transmettre l’expérience intérieure de ces hommes que furent à Noël les bergers, que furent les Mages aujourd’hui, que seront demain les premiers disciples !…
« Mes paroles sont Esprit et elles sont vie. »
Tout ce qui n’est pas écrit dans l’Évangile n’est pas à rechercher scientifiquement par une espèce de maladie rationaliste qui donnerait naissance à une exégèse déplacée : « Pourquoi l’évangéliste n’a-t-il pas dit ceci ? Pourquoi a-t-il écrit le contraire de l’autre ? » Au contraire, tout ce qui n’est pas écrit dans l’évangile c’est ce qui peut, c’est ce qui doit être écrit dans notre cœur, cette expérience profonde dont les quelques mots retransmis par les évangélistes sont les catalyseurs, les aiguilleurs, les stimulants, les stimulateurs.
Tout ce qui n’est pas écrit dans le récit d’aujourd’hui que nous venons d’entendre, nous devons le lire dans notre cœur à la lumière véritable et amoureuse de l’Esprit Saint, Celui-là même -dira Jésus– « que je vous enverrai pour vous faire vous souvenir de tout ce que je vous ai dit, afin que vous le compreniez. » C’est cet Esprit Saint qui, lorsque nous entendons l’Évangile, en nous fait le passage entre le mot écrit ou entendu et l’expérience intime, profonde, ineffable, non transmissible, touchant chacun de nous, nous permettant 2000 ans après, de rencontrer nous aussi le Maîtreau même titre que les Mages, que les bergers ou que les apôtres…
Voilà le mystère de l’Évangile que nous entendons lors d’une Messe, proclamé officiellement par le ministre et qui bien entendu est absolument différent de la lecture d’un simple dépliant historique comme celui que nous avons en main lorsque nous visitons la Palestine et qu’on nous explique qu’ici vécut Jésus, ici fut fait un miracle, ici fut la maison de Marie… Jésus le dit dans l’Évangile : « Mes paroles sont Esprit et elles sont vie. » Voilà l’explication de cette phrase.
Essayons donc chaque dimanche, en écoutant l’Évangile d’aller plus profondément en nous pour y faire surgir ce que l’évangéliste ne dit pas, mais qui doit être écrit dans notre cœur et lu à la lumière de l’Esprit, en un mot notre rencontre personnelle avec le Maître.
Oser la foi !
Ce que nous pouvons dire de l’épisode des Rois Mages se résume finalement à un message simple et clair : il faut oser la foi ! Nous voyons les Mages arriver, hauts personnages de ce monde, se prosternant devant l’enfant et l’adorant. Ils se mettent à genoux, se prosternent ; ils adorent : acte de foi.
Voici la première leçon que nous pouvons retenir. Tout d’abord il faut oser la foi parce que la foi est un droit de tous. Elle n’est réservée ni aux théologiens ni aux curés, et encore moins aux bigots et à tous ceux qui grouillent autour du curé…
Soyons clairs : ces Mages sont des étrangers, des savants, des gens riches (ils apportent de l’or, de l’encens et de la myrrhe), des païens ;en un mot toutes les catégories qui, surtout dans le contexte de l’époque, sont honnies par le monde religieux. Ce ne sont ni des Juifs, ni des pauvres, ni des pharisiens, ni des gens pieux. Ces Mages se situent à l’opposé du monde des bien-pensants de l’époque. Voilà qui nous montre bien que la foi est un droit de tous.
La foi n’est pas quelque chose que l’on s’approprie : j’ai la foi. Non, la foi est un don de soi à Dieu, c’est donc le contraire. La foi : je n’accapare pas, je donne. Et cela tout le monde peut le faire, y compris ceux que l’on appelle les non-croyants, qui sont des croyants comme les autres, mais des croyants autrement.
La foi est la cause finale qui nous attire et nous meut…
Deuxièmement, oser la foi parce que la foi est une nécessité.
Nous le voyons dans cet épisode, c’est la foi qui commande, qui oriente, qui donne le sens à la vie de ces Mages, qui ont fait ce long voyage… Ils ont quitté leurs royaumes, leurs émirats, leurs satrapies, risquant de perdre leur trône… Ils se sont mis en marche dans cette longue caravane et nous savons qu’en Orient cela prend du temps…
Donc toute leur vie est orientée déjà, elle est commandée, elle est mieux que commandée, leur vie est appelée par la foi, dans un premier mouvement qui est cette recherche à la découverte en profondeur de Quelqu’un. Et ce premier mouvement aboutit à la manifestation visible (c’est-à-dire cultuelle, liturgique) de la foi : se mettre à genoux et adorer. Donc c’est bien la foi qui les attire et, en les attirant, les meut. La foi est la cause finale qui attire et qui meut.
Et puis dans l’autre sens, la foi est le point de départ de ces mages qui retournent dans le pays des hommes pour proclamer ce qu’ils ont vu. Donc la foi est bien ce qui va déterminer leur vie, en tous cas cette tranche fondamentale de leur vie.
La foi appelle mais ne commande pas…
La foi appelle et non pas commande, pour bien signifier le côté libre du mouvement. La preuve en est avec le signe qu’est l’étoile ! L’étoile est extérieure aux Mages et elle ne peut pas, en elle-même, les commander : on ne se met pas en route pour une étoile ! L’homme est un être rationnel, raisonnable, libre, il n’est pas commandé par l’astre. Par contre l’étoile est un signe. Elle est un signe de cet appel intérieur et donc spirituel que les Mages ont justement ressenti en eux ; un appel qui laisse libre : personne ne les a obligés à partir !
De même, pour venir à la Messe : ce n’est pas le précepte dominical, c’est cette mouvance intérieure libre qui nous appelle, qui nous commande même, telle une vocation qui nous appelle parce que nous y sentons un grandissement possible !
Si l’homme agit c’est toujours parce qu’il semble que c’est pour lui un bien, une valorisation. Donc ce n’est pas une contrainte extérieure, ce mouvement qui va orienter et donner un sens à ma vie, c’est quelque chose qui vient de moi, de mon intérieur. Et la démarche que je fais, à la suite des Mages, est une démarche de tout moi-même parce qu’elle est spirituelle : elle ne regarde pas seulement un côté matériel de ma vie, elle surgit à l’intérieur de moi-même et c’est toute ma personnalité qui va se mettre en marche. C’est ce qu’on appelle le pèlerinage…
La démarche des Mages, ce pèlerinage en quelque sorte, est comme la reproduction du pèlerinage d’Abraham qui quitte son pays, du pèlerinage dans la foi de Marie qui se quitte elle-même pour donner naissance au Fils de Dieu, du pèlerinage du Fils de Dieu qui descend du Ciel pour venir chez les hommes, de ces premiers apôtres qui quittent Jean-Baptiste pour suivre cet inconnu qui est, paraît-il, l’Agneau de Dieu…
En un mot, leur démarche annonce le pèlerinage de l’Église, et nos propres pèlerinages commencés chaque année par l’Année liturgique, renforcés par le pèlerinage plus particulier du Carême vers Pâques, puis de la Pentecôte vers le temps ordinaire, etc…
C’est la démarche propre du chrétien, engagement de toute sa personne, de toute sa vie, donc de son amour, de son travail, de son loisir, de la gestion de ses biens… Tout est spiritualisé, tout s’enclenche dans ce mouvement à l’image de ces rois qui partent en caravane parce qu’ils sont appelés par la foi.
« Je ne suis pas du monde ! »
Le troisième point à remarquer c’est qu’il y a une priorité dans ce voyage des Mages, description de l’homme qui part à la rencontre de Dieu. Cette priorité dans le ‘oser la foi’, elle est dans la contemplation et la vie intérieure. Oser la foi ? Immédiatement nous montons sur nos chevaux et nous caracolons drapeau en tête pour défendre des valeurs !
Mais non ! Oser la foi, c’est tout simplement oser d’abord notre oraison, oser d’abord notre adoration, oser d’abord nous mettre à genoux devant l’Enfant-Dieu à la crèche, chez nous, dans le secret de notre chambre, comme dans une église, ou en plein milieu de la nature, pour Le voir, Le contempler, Le rencontrer, pour nous enrichir d’une nouveauté que nous ne pouvons pas soupçonner parce que Jésus le dit Lui-même : « Je ne suis pas du monde ».
En effet, qu’est-ce que le chrétien peut apporter au monde ? Qu’est-ce que le pratiquant de l’évangile peut apporter au non-pratiquant ? Que pouvons-nous apporter dans nos quartiers, nos immeubles, nos familles, si ce n’est cette nouveauté irréductible qui est la nouveauté de Dieu parce que Dieu n’est pas dans le monde !
Il n’est pas du monde et donc lorsque nous rencontrons Jésus-Christ Fils de Dieu, nous rencontrons une Réalité que le monde n’a pas : « Le monde ne peut pas vous connaître parce que le monde ne m’a pas connu ». Voilà ce que nous sommes en devoir d’apporter au monde ; pas nos idées, pas notre intelligence, ni nos morales étriquées. Ils n’en ont rien à faire les gens du monde : ils en ont autant que nous, voire plus !
« Les Mages s’en retournèrent par un autre chemin. »
En revanche, ce que je peux apporter, même si je suis relativement limité, c’est une nouveauté à ceux que je rencontre dans la rue ou au travail, et cette nouveauté c’est Dieu qui n’est pas du monde ! Voilà pourquoi « les Mages s’en retournèrent par un autre chemin. » Cet autre chemin exprime cette nouveauté. J’ai découvert quelque chose qui n’est pas du monde : c’est Dieu.
Oser la foi ! Que cette foi nous appelle, nous entraîne dans un pèlerinage vers Dieu que nous pouvons rencontrer et voir avec les yeux de cette foi justement qui transformera alors notre manière de vivre ! Foi qui va casser les catégories de nos égoïsmes et de nos fausses certitudes, qui va tout bouleverser, tout changer, pour apporter aux autres Ses catégories à Lui qui sont les catégories de la gratuité, de l’amour, de la tendresse, de la miséricorde, de la patience… Enfin toutes les vertus de l’Évangile que nous connaissons. C’est la grâce que nous nous souhaitons pour cette année.