« Cependant non pas ma volonté mais la Tienne… »
Si les actes de Dieu ne s’accordent pas à cette ingénieuse et séduisante version de l’histoire, c’est parce qu’il y a des cas où l’Amour de Dieu se manifeste plus dans la souffrance que dans la guérison !
Je me réfère ici à une autre histoire de l’évangile : celle d’un homme qui demande lui aussi au Père de lui épargner des souffrances. Et cet homme n’est pas exaucé. Cet homme dont la prière ne semble pas avoir été entendue, c’est Jésus à Gethsémani. C’est Lui le premier homme qui supplia Dieu sans être apparemment exaucé.
Regardons comme le parallèle est frappant entre ce que dit Jésus : « Père, s’il T’est possible, que ce calice s’éloigne de moi, cependant non pas ma volonté mais la Tienne » et la prière du lépreux : « Si Tu le veux, Tu peux me purifier. » Et ce lépreux, dont on ignore la sainteté est guéri, mais Jésus, Lui, n’est pas entendu !
Voilà qui peut, non pas expliquer mais éclairer, le fait que très souvent nous aussi ne soyons pas exaucés, du moins en apparence. Et lorsque nous aurons en nous ce sentiment de plainte qui tournera même en révolte, nous repenserons au Maître à l’Agonie et nous dirons : Lui non plus, Lui surtout, avant moi, n’a pas été exaucé. Nous comprenons bien pourquoi il en fut ainsi : car pour témoigner de Son amour infini pour l’homme, il fallait que le Père laisse le Fils subir jusqu’au bout toutes les avanies possibles, toute cette agonie, toute cette souffrance de la Croix, plutôt que d’entendre Sa prière et d’envoyer les légions d’anges que le Fils pouvait légitimement attendre. C’est en livrant le Fils pour donner la vie aux hommes que Dieu montrait le prix qu’Il attachait non à Sa vie, dans la vie du Fils, mais à la vie de l’homme !
« Il m’a aimé et s’est livré pour moi. »
L’auteur de l’Épître aux Hébreux se fait l’exact rapporteur de nos sentiments face à cette livraison du Fils : « Nous avons un prêtre qui n’est pas impuissant à intercéder pour nous parce qu’Il a été éprouvé en toutes choses », dans toute notre misère, dans toute notre boue, dans toute notre fragilité. Il est allé jusqu’au bout de la douleur, et notre foi se fonde sur cet amour manifesté par l’Agonie acceptée de manière plus forte que si le Père était intervenu, comme avec Abraham, en arrêtant le sacrifice de son enfant. Non, jusqu’au bout Dieu est allé, et c’est cela, la prière non exaucée qui fonde notre foi : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi. »
Alors, lorsque je me regarde, lorsque je regarde mes frères souffrants, autour de moi, lorsque j’entends ceux qui, légitimement prient pour être épargnés, pour sortir du tunnel de la souffrance, et lorsque j’entends l’apparent silence de Dieu comme unique réponse à leurs appels, je peux, non pas leur imposer une réponse, mais orienter tout doucement leur réflexion en leur faisant porter leur regard sur ce mystère de l’Agonie. Je leur dirai : à travers toi, Dieu veut témoigner comme Il l’a fait à travers Son Fils ; car tu es, toi aussi, un fils très cher. En te laissant dans ta souffrance, comme Il a laissé Son Fils dans l’Agonie, Dieu manifeste à tes frères l’Amour qu’Il leur porte en offrant un de Ses fils chéris, comme Il a manifesté l’Amour qu’Il porte à nous tous en livrant Son Fils Chéri. Et si toi, à la suite de Jésus qui a accepté Son Agonie injuste, tu acceptes l’injuste souffrance (car toute souffrance est injuste et mauvaise en soi) tu manifestes l’Amour que Dieu porte à ceux qui t’entourent, car pour eux Il t’offre de poser un acte d’amour qui vient se perdre dans l’acte d’offrande amoureuse du Christ Rédempteur. De même que « c’est par la souffrance qu’Il apprit, bien que Fils, ce qu’est l’obéissance et qu’Il devint pour tous ceux qui Lui obéissent cause de salut », de même, par Son silence à ton égard Dieu te demande de coopérer à Son œuvre de Salut puisque la Rédemption du Christ continue de toucher le monde à travers ton agonie offerte.
« J’achève dans ma chair ce qui manque à la Passion du Christ… »
Dieu le Père souffre autant de nos souffrances, de nos maladies, de nos deuils qu’Il a souffert de l’agonie de Son Fils ! Et à travers ces peines qu’Il supporte avec Son Fils et les souffrants du fait de Son infinie compassion, Il manifeste autant Son amour pour les hommes qu’Il l’a fait en laissant Son Fils souffrir injustement, puisque c’est par cette sainte Agonie et cette sainte Mort qu’Il nous a sauvés. Et c’est par les agonies et les morts de tous ceux qui souffrent que s’achève dans le monde, jusqu’à la fin des temps, cette même Passion rédemptrice librement consentie par Amour de l’humanité.
Ainsi s’éclaire le silence de Dieu à tant de prières si belles…
Retenons bien que lorsque nous acceptons nous-mêmes ce silence si lourd pour le cœur, lorsque nous arrivons à faire accepter avec charité et délicatesse à nos proches ces souffrances, ces croix et ces douleurs qu’ils n’ont pas méritées, lorsque nous acceptons nous-mêmes de continuer à vivre avec ces échardes, nous manifestons notre amour pour les hommes puisque nos souffrances sont rédemptrices dans celles de Jésus. Et, puisque nous sommes fils et filles de Dieu, puisque nous faisons cela par amour de Dieu, puisque c’est l’Amour de Dieu qui agit en nous, nous manifestons alors infiniment plus qu’avec tous les miracles de la terre l’Amour que Dieu Lui-même porte à nos frères.
Pensons à tous les malades qui offrent leurs souffrances pour les missions, pour l’Église : en particulier ceux de la Casa della Sofferenza du Padre Pio, en Italie, tous les malades qui offrent leurs maux pour la paix dans le monde et la victoire de l’Amour. Oui, ces malades, ces grabataires, ces incurables, manifestent infiniment plus leur amour de chrétiens, donc l’Amour du Christ et l’Amour de Dieu pour leurs frères que si, doués de pouvoirs miraculeux, ils arrangeaient la face de la terre au gré de notre désir pourtant bien compréhensible : la disparition de toute peine et de toute larme.
Voilà la réponse que l’évangile donne à ce mystère de la prière qui peut rester apparemment sans réponse, mais qui reçoit toujours en retour un flot d’Amour divin distribué à l’Église ! Prions Notre Dame de Lourdes de nous rendre dociles à ce mystère.