Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
Lectio divina
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« Souviens-toi de moi quand tu reviendras dans ton Royaume ! »
Lectio divina pour la Solennité du Christ-Roi Année C
2Sam.5, 1-3 Col.1, 12-20 Lc.23, 35-43
En ce dimanche nous clôturons notre année liturgique et sommes donc invités à faire, comme font beaucoup de nos concitoyens pour raison professionnelle, un bilan, pour mettre en relief, avant de repartir pour un nouveau cycle de sanctification, les 12 mois écoulés en compagnie de Jésus en Son Eglise : un actif, un passif et un bénéfice ou une perte d’exploitation. Et si nous célébrons aujourd’hui le Christ-Roi, ce n’est pas un hasard. C’est en effet en fonction de la Royauté de Jésus que l’Église me demande de faire ce bilan. Car il ne s’agit pas de faire un bilan sur ce que je sens ou ressens, sur mon état psychique ou sentimental. Il s’agit de voir mon actif ou mon passif en fonction de la Royauté du Christ.
Que veut dire la Royauté du Christ ? Beaucoup de choses. Essayons d’en cerner quelques-unes.
« Nous sommes du même sang que toi ! »
Nous allons d’abord nous adresser à l’Ancien Testament. Nous savons tous que le Nouveau Testament accomplit l’Ancien, et nous avons donc une préférence légitime pour les textes évangéliques par rapport à ceux de l’Ancienne Alliance. Et pourtant nous devons savoir aussi qu’en retour, l’Ancien Testament éclaire le Nouveau et qu’il peut nous donner des renseignements et des précisions : « Le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien et l’Ancien est révélé dans le Nouveau » selon saint Augustin.
Par exemple, lorsque Paul nous dit dans l’épître aux Éphésiens que Jésus est « le premier né de toutes les créatures », qu’est-ce que cela veut dire ? Retournons-nous vers la première lecture où il nous est dit que « le Roi (Jésus !) est du même sang que nous », de la même chair, sorti du sein de la Très Sainte Vierge Marie, « né d’une femme » dira Paul aux Galates.
« Les tribus d’Israël vinrent trouver David… »
Plus intéressant en ce qui concerne la Royauté, ce petit dialogue entre le bon larron et Jésus, dialogue magnifique au demeurant et qui a valu aux auteurs anciens tel Bossuet, des méditations extraordinaires de mystique et de profondeur.
Voilà que le bon larron appelle le Christ et le Christ lui répond. Cela n’a pas duré plus de deux minutes. Ces paroles du Christ feront partie d’ailleurs des sept paroles prononcées sur la Croix.
Alors, si nous nous retournons vers la première lecture, nous apprenons que les populations juives allaient vers David, qui se trouve être l’image de Jésus en tant que Roi, en tant que Oint (Messie), en tant que Fils du Très-Haut. Elles se tournent vers David, elles vont le voir, elles l’appellent. Ce n’est pas David qui s’impose.
Comme ce n’est pas Jésus qui entreprendra le dialogue avec le bon larron. Jésus attend, même au sommet de Sa souffrance, Il n’est pas là à presser les hommes, représentés par le larron… Non, Jésus attend dans cette patience infinie qui va finalement être clouée dans le silence de la mort.
« Sois notre Roi et règne sur nous aussi ! »
Les Juifs vont vers David et l’appellent : « Sois notre Roi et règne sur nous aussi ! » nous voulons entrer dans ton Royaume ! David était roi d’Hébron, mot qui signifie : « le lieu de l’alliance. » C’est le terme signifiant le Ciel. Le Christ, le Verbe est Roi au Ciel qui est le lieu de l’alliance, le sanctuaire sacré (dont parle l’Épître aux Hébreux), où a lieu le culte par excellence. Et les hommes, Israël, (c’est à dire l’Église !), demandent au Christ, par la bouche du bon larron : « Sois notre roi ! » étends Ton Royaume jusqu’à nous, laisse-nous entrer dans Ton Royaume… Admirons comme ce petit texte nous a éclairés sur la relation de l’homme au Christ-Roi.
« Le Père nous a fait entrer dans son royaume… »
Passons maintenant à Saint Paul qui explicite l’évangile.
Il nous rappelle que c’est un don de Dieu d’entrer dans le Royaume. C’est vrai que c’est nous qui devons demander à Jésus de nous accepter, d’étendre Sa Royauté sur notre âme. C’est vrai, c’est notre bouche qui Le prie ; mais en nous, en notre cœur, il y a une grâce prévenante, une force de Dieu qui nous rend capables de faire cette demande, comme il fallut une grâce prévenante pour pousser le cœur du bon larron à s’exprimer comme il le fit dans les derniers instants de sa vie.
Paul nous demande de remercier pour ce don de Dieu qui nous rend capables de crier vers Lui et de Lui demander de régner sur nous, de nous faire entrer dans Son Royaume, de nous faire entrer dans ce lieu de lumière.
Ce don de Dieu est double, parce que le Royaume de Dieu est en quelque sorte caractérisé par deux points.
« Dieu vous a rendus capables de sortir du pouvoir des ténèbres. »
Saint Paul nous dit : « Dieu vous a rendus capables de sortir du pouvoir des ténèbres, de quitter l’obscurité et d’entrer dans la lumière, d’avoir part à l’héritage du Fils qui pardonne et rachète nos péchés. »
Ce don de Dieu, c’est cette grâce prévenante, qui me transforme, me travaille, comme un courant au fond de l’eau, pour me rendre capable de reconnaître ma misère face à Sa lumière.
Et c’est le cri inexplicable du larron qui a vécu une vie de brigandage, peut-être même de meurtre, qui a vécu dans cette habitude du vol, de l’injustice, et qui -comme un Charles de Foucauld, comme un Augustin, comme une sainte Madeleine, comme un Claudel- brutalement, par cette grâce prévenante, reconnaît sa misère devant la Lumière.
« Nous, c’est juste ce qui nous arrive, mais lui, il est innocent !
Il dit à son compagnon de supplice : « Mais ce qui nous arrive est juste, (sous-entendu : nous avons fait du mal), mais lui il est innocent, il est pur ! » Il ne s’agit pas de reconnaître nos ténèbres par rapport à nous-mêmes ; il ne s’agit pas de psychiatrie ou de psychanalyse, (encore que cela puisse servir). Il s’agit de nous mettre face au Christ-Roi, face à l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, face à cette description de Jean dans l’Apocalypse, face à la Royauté de Celui qui a donné Sa vie et qui a lavé nos tuniques dans Son sang. « Nous, c’est juste ce qui nous arrive, mais lui, il est innocent ! » dit-il dans un cri qui veut convaincre son camarade de forfaiture.
Voilà cette grâce prévenante qui a renversé les valeurs du larron, qui l’a bouleversé, qui l’a converti. Il a été délivré parce qu’il a dit oui ; il a été délivré du pouvoir des ténèbres, du pouvoir du Mauvais, de cette habitude de vivre (comme nous ?), dans la facilité, dans la ‘lâcheté évangélique’.
Dieu vous rachète du péché, Il vous pardonne
Il reconnaît et du fait même qu’il reconnaît sa ténèbre, il en sort ! Il est illuminé des rayons de Jésus.
Le premier don de Dieu est donc cette grâce prévenante qui est primordiale, essentielle, car elle me fait mettre à genoux devant Dieu, devant Son ministre, devant Son image comme le publicain, comme le fils prodigue, comme Zachée : « Aie pitié du pécheur que je suis ! »
Le deuxième don de Dieu qui est réponse, -à ma propre réponse à la grâce prévenante-, c’est le pardon dont nous parle Saint Paul : « Il nous fait entrer dans le Royaume de son Fils bien aimé par qui nous sommes rachetés et par qui nos péchés sont pardonnés. » Sa lumière est si forte et si brûlante, comme nous le soulignions dans la lectio de dimanche dernier, que tout est nettoyé, purifié.
Ce n’est rien de plus que la figure du sacrement de la réconciliation ! « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume… -Je te le dis, aujourd’hui même, tu seras avec moi au Paradis ! »
« Si tu savais le don de Dieu ! »
Si nous savions vraiment le don de Dieu ! Si au lieu d’en rester au stade psychologique de notre religiosité, de notre pratique, de notre sentimentalité pour ou contre l’Eglise, pour ou contre le curé, pour ou contre le latin…, si nous élevions nos regards au niveau théologique, en vérité, si nous savions ce don de Dieu qui nous fait entrer dans le Royaume et nous fait appartenir à la race du Fils, nous fait être image du Dieu invisible comme Lui !
« Il est premier-né des créatures », c’est-à-dire Il est de notre sang disions-nous. Et voici qu’avec le bon larron, à sa suite, nous devenons image du Dieu invisible comme le Christ qui est « premier né d’entre les morts », premier-né des ressuscités ! Lui qui n’a pas péché, Il s’est mis à genoux, Il a porté sur Lui le péché du monde, les nôtres, et Il s’est relevé dans la Résurrection.
Oui, si nous contemplions le don de Dieu, si nous savions ce pouvoir qui nous est donné à nous, fragile poterie, de devenir comme le bon larron, en un instant d’une liberté bien utilisée, l’image de ce Dieu invisible…
Si nous savions que ce don a coûté la Croix !
Ce n’est pas pour rien que nous célébrons cette fête et ce thème de la Royauté, ce thème de la conversion, ce thème de l’entrée dans le Royaume lumineux en faisant référence à la Croix de Jésus. Nous le chantons durant la Semaine Sainte : « A ligno regnavit Deus » : Dieu a régné par la croix ! Le coût de cette double grâce, de ce double don, c’est la croix.
Et la croix est là aussi pour nous rappeler, si besoin était, encore une fois, que le Royaume de Dieu n’est pas un Royaume temporel. Même s’il y a des signes… il faut qu’il y ait des signes.
Ecoutons les juifs : « Si tu es le Roi, sauve-toi… » Et le mauvais larron : « Et sauve- nous ! » Tous, autant qu’ils sont, ne croient pas si bien dire ! Comme lorsque Anne prophétisait qu’il vaut mieux qu’un homme meure pour le peuple : « il ne savait pas ce qu’il disait. » Les juifs non plus ne savent pas ce qu’ils disent.
Mais c’est la vérité de Dieu : « Si tu es le Roi, sauve-toi » : Royaume vaut Salut ! Le Royaume, c’est le Salut : « Souviens-toi de moi dans ton Royaume… Je te le dis, aujourd’hui, tu seras au paradis. » Et cette identité entre Royaume (royauté) et Salut, elle se retrouve à la Croix. La Croix est le prix de cette identité ; elle est le prix du passage à la vie de lumière à laquelle Dieu nous appelle en quittant nos ténèbres
« Souviens-toi de moi quand tu reviendras dans ton Royaume ! »
Alors, le message de Jésus aujourd’hui est simple.
Il nous demande de faire un bilan honnête ; Il nous demande de ne pas camoufler les dettes, les fausses factures… Nous nous moquons ou nous nous indignons des magouilles politiques ou économiques. Mais est-ce que nous ne faisons pas, nous aussi, de fausses factures ou de fausses déclarations avec Dieu ? Est-ce que notre actif est vraiment actif, et notre passif vraiment passif ?
Avons-nous le courage de nous déshabiller devant Lui ? De nous mettre à nu comme le bon larron sur la croix, pour reconnaître nos fautes, pour sortir de notre ténèbre, voir tel et tel de nos défauts, tel et tel de nos vices, tel et tel de nos mauvais penchants, telle et telle de nos faiblesses… Et dire : les voilà Seigneur, je Te les donne. Après les avoir illuminées, brûle-les par Ton soleil, et, en cette fin d’année liturgique, quels que soient les douze mois que j’aie pu vivre dans le péché, dans la trahison ou dans l’indifférence, fais-moi entrer aujourd’hui par cette Eucharistie, (demain peut-être, plus sûrement par le sacrement de la Réconciliation), dans l’état de grâce, dans le Paradis en venant habiter en Ton Ciel dans mon cœur !
Jésus nous appelle à suivre l’exemple du Bon Larron, à être honnête dans notre démarche d’homme. Il ne regarde pas au caractère du voleur, Il ne regarde pas à notre turpitude, Il n’en a rien à faire. Ce qu’Il attend de nous, sur la Croix, ce qu’Il attend de nous dans l’Eucharistie, c’est que nous Lui disions : « Souviens-toi de moi quand tu reviendras dans ton Royaume ! »
Faisons un tel bilan afin de repartir dans la lumière pour une nouvelle année liturgique.
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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