Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
La Gloire de Dieu est le cœur du cœur du Christ !
Lectio divina pour le dimanche 12 mars 2017
Exception à la règle de la distribution des textes liturgiques, le 2ème dimanche de Carême quelle que soit l’année A, B ou C, présente à notre méditation l’évènement extraordinaire de la Transfiguration. D’où la question que l’on se pose : pourquoi est-ce si important dans notre Carême, et sitôt après son ouverture, de réfléchir sur cet épisode qui n’a rien à voir, apparemment, avec la Sainte Quarantaine ?
Dans notre précédente lectio, nous avions défini notre Carême comme étant un catéchuménat, une préparation pour recevoir dans la Vigile pascale la Vie divine, pour nous renouveler -nous qui sommes déjà baptisés-, à l’intérieur de cette régénération cosmique initiée par Jésus la nuit de Sa Résurrection et qui se poursuit, chaque dimanche à chaque Eucharistie, à chaque transmission de la grâce (que ce soit par les sacrements, par la prière ou par tout autre mode extraordinaire). Chaque fois que Dieu se répand, se diffuse, chaque fois que Dieu partage Son existence de charité, c’est cette régénération cosmique qui s’opère. Et c’est pendant cette période bien délimitée de l’année liturgique, qu’il faut nous préparer à vivre personnellement, cette régénération.
Recevoir Celui qui est dans notre cœur devenu crèche…
Recevoir quelqu’un, recevoir Celui qui Est, demande un petit ménage intérieur afin d’être en état de réceptivité.
Réceptivité de notre esprit que nous devons purifier, dépouiller par la prière, afin de recevoir la Parole, le Credo.
Réceptivité de notre corps pour la nourriture eucharistique que nous allons recevoir d’une manière nouvelle le jour de Pâques, le Jour eucharistique par excellence !… Réceptivité que nous obtenons peu à peu par le dépouillement de nos sens et de nos appétits pour aiguiser notre faim du pain de Vie.
Réceptivité de notre cœur pour recevoir l’Eglise, recevoir donc nos frères, que ce soit nos proches ou nos moins proches. Cette réception de l’Eglise doit être préparée par un dépouillement de notre cœur qui se traduit par l’aumône et l’attention aux autres.
« Jésus s’est manifesté en faisant resplendir la vie et l’immortalité… »
Mais cette Vie divine que nous allons recevoir, que nous allons vivre dans laquelle nous allons être incorporés de manière plus profonde, qu’est-elle ? Quelle est l’image de cette vocation sainte dont parle Paul à Timothée ? Nous sommes appelés, mais à quoi? Quelle est la finalité ? Comment pourrions-nous décrire ce vers quoi l’homme tend ? Et justement, voilà le sens et la raison d’être, une des raisons au moins, de la Transfiguration.
Paul nous rappelle, dans la 2° lecture, que la grâce a été manifestée, et rendue visible par Jésus faisant resplendir la vie et détruisant la mort. N’est-ce pas l’épisode du Mont Thabor ?
Lorsque cette vie, cette fulguration surgit dans et de la Personne du Christ, de Son humanité, c’est l’étourdissement des apôtres ! Et pour nous, c’est le même étonnement qui nous envahit, comme lorsque nous avons écouté, dimanche dernier, l’épisode de la Tentation et l’épisode de la Chute, ces deux grands actes de l’histoire de l’humanité. Nous sommes étourdis, étonnés et dans l’admiration de cette fulguration subite qui sort, qui surgit de la Personne de Jésus devant les trois intimes, et à travers eux devant l’Eglise et devant l’Humanité entière.
Car, il faut le souligner, Dieu n’apparaît plus dans Son Mystère, extérieur à l’homme et inatteignable tel qu’Il fut dans le Buisson ardent : « Ne t’approche pas ! » Maintenant le mystère de Dieu s’incarne et l’homme, à travers le Fils, devient même tabernacle, et même ostensoir de ce Mystère de Lumière et de Vie !
Car c’est bien de la Vie divine qu’il s’agit ! Le contexte évangélique est très clair. Il s’agit d’une apparition, d’une théophanie, sur une montagne haute, comme le Sinaï avec Moïse, comme l’Horeb avec Elie, qui sont d’ailleurs là tous les deux pour certifier la continuité de la révélation de Yahvé avec tout ce qui a précédé la venue du Prophète Jésus de Nazareth. La Nuée qui est là, au sommet du Mont Thabor, nous rappelle l’Exode et ce petit Exode en miniature qu’est la montée des trois disciples à la suite de Jésus s’inscrit lui-même dans le véritable Exode divin vers l’humanité que représente la montée de Jésus vers Jérusalem et vers encore cette haute montagne que sera le Calvaire…
« Nous en sommes témoins… »
Voilà la description de la Vie divine que Dieu nous donne pour accompagner Sa promesse car l’homme a besoin de sensible, l’homme a besoin de visible. Je marche vers Pâques, je marche vers une nouvelle vie que je connais: « Nous en sommes témoins –dira Pierre dans son épître- nous avons assisté à cette Transfiguration de Jésus de Nazareth. » Ils en sont témoins comme Moïse et Elie ont été témoins d’une théophanie beaucoup moins visible dans l’Economie de l’Ancienne Alliance qui n’est pas encore celle de l’Incarnation, qui est, elle une économie du toucher : « De ce que nous avons vu, de ce que nous avons entendu nous rendons témoignage… » pour reprendre l’expression de Jean.
Il y a effectivement un lien indissociable entre cette Gloire divine qui surgit de Jésus et la Personne même de Jésus. Et ce lien indissociable existe dans les deux sens.
Il y a d’abord un passage entre l’humanité et le monde de Dieu. Jésus est glorifié de la totalité de la Vie de Dieu, ce qui nous laisse penser que tout homme est appelé à être aussi assumé dans cette Gloire divine puisque ce qu’un homme a vécu, tous ceux de la même nature humaine peuvent le vivre.
Mais le passage se fait aussi dans l’autre sens, de la Gloire à l’humanité parfaite de Jésus. Et le contexte est suffisamment explicite pour qu’il n’y ait point d’erreur possible. Ce n’est pas une manifestation de Toute-Puissance que la théophanie de la Transfiguration. Si en effet celle-ci est entourée de Lumière, elle est aussi baignée dans l’atmosphère sombre de la mort de Jésus. L’épisode est précédé et suivi de deux annonces par le Christ à Ses apôtres, de Sa Passion : « Le Fils de l’Homme doit monter à Jérusalem, pour y être crucifié, mis à mort et ressusciter le troisième jour. » Et Luc précisera dans son récit de la Transfiguration que Moïse et Elie « s’entretenaient avec Jésus de son prochain départ pour Jérusalem. » Si donc le contexte de la Transcendance de Dieu tel qu’elle est présentée déjà au Sinaï et à l’Horeb est effectivement présente dans la Transfiguration du Thabor, le contexte de la Passion y est aussi présent de manière indissociable.
La Gloire de Dieu s’identifie au cœur de l’humilité de Jésus
Et le sens de ce lien, c’est que la Gloire de Dieu, Celui qui est Transcendant à l’Horeb comme au Sinaï, la Gloire de Dieu plus lumineuse encore que le jour, c’est la même Gloire du Dieu qui va mourir… Mieux : c’est Sa mort, c’est Son dépouillement, c’est le don de Sa vie jusqu’au bout qui est Sa Gloire ! La Gloire de Dieu s’identifie au cœur de l’humilité de Jésus, au cœur du don de soi christique !
Il nous faut absolument comprendre, non seulement l’aller de l’homme à la Gloire, à laquelle nous sommes tous appelés, mais ce retour essentiel qui définit la Gloire de Dieu comme le cœur du cœur du Christ !
L’humilité de Jésus, Sa petitesse, Sa miséricorde, le don de Sa vie, voilà la définition même de la Gloire de la divinité : la Gloire de Dieu, c’est Son Don, Son Amour… C’est pourquoi Jean clôturera d’une certaine manière la Révélation divine en répondant ultimement à la question du Nom de Dieu posé par Moïse à Yahvé en disant : « Dieu est Amour » !
« Quitte ton pays !… »
Voilà le message de la Transfiguration. Oui, nous sommes tous appelés à la Gloire, mais à la Gloire de Dieu, c’est à dire à la mort à nous-mêmes, au don de nous-mêmes, à l’oblation de soi, à devenir des êtres eucharistiques totalement dévoués à l’autre…
Conséquence pour notre carême ?
Le catéchuménat de nos 40 jours est un dépouillement, est un oubli de soi, est une purification de l’esprit, du corps, du cœur, pour recevoir la vie de Dieu, et cette vie de Dieu que nous allons recevoir dans la Vigile pascale est elle-même un dépouillement !
Il y a donc une continuité absolue, une homogénéité entre notre Carême, et notre Vigile pascale et le temps pascal qui s’en suivra, c’est-à-dire l’aspect plus mystique (unitif) de notre vie chrétienne. De même qu’il y a une continuité, une homogénéité entre notre vie divine, ici-bas commencée sur la terre, dans notre cœur, par l’amour et la Vie éternelle dans le Ciel.
Pâques n’est pas un prix conquis, ce n’est pas une justice acquise. C’est ce que Jésus reprochait à certains juifs, à certains pharisiens : je ne revis pas divinement parce que je signe un chèque. Je ne mérite rien.
La meilleure preuve de cette continuité entre le Carême et Pâques, c’est que c’est la grâce de Dieu qui me fait me dépouiller ! D’ailleurs ne pensons-nous pas que c’est cette grâce de Dieu qui a permis à Abraham, notre père dans la foi, de quitter ses troupeaux, ses richesses, son pays, lui le notable d’une région de Chaldée, richissime, établi, comme on pouvait l’être à l’époque : « Quitte ! Quitte ton pays ! » Quitte ton esprit ! Quitte ton corps ! Quitte ton cœur ! Quitte tes idées ! Quitte ta confiance en toi-même, quitte tes certitudes… « et va dans cette terre que je t’indiquerai ! » Laquelle ? Je te l’indiquerai quand ce sera le moment… « Abraham partit aussitôt. » C’est lui notre père dans la foi.
Croyons-nous qu’il aurait pu poser cet acte sans justement la grâce de la foi ? Cette grâce de confiance, c’est la vie divine qui lui est donnée, et lui permit son dépouillement intérieur, figure de notre propre dépouillement intérieur demandé par le Christ.
« Rien ne pèse plus lourd pour l’homme que le poids de ses illusions » Bernanos
Nous aussi, nous devons tout quitter, nous devons déménager, nous devons laisser à terre, avant de monter sur le Thabor, avant de monter à Jérusalem, tous ces poids, toutes ces pierres qui pèsent dans notre sac à dos : le poids des chimères et des illusions, le poids du passé, le poids du futur, le poids de ce que nous pensons avoir ou de ce que nous pensons être, ce que nous aurions pu être ou ce que nous aurions pu avoir…
Voilà notre démarche de Carême vécue dans la grâce. La grâce, c’est la vie divine qui m’est donnée ! C’est donc la Vie de Dieu ; c’est donc le dépouillement qui est l’essence même de la Vie de ce Dieu d’Amour ! Et si cette grâce m’est donnée, c’est pour me conduire au dépouillement absolu… Pour recevoir à Pâques un peu plus de force pour me quitter, pour me dépouiller, pour aimer jusqu’au bout, comme Jésus…
« Dieu est amour ! »
Notre démarche quadragésimale est de même nature que la démarche pascale. Pourrions-nous penser un seul instant que nous devrions nous vider pendant 40 jours pour nous remplir le jour de Pâques d’une autre richesse que celle de Dieu qui est la richesse de la Pauvreté absolue ?
Justement, c’est pour éviter ce retour sur nous-mêmes, pour éviter ce cercle vicieux du regard égotique que nous portons sur notre sainteté, que lorsque nous serons complètement vidés (ou disons un peu plus que l’an dernier, un peu plus conformes à ce vide que le Christ a fait de lui-même: « Il s’est vidé lui-même jusqu’à la mort et la mort de la Croix »), nous serons effectivement remplis d’une richesse qui n’est pas une richesse, mais qui est une pauvreté infinie… Afin de pouvoir, dans les jours qui suivront la Pâque, dans le mystère de l’Eglise et de la Pentecôte, être plus conformes, plus connaturels dans notre être et dans notre action à l’être et à l’agir de Dieu, c’est à dire à la Charité !
« De riche Il s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté… » écrivait Paul. C’est tout le mystère du Carême débouchant sur tout le Mystère pascal : double, en même temps qu’unique mystère de gloire et de dépouillement.
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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