Vivre inséré en esprit d’offrande
Par contre, nous devons attendre de la prière faite au Seigneur pour notre cause, l’acquisition d’une force intérieure, d’une force nécessaire pour vivre. Premier point important : il ne s’agit pas de mourir, il ne s’agit pas de se laisser aller, mais de vivre !
Cette force est donnée comme une réponse à notre prière pour que nous-mêmes répondions à ces causes multiples qui font notre vie, pour vivre inséré dans ces causes qui quelquefois nous étouffent, qui sont à l’origine de ces souffrances, de ces contradictions, de ces choix cornéliens… Pour vivre inséré, enserré dans ces causes multiples, mais en esprit d’offrande ! Il faut vivre sa vie, mais en esprit d’offrande.
Tout est grâce…
Qu’est-ce que cela veut dire ? Prenons un exemple.
Nous avons le droit et le devoir de prier pour une bonne récolte de raisin. Nous avons le droit et le devoir de prier pour une bonne récolte que ce soit la nôtre ou celle de notre voisin, ou celle de notre pays, ou celle du monde entier, afin que si la récolte est mauvaise nous ne fassions pas retomber cette causalité sur Dieu qui, Lui, laisse le jeu des causes multiples infinies du soleil, des astres, de la pluie, de la grêle, de la semence, etc… agir dans la liberté du cosmos. Donc que nous ne reportions pas sur Dieu la cause de cette récolte mauvaise, mais que nous soyons capables de vivre cette récolte mauvaise dans l’esprit adapté à ce résultat, c’est-à-dire, par exemple, dans un esprit de pauvreté et de partage.
On s’est moqué à une époque de la Procession des Rogations que le monde paysan célébrait le 25 avril pour attirer la bénédiction de Dieu sur les semailles. Peut-être avons-nous perdu le sens de cette Procession. Il ne s’agit pas de penser que Dieu va intervenir de manière normale pour que mon blé soit beau et bon. Il s’agit de prier pour que je reçoive la force nécessaire afin que la récolte qui va m’être donnée soit vécue en état d’offrande, c’est-à-dire dans la vérité. Si elle est bonne : merci mon Dieu ! Si elle est mauvaise, je partagerai avec les plus pauvres.
De même pour un examen, j’ai le droit et le devoir de prier pour la réussite d’un examen afin de recevoir le résultat de l’examen en esprit d’offrande. Si je suis reçu : merci mon Dieu pour les talents qu’Il m’a donnés ! Et peut-être aussi pour la chance… Si je suis collé : merci mon Dieu pour la leçon de mon manque de travail ! Ou merci pour la leçon d’injustice qui me fera humble. Voilà quel est le fruit de la prière.
Prier, c’est proclamer la Transcendance de Dieu
Retenons ensuite que cette prière -qui apparemment est intéressée puisqu’elle est pour moi, pour mes biens, pour ma famille, même si c’est la famille des croyants- est en fait contemplation indirecte du mystère de Dieu, à condition d’être vécue comme je viens de le décrire. Parce qu’elle est proclamation de la transcendance divine.
Si nous prions ainsi que je viens de le dire, c’est que nous savons que Dieu est au-delà des cieux comme cause fontale de l’être, Créateur et donc Transcendant ; et que, par cette transcendance, Il se situe en deçà des cieux, dans l’homme, dans mon cœur, Lui, l’Immanent, pour me donner la force de vivre toutes choses en état d’offrande, c’est-à-dire d’eucharistie, vis-à-vis de Sa Personne à qui tout doit revenir.
Car je ne prie pas n’importe qui ! On mettra volontiers comme formule de politesse : je vous prie d’agréer, cher Monsieur, chère Madame, etc… Mais c’est de manière analogique ! La vraie prière que l’homme fait, et ce, quelle que soit sa religion, c’est pour son Dieu ! Pour Celui qu’il sait être Transcendant, Cause de l’être et parce qu’Il est Cause de l’être, réside à l’intérieur de son être ! C’est parce que je sais qu’Il le peut, que je veux qu’Il me donne la force de vivre les réalités de ma vie qui sont douloureuses, en eucharistie c’est-à-dire en esprit d’offrande pour Lui qui me donne la vie. C’est donc bien une proclamation de l’Être divin, du mystère du Dieu Unique à qui tout revient parce que tout vient de Lui.
C’est ce que Yahvé tentera de faire comprendre à Son peuple dans l’Écriture. Par exemple lorsqu’Il dit, par l’intermédiaire d’Isaïe : « Vous m’offrez les bœufs, les vaches et les moutons… Mais qu’ai-je à faire de vos holocaustes qui m’appartiennent puisque j’ai fait toutes choses, que les bœufs c’est moi qui les ai faits, les moutons c’est moi qui les ai faits, ce que je veux c’est un cœur brisé. »
« Ce qui Me plaît, c’est un cœur brisé… »
Le cœur brisé, c’est un cœur eucharistique, un cœur d’offrande ! Ce n’est pas la pièce que je donne à saint Antoine qui fait la caractéristique de mon offrande, c’est ma foi, c’est mon esprit intérieur, c’est mon adhésion à sa sainte vie, c’est ma contemplation de son mystère, comme celui de sainte Rita ou de la sainte Vierge, c’est mon désir de les imiter, c’est ma foi dans leur force parce qu’ils sont près de Dieu !
Après la longue pédagogie de l’Ancienne Alliance où Dieu n’arrête pas de crier à travers les prophètes qu’Il n’a rien à faire de ces sacrifices, nous arrivons à deux eucharisties. La première se réalise dans la joie et c’est le fiat de Marie : « Qu’il me soit fait selon Ta parole. » Et l’autre est posée dans la douleur par le Christ à Gethsémani : « Que Ta volonté soit faite… Non pas ma volonté mais la Tienne. »
Deux évènements qui arrivent, l’un heureux pour la Vierge : « Tu seras la mère du Seigneur, tu lui donneras le nom de Jésus », l’autre douloureux pour le Christ : l’agonie et la perspective de Sa mort. Le fiat de Marie comme le fiat du Christ ne sont pas de génération spontanée : ils sont le fruit de leur prière. Comme le dira l’épître aux Hébreux : « Il a prié Son Père pour être épargné de la mort (ç’aurait été le refus de faire la volonté du Père) et c’est pour cela qu’Il est devenu cause de salut éternel. »
Vivre chaque instant de ma vie au Nom de Dieu qui m’en donne la force
Nous voyons donc que la prière telle que l’Église nous demande de la poser pour résoudre nos souffrances, nos angoisses, nos débats les plus intimes, les plus profonds, les plus douloureux, les plus mortels, ce n’est pas de la magie ! Nous ne prions pas Dieu comme un totem avec des incantations ou des sacrifices d’animaux (voire humains) pour que la chasse soit bonne, pour que l’ennemi soit vaincu…
Dieu n’est pas un totem, Dieu ne peut pas entrer dans ces faux pouvoirs, qui sont faux parce qu’ils limiteraient la liberté de l’homme : « L’homme M’a prié donc je vais le guérir… L’homme M’a prié donc il va avoir son examen, même si c’est le roi des paresseux. » Cela, c’est le pouvoir des hommes, ce qu’on appelle la corruption. C’est un faux pouvoir car c’est un pouvoir qui limite notre liberté. Ce serait piper l’humanité !
Prier, comme l’Église nous le demande, pour notre cause, c’est reconnaître la transcendance de Dieu, l’Unique, c’est prier l’Unique pour que dans Sa proximité à mon cœur, dans Son immanence, Il me fasse vivre tout événement de ma vie en Son Nom comme dira Paul : « Que nous vivions ou que nous mourions, que nous le fassions pour le Seigneur » !
Ce n’est pas facile ; c’est beaucoup plus difficile que la corruption, que le faux pouvoir du totem, mais c’est vraiment libérateur. Nous prions l’Unique pour que tout événement extérieur, (par définition l’événement est extérieur à notre vie : la maladie, l’accident, le problème professionnel ou familial, tout événement est extérieur à notre vie et arrive et nous agresse) soit intériorisé, valorisé, éternisé. C’est pourquoi Paul exhorte : « Offrez vos personnes, – c’est-à-dire moi, mon âme, ma substance, et pas ce que j’ai : ma voiture ou ma maison -, offrez vos personnes en sacrifice spirituel, (c’est bien de l’âme dont il est question), agréable à Dieu par Jésus-Christ. » Voilà ce dont il est question.
Prier pour entrer dans la Gratuité divine, offrant tout de ma vie
En recevant cette force, en intériorisant, en éternisant l’événement pour offrir la joie ou la peine, la souffrance, qu’est-ce qui est en jeu ? C’est beaucoup plus que mon agir c’est-à-dire la maîtrise de ma vie, ce qu’on appelle la morale, (j’ai bien agi, j’ai mal agi…). C’est mon être profond qui est en jeu dans cette prière. Car si je fais l’offrande de l’événement heureux ou malheureux qu’est-ce que je fais ? J’entre de plain-pied dans la vie de Dieu qui est gratuité, qui est justement offrande parfaite et éternelle !
Nous les hommes, avant même le péché, du fait de notre pauvreté et notre indigence métaphysique, nous sommes captateurs de l’autre, de l’argent, de la science,
de l’intelligence forcément… Nous ne sommes que des captateurs, nous avons besoin des autres pour être, pour survivre ! Alors que là, nous nous transformons complètement et, malgré cette indigence qui reste, nous entrons dans la vie de gratuité qui est celle de Dieu.
Prier pour vos causes, bien sûr vous avez le droit et même le devoir de le faire parce que justement c’est cela qui peut transformer votre être, à partir du moment où vous priez comme nous venons de le dire. Pas dans l’esprit de la magie qui consiste à capter Dieu pour que Dieu fasse ce que j’ai envie qu’Il fasse, mais entrer dans Sa vie en partageant Sa Gratuité !
« Sois sans crainte… »
En cela nous ne faisons pas autre chose que de proclamer la Parole de Dieu. Souvenons-nous de la prière d’Israël dans le Deutéronome, chapitre 6 : « Écoute Israël, notre Dieu est l’Unique… Tu méditeras ces paroles toute ta vie, tu les enseigneras à tes enfants. »
Elles sont encore valables pour nous ces paroles du Shema, de la prière juive. « Écoute Israël, NOTRE Dieu… » C’est être en communion avec Lui. « Notre Dieu est l’Unique », c’est la transcendance du Créateur. Le mystère de Dieu est un mystère ambivalent entre proximité et transcendance. Mais cette ambivalence mystérieuse, l’homme a du mal à entrer dedans.
Regardons Isaïe dans la description de sa vocation : « Et je vis le trône de Dieu, Saint ! Saint ! Saint ! » C’est donc la perfection de la sainteté, l’inaccessibilité, la transcendance du Dieu Unique : « Je fus effrayé » Mais Dieu lui montre qu’il y a une certaine communion possible, d’où l’ange qui vient brûler sa lèvre et lui annoncer le pardon c’est-à-dire la relation avec Dieu retrouvée !
Cette ambivalence mystérieuse qu’Isaïe nous décrit est un des passages les plus importants de l’Écriture Sainte. Elle sera vécue au summum par Pierre, ce pêcheur rustre qui se trouve lui aussi devant le mystère de la transcendance de Dieu avec le miracle des poissons et qui ne comprend pas qu’il puisse y avoir un tel Dieu proche de lui : « Éloigne-toi de moi, je suis un homme pécheur ! »
Et pourtant l’Église nous demande de dire le contraire : Seigneur viens à moi qui suis pécheur… Pierre est encore dans l’esprit de l’Ancienne Alliance : « Éloigne-toi de moi ! » C’est l’effroi qui le gagne parce qu’il ne voit que la transcendance. Éloigne-toi de moi je suis un homme pécheur. Seul le mystère de l’Incarnation pouvait faire entrer Pierre dans cette compréhension parfaite que Dieu, même s’Il est transcendant, n’est pas un Dieu caché mais un Dieu qui est proche, un Dieu qui est en l’homme parce qu’Il a pris son humanité : Jésus lui dit : « Sois sans crainte… », te voilà rétabli dans la relation à notre Père commun, dans la paix… Tu es entré, grâce à moi, dans cette vie de gratuité divine.
Non pas seulement pour toi mais, puisque tu seras pêcheur d’hommes, pour tous ceux à qui tu vas transmettre cette paix. L’Incarnation est le lieu où l’homme, à la recherche de Dieu, l’homme qui a découvert d’une certaine manière la transcendance de Dieu, d’un Dieu lointain, créateur, source fontale de son être, découvre que ce Dieu est en lui et que, parce qu’Il est en lui, ce Dieu lui permettra d’intérioriser sa vie. Non pas de la faire mourir, non pas de la mettre de côté, mais de l’intérioriser, de la valoriser, de l’éterniser pour que cette vie, si pauvre soit-elle, si pécheresse soit-elle, soit avec cette offrande, une vie eucharistique, une vie donnée, une vie de gratuité, une vie divine avec laquelle et dans laquelle l’homme entre au ciel.