Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
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« SEIGNEUR, ÉLOIGNE-TOI DE MOI CAR JE SUIS UN PÉCHEUR ! »
Lectio divina pour le 5ème Dimanche
Is.6, 1…8 1Cor.15, 1-11 Lc.5, 1-11
A une époque où l’Eglise dans son existence et sa fonction est fréquemment remise en question, cet évangile de l’appel des premiers apôtres, et de Pierre en particulier, est intéressant et va nous permettre de réfléchir sur ce qu’est l’Eglise et sur ce pour quoi elle est faite.
La grâce de Dieu c’est de me donner de Le connaître et de L’aimer !
La Collecte, encore une fois, nous donne une piste de recherche sur cet Evangile de la pêche miraculeuse. Dans la Collecte nous avons demandé la grâce : « Puisque ta grâce est notre espoir, garde nous sous ta constante protection. »
Qu’est-ce que la grâce ? La grâce c’est la gratuité de Dieu, le don que Dieu fait à l’homme, Dieu qui se montre pour que l’homme puisse Le voir, Dieu qui vient à lui pour que l’homme puisse Le prendre avec lui.
C’est cet itinéraire de Dieu depuis la Création et à travers quelques grandes étapes comme celle de Noé, d’Abraham, ou de Moïse, celle de David comme celle d’Isaïe que nous venons d’entendre et bien entendu l’étape décisive du Christ. C’est l’itinéraire de Dieu qui sort de Son silence et de Son intimité pour se montrer à l’homme afin que l’homme puisse Le rencontrer et Le voir : Le connaître, L’aimer et Le servir !
« Nul ne va au Père que par moi ! »
Donc nous demandons à Dieu cette grâce nécessaire. Plus particulièrement nous Lui demandons le Christ : Celui qui s’est défini Lui-même comme étant l’unique Voie pour aller vers le Père : « Je suis le chemin… » et « Nul ne va au Père que par moi ! »
Nous demandons le Christ c’est-à-dire la Grâce Personnifiée, la grâce de la Personne de Dieu. La grande différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament c’est que, depuis le Christ, l’homme peut demander Dieu Lui-même pour aller à Lui et non pas un moyen seulement humain comme le sacrifice. Nous demandons au Père la grâce personnifiée que Lui-même nous a donnée en Son Fils !
Nous Lui demandons particulièrement de recevoir la Parole lumineuse, (cette grâce évoquée dans la précédente Lectio et qui sortait de la bouche de Jésus dans la synagogue de Nazareth). Nous Lui demandons aussi de pouvoir profiter des gestes sauveurs et guérisseurs du Christ qui a passé Ses trois ans de vie publique à soigner les corps et les âmes.
En un mot dans cette Collecte, nous, fidèles du Christ, demandons l’Evangile que le Saint-Esprit a donné à l’Eglise pour que, comme le rappelle Paul, soit transmise de génération en génération la Parole de Dieu, la Parole de la Grâce Personnifiée, la Bonne Nouvelle du Christ. Oui, nous avons le devoir et le droit de demander à recevoir la Parole et donc l’Evangile à l’Eglise.
Et puis nous demandons aussi à l’Eglise de nous donner les sacrements inventés par le Christ pour continuer jusqu’à la fin des temps la reproduction des gestes sauveurs qu’Il a accomplis durant Sa vie. Gestes de guérison sur les aveugles pour qu’ils puissent voir Dieu, sur les sourds pour qu’ils puissent entendre Dieu, sur les handicapés pour qu’ils puissent marcher à la rencontre de Dieu…
Le pasteur n’est là que pour servir le fidèle.
A la lumière de cette Collecte nous comprenons mieux l’Evangile de l’appel des apôtres.
Jésus passe le long du lac de Tibériade, Il est suivi par une foule et Il appelle à ce moment là les hommes qui constitueront ce que l’on nomme la hiérarchie, ceux qu’il vaut mieux nommer les pasteurs : les évêques et leurs humbles collaborateurs que sont les prêtres.
Ces pasteurs sont appelés après la foule. Il y a d’abord la foule qui suit le Christ et c’est l’Eglise, c’est chacun de nous, qui demandons quelque chose : la Parole et les Sacrements.
Et ensuite et pour cette foule, Jésus appelle certains hommes : Pierre, Jacques, Jean et finalement les Douze qui sont convoqués par le Christ, à Le suivre, pour vous, pour la foule.
Ce qui montre que le pasteur n’est que pour servir le fidèle.
La barque de Pierre, donc l’Eglise, devient la chaire du Christ.
Nous sommes appelés à la suite de Pierre d’abord pour transmettre la Parole.
Il est significatif que dans cet épisode de la pêche miraculeuse, avant même le miracle, la barque de Pierre devienne la chaire du Christ, la chaire c’est-à-dire la cathèdre, fauteuil où le maître, le rabbi, s’asseyait pour enseigner. La barque de Pierre, donc l’Eglise, devient la chaire du Christ : elle a le devoir d’enseigner la Parole, de la transmettre.
Les évêques et les prêtres sont, au même titre qu’Isaïe, ordonnés à cette mission prophétique : transmettre la Parole de Dieu, parole vivante, parole efficace, parole guérissante.
Nous sommes envoyés pour annoncer la Bonne Nouvelle à la foule qui suit le Christ et qui a besoin d’entendre cette Parole de vie ; même sans s’en apercevoir : il n’y a pas que nous qui entendons la Parole de Dieu, il y a, par l’intermédiaire de notre vie, les autres et particulièrement ceux que nous côtoyons au quotidien…
Nous sommes ordonnés à transmettre ce que nous-mêmes avons reçu du Christ à travers cette chaîne apostolique, cette chaîne des apôtres, cette chaine des prophètes, cette chaîne des évêques et des prêtres. Nous sommes appelés, ordonnés, à transmettre l’Evangile qui, nous rappelle saint Paul, « sauve si vous le gardez » ».
N’allons pas chercher plus loin les moyens de notre salut ! Par quoi serons-nous sauvés ? Par la Parole gardée. Saint Jean le dit aussi dans son épître : par votre foi en la Parole de Dieu. Si vous gardez cette Parole si vous la faites vôtre et si vous la mettez en application dira saint Jacques…
Par la Résurrection, la Vie divine devient éternellement victorieuse !
L’évêque et le prêtre sont là pour annoncer l’Evangile et plus particulièrement, nous dit saint Paul, la mort et la Résurrection du Christ qui est le centre de l’Evangile, son cœur. Ne serait-ce d’ailleurs que parce que tous les évangiles ont été écrits après la Résurrection, en fonction de cette mort et de cette Résurrection qui, si elle n’avait pas existé, ferait que notre foi serait vaine. Pourquoi ?
Pourquoi devons-nous enseigner avant toute chose la mort et la Résurrection du Christ ?
Parce qu’en enseignant la mort et la Résurrection du Christ nous vous annonçons la victoire de Dieu, de la Vie divine sur le péché, sur la mort, sur le mal, sur le Malin. La Vie divine, avec tout ce qu’elle contient de pardon, de miséricorde, d’amour, dans le matin de Pâques, devient éternellement victorieuse de toute notre humanité pécheresse, de toutes nos faiblesses, de toutes nos désunions, de toutes nos cassures, de cette structure de péché (disait S. Jean Paul II) qui vient dans le monde et se reproduit dans le monde depuis le péché d’origine.
Nous savons bien que nous sommes dans cette structure de péché, nous savons bien qu’il y a un bien à faire que nous ne faisons pas toujours et qu’il y a en nous des tendances qui nous font pousser vers le mal, vers le mensonge, vers la médisance, vers le vol, vers l’esprit de puissance, vers tout ce mauvais qui peut être au fond de notre cœur.
Si le Christ n’est pas ressuscité notre foi est vaine !
Si je tais cette Résurrection du Christ, je tais la victoire de Jésus sur la mort, sur le mal et sur le péché, je tais la victoire du pardon.
Je vous vole : je vole le pardon que vous pouvez recevoir.
Je vous enlève l’espérance du pardon : si le Christ n’est pas ressuscité notre foi est vaine écrira saint Paul. Au contraire, si le Christ est ressuscité, vous avez l’espérance du pardon. Donc vous avez l’espérance de la victoire sur votre mal, sur tout ce qui vous ronge : souffrance, faiblesses et passions…
Vous savez qu’avec le Christ qui est la Porte vous avez le pouvoir de sortir de vous-mêmes ; vous savez qu’avec le Christ qui est le Pasteur vous ne serez pas seul à marcher ; vous savez qu’avec le Christ qui est le Chemin vers la Vie, vous pouvez espérer sortir de la Mort ; vous savez qu’avec le Christ Médecin, vous pouvez guérir du Mal qui vous ronge…
Voilà tout ce que signifie la Résurrection du Christ : espérance de la sainteté, espérance de l’intimité divine, espérance de la filiation divine, espérance du fils prodigue qui revient à la maison et qui est accueilli.
« Ce sont les malades qui ont besoin du médecin… »
Et donc vous avez la possibilité de l’aveu. Parce que c’est en fonction du pardon qui suit l’aveu que nous avons la possibilité de reconnaître nos misères intérieures et d’en faire l’aveu.
Oui, tant que le malade n’espère pas guérir, il cache la souffrance qui est trop lourde à porter puisque sans espoir de disparaître. Il la camoufle et il finit par se la cacher à lui-même… Au contraire c’est avec l’espoir de guérir que ce qu’il portait douloureusement en lui va sortir et se transformer même en instrument de combat et de joie !
Il en va ainsi pour tout homme pécheur qui ne pourra vider son cœur que dans la mesure où il espère la victoire sur cette mort intérieure. Nous avons donc, nous tous les hommes, à cause de cette victoire du Christ qui, jusqu’à la fin du monde illumine le ciel avec toutes les étoiles que sont les titres que je rappelais à l’instant (« Je suis la porte… », « Je suis le Bon Pasteur… », « Je suis le Chemin et la Vie… », « Je suis venu pour guérir… »), à cause de cette espérance du pardon, nous avons la possibilité de faire l’aveu de nos fautes, de nos maladresses, de nos mauvaises tendances.
Vous avez donc la possibilité de vous connaître vous-mêmes en vérité, chose que vous ne feriez jamais si vous n’aviez pas l’assurance de la Résurrection de Jésus, si vous n’aviez pas l’assurance qu’au confessionnal un prêtre peut vous absoudre !
Refaire l’itinéraire intérieur que Pierre a suivi…
Tout se tient : l’enseignement de la Résurrection du Christ nous permet d’espérer le pardon et nous donne ainsi la possibilité d’avouer notre misère en même temps que nous reconnaissons la Toute-Puissance amoureuse de Dieu.
C’est cette connaissance vraie de nous-mêmes mise en regard de l’Amour tout-puissant de Dieu qui enracinera notre foi et notre adhésion au Christ. Il n’y a que l’expérience de la Toute-Puissance de l’Amour divin manifesté aujourd’hui sur la Création par la pêche miraculeuse, et trois ans plus tard sur le Mal par la Résurrection, qui peut entraîner chacun à refaire l’itinéraire intérieur que Pierre a suivi.
Cet itinéraire intérieur, l’évangéliste Luc nous le rend accessible par un emploi de termes bien précis.
Au début du récit Pierre dit : « Maître –Epistata- Maître nous avons pêché toute la nuit et nous n’avons rien pris, mais sur ta parole (la Parole entendue, reçue, gardée !) je vais jeter le filet. »
Et à la fin ce n’est plus le même mot mais bien celui de Kyrios : « Seigneur, éloigne-toi de moi car je suis un pécheur ! »
Voilà l’itinéraire intérieur de Pierre, provoqué par le miracle de la pêche miraculeuse, mais qui dépasse infiniment ce miracle. Le miracle n’est que le catalyseur qui fait passer Pierre d’une écoute intellectuelle du Christ pédagogue, rabbi, à l’adhésion profonde, en Sa Personne et en Sa mission : c’est-à-dire à cette double reconnaissance qu’Il est Dieu et que lui, Pierre, est un pauvre aimé et pardonné : « Seigneur éloigne-toi de moi, je suis un pécheur. »
« Seigneur éloigne-toi de moi, je suis un pécheur. »
Et c’est parce que Pierre expérimente en lui-même cette disproportion entre la Toute-Puissance amoureuse de Dieu et sa faiblesse d’enfant de Dieu, appelé par Dieu Lui-même à Le rejoindre, qu’il pourra commencer la transmission de ce message, en tant que chef de l’Eglise, pour les autres générations d’évêques et de prêtres.
C’est cela qu’il est appelé à transmettre, ce n’est pas autre chose. Il a l’expérience de l’amour de Dieu, comme il a l’expérience du péché. Il a l’expérience du pardon de Dieu, puisque Jésus est dans sa barque. Comme il l’aura à nouveau après sa trahison, au petit matin de Pâques : « Pierre m’aimes-tu ? Tu sais bien Seigneur que je T’aime ! »
D’ailleurs Jésus le lui dira : « Ne crains pas, maintenant ce sont des hommes que tu prendras. » Ce sont les autres que tu pêcheras, après avoir été repêché toi-même par Ma grâce, dans l’aveu de ta misère, ce sont les autres que tu pourras repêcher !
L’expérience de Pierre reprend celle d’Isaïe, Isaïe qui a peur en voyant Dieu parce qu’il est pécheur. Dieu lui manifeste son pardon en lui brûlant les lèvres. « Maintenant tu es purifié, mais qui enverrais-je ? Moi, Tu peux m’envoyer. »
Ce n’est certes pas parce que je suis pur que tu peux m’envoyer, c’est parce que je sais que même dans ma faiblesse Tu veux et peux me pardonner. Ainsi raisonnera Pierre qui, malgré sa faiblesse reconnue, n’hésitera plus à laisser ses filets pour suivre Jésus.
« Ne crains pas, maintenant ce sont des hommes que tu prendras. »
Pierre, comme Isaïe, sait qu’il est pécheur et qu’il restera pécheur. La preuve : il Le trahira trois ans plus tard… Si malgré cela il suit le Christ, c’est parce que justement il sait que, quelle que soit sa misère, Jésus est là pour lui pardonner parce qu’Il est le Seigneur Tout Puissant de l’Amour miséricordieux !
Voilà le message que l’Eglise doit transmettre. Voilà ce que doivent transmettre les évêques et les prêtres.
Voilà donc ce que les laïcs doivent demander au prêtre, comme à l’évêque ; n’allez pas demander autre chose. N’allez pas demander des prises de position politiques ou sociales. Les ministres du Seigneur ne sont pas là pour ça et n’en ont pas les compétences.
Si les prêtres peuvent éclairer les consciences à la lumière de l’Evangile, sur les problèmes de la vie quotidienne c’est parce que la lumière de la Parole de Jésus-Christ ressuscité atteint toutes les réalités de notre monde. Mais seulement en ce sens là.
C’est la grâce que nous demandons pour chacun : bien se réajuster par rapport à cette signification de l’Eglise et de sa fonction.
Mgr Jean-Marie Le Gall
Communauté Saint Martin
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