Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« C’EST DU SACRIFICE QUE VIENT LA LUMIERE ! »

Lectio divina pour le 2ème Dimanche de Carême
Gen.15, 5-18 Phil.3, 17-41 Lc.9, 28-36

On pourrait se poser la question de savoir pourquoi l’Eglise propose à notre méditation pour le deuxième dimanche de Carême cet épisode de la Transfiguration puisque par ailleurs elle nous le fait célébrer le 6 août de chaque année. En fait si nous réfléchissons il faudrait poser la question inverse : pourquoi l’Eglise célèbre-t-elle la Transfiguration le 6 août puisqu’elle nous la fait méditer le deuxième dimanche de Carême de chaque année des trois cycles dominicaux ?

Se préparer à accompagner le Christ dans Sa Passion.

En effet historiquement l’épisode de la Transfiguration se situe au début de ce que l’on appelle la grande incise de l’évangéliste Luc du chapitre 9 au chapitre 19, passage qui décrit la montée de Jésus vers Jérusalem.

L’épisode de la Transfiguration, historiquement, s’inscrit donc dans la préparation immédiate de la Pâque de Jésus, du mystère de Sa mort et de Sa résurrection.

Plus important encore, cet événement se situe, pour les apôtres, dans la préparation immédiate de l’accompagnement de cette Passion. Je ne dis pas qu’ils seront tous témoins oculaires, puisqu’au dernier moment Jean restera seul au pied de la Croix avec Marie. Néanmoins ils vont accompagner le Christ, ils vont d’une certaine manière compatir, ‘pâtir-avec.’

Alors notre Carême n’est rien d’autre que « le temps favorable » -pour reprendre l’expression de Paul- que l’Eglise nous donne pour, nous aussi, nous préparer à accompagner le Christ, à être compatissant, c’est-à-dire à participer (plus ou moins profondément suivant notre bonne volonté), à Sa Passion. Saint Paul dira : « consepulti », « être enseveli avec », afin de « conressuscitati », afin de « revivre avec. »

Parce que la fête pascale n’est rien d’autre que cela : la compassion intérieure, la participation par le cœur, au sens biblique du mot, de l’Eglise à cet Acte unique qui est à la fois le centre, l’origine et la fin de l’Histoire du Salut.

« Venez, suivez-moi. »

Cet événement de la Transfiguration, l’Eglise nous le donne donc à vivre au même titre que tout autre mystère liturgique : Pâques, Noël, Pentecôte, afin de nous transmettre le message que le Christ a voulu donner à Pierre, Jacques et Jean au début de cette préparation dernière de l’accompagnement dans la mort.

Et pour comprendre le message, nous pouvons relire l’événement avec Pierre, Jacques et Jean, l’événement n’étant pas tant la Transfiguration en elle-même que nous commenterons cet été le 6 août, que sa relation à l’événement historique de la montée de Jésus à Jérusalem avec Ses apôtres.

Evènement fabuleux… Non, justement fabuleux n’est pas le mot puisque Pierre dira lorsqu’il commencera sa prédication que tout ce qu’il raconte n’est pas de la fable puisqu’il était avec les deux autres disciples sur la montagne où il a vu le Christ !

Ce n’est pas non plus un événement extraordinaire c’est-à-dire en dehors de l’ordre des choses (si l’on ramène l’ordre des choses à l’Agir divin), puisque, nous allons le voir, la Genèse nous raconte un événement similaire… D’ailleurs, les apôtres, en bons Juifs, même humbles pêcheurs de Galilée, devaient connaître cet événement que la première Lecture nous rappelle et donc ils ont dû lire l’événement de la Transfiguration avec la clé biblique de cet épisode de la vie d’Abraham.

Je ne pense pas qu’il en soit autrement, les évènements sont si ressemblants !

« Ils parlaient de son départ qui allait se réaliser à Jérusalem. »

Nous avons, dans l’un comme dans l’autre cas, le sommeil qui représente la lourdeur de l’homme, la terre, l’homme charnel, l’homme pécheur, les ténèbres, l’impossibilité d’agir, bref le handicap fondamental de l’homme depuis le péché originel.

Nous avons, en opposition, la lumière, celle qui vient frapper les bestiaux offerts en sacrifice et celle de la Transfiguration : éclair fulgurant qui vient d’en-haut pour toucher la terre. Donc nous avons la terre et le Ciel ; nous avons la voix de Dieu dans le Ciel dans un cas comme dans l’autre et nous avons la réponse de l’homme : la foi.

Enfin il y a le sacrifice. Notons que le sacrifice ainsi que la foi manquent dans l’épisode évangélique : encore que le Christ s’entretient avec Moïse et Elie de ce qui va lui arriver à Jérusalem, donc il est en quelque sorte présent. Quant à la foi elle est aussi présente puisque dans les deux cas Dieu s’adresse à des âmes qui sont déjà disponibles à Son intervention : Abraham a déjà quitté son pays et les apôtres suivent le Christ depuis deux ans : « Venez, suivez-moi. »

Donc nous avons tous ces éléments là dans les deux épisodes, mais dans un ordre différent.

« Abraham eut foi dans le Seigneur… »

Regardons d’abord l’épisode de l’Ancien Testament et plus précisément la voix de Dieu.

Dieu parle. Il promet Son Alliance c’est-à-dire la Vie. Qui dit alliance avec Dieu pour un homme mortel, dit divinité, donc vie parfaite ; et à l’époque d’Abraham c’est la vie au sens premier du mot, génétique : la descendance. D’où : « Ta descendance emplira la terre autant que les grains de sable ou les étoiles dans le ciel. » Pour Abraham, 2000 ans avant Jésus-Christ, bon et riche propriétaire venant de Ur en Chaldée, peupler la terre de cette descendance prolifique est aussi important que pour nous de peupler le Ciel par notre vie éternelle !

Donc Dieu fait cette promesse. Abraham adhère à la Parole de Dieu, il pose un acte de foi et « il est considéré comme juste », phrase clé de la Révélation puisqu’elle sera reprise par saint Paul lorsqu’il traitera de la foi : c’est par la foi que nous nous sauvons ! Abraham adhère sans attendre comme lorsque Yahvé lui avait dit : « Quitte ton pays, tes troupeaux, tes amis, tes richesses ; Abraham se leva et partit. »

Abraham adhère et il demande un signe : non pas un signe de doute puisqu’il croit, mais comme Marie, un signe montrant que le moment est arrivé. « Comment saurais-je que je suis dans le pays que tu veux me donner ? »

Dieu répond avec un signe qui contient deux éléments. Le premier : l’élément du sommeil, des ténèbres, pour mieux mettre en valeur l’apparition divine symbolisée par l’éclair fulgurant.

Le second, c’est le sacrifice : sacrifice des bestiaux, tourterelles et colombes… Et c’est dans le sacrifice que surgit la lumière ! Les bêtes sont brûlées, consumées par le feu lumineux.

Ce signe du sacrifice consumé représente alors la bénédiction de Dieu. Le sacrifice est fait par l’homme, sur ordre divin. Dieu agrée le sacrifice puisqu’Il consume les bêtes, ce qui veut dire qu’Il bénit Abraham et sa descendance, sa fécondité humaine.

« Celui-ci est mon Fils, écoutez le ! »

Dans le Nouveau Testament que se passe-t-il ?

La voix de Dieu surgit des nuages et annonce la réalisation de la Promesse : « Celui-ci est mon Fils… » Donc c’est la venue de Dieu dans le monde, c’est la venue du Ciel sur la terre, c’est la venue de la Vie, de la vie sans mesure, de la vie plénière, de la vie avec toute sa profondeur, toute sa dimension : la Vie éternelle…

Ce n’est plus la vie biologique d’Abraham, c’est vraiment la Vie divine !

Ici aussi Dieu demande l’adhésion, Dieu demande la foi : « Ecoutez-le. » Et ce qui est extraordinaire, c’est qu’avant même que les apôtres donnent leur foi (une foi parfaite comme celle que Pierre manifestera à la Résurrection), avant même que les apôtres manifestent leur foi (comme Abraham a eu la spontanéité de le faire) Dieu donne le signe de la Transfiguration, la Lumière qui fond du Ciel pour toucher le sommeil, les ténèbres, l’incapacité, le handicap intérieur des apôtres représentant les hommes, nous-mêmes.

Voilà ce qui montre la prodigalité de Dieu, la munificence divine, Sa gratuité ! Avant même que Pierre pose un acte de foi, -il aura tellement de mal à le poser ce pauvre homme puisqu’il reniera Jésus dans quelques jours à peine…-, avant même cela Dieu donne le signe !

Il y a donc le sommeil de Pierre, il y a la lumière de la Transfiguration, figure de la Résurrection, si l’on en croit les mots grecs employés identiquement par Luc ici et pour décrire les anges présents au tombeau. Ce qui montre que cette Transfiguration, dévoilant Jésus dans l’accomplissement de Sa Vie éternelle c’est-à-dire en compagnie du Père, en compagnie de la Gloire de Dieu, est vraiment la figure de la Résurrection.

C’est du sacrifice que vient la lumière…

Mais ce signe n’est pas complet car il n’y a pas de sacrifice. Alors quel est le message que le Christ veut faire passer aux apôtres ?

Tout d’abord que le signe qui marque l’Alliance, l’Alliance promise avec Abraham mais réalisée avec Jésus, la promesse de la Vie éternelle, de la vie vraie, de la vie dans l’Esprit, ce signe contient ces deux éléments et il faut qu’il y ait les deux éléments. Le signe accompagnateur de l’Alliance doit être pris dans sa plénitude comme au temps d’Abraham.

Comme au moment de la Transfiguration il manque quelque chose, c’est un appel à voir plus loin… La Transfiguration ne se suffit pas en elle-même, elle est incomplète, elle se situe sur ce chemin, sur cette montée vers Jérusalem ; on part de Galilée et on monte, mais on ne s’y arrête pas. D’ailleurs dans la vie spirituelle on ne s’arrête jamais dans les extases : on est toujours obligé de dégringoler et de reprendre le train-train de la vie quotidienne.

Le signe est incomplet puisque le vrai signe possède ses deux éléments : lumière et ténèbres d’une part, sacrifice d’autre part.

Les deux éléments ne font qu’un, ils sont inséparables comme avec Abraham : c’est du sacrifice que vient la lumière. Et voilà donc le message de Jésus : c’est du sacrifice que vient la lumière.

Alors pour l’épisode de la Transfiguration, la lumière c’est justement la Transfiguration : figuration de la Résurrection et de la Vie éternelle, en un mot : de la Vie.

Or pour ressusciter et entrer dans la Vie, le passage obligé, c’est de mourir. Oui, ce qui donne la Vie c’est la mort !

« Mort où est ta victoire ? »

En fait, ce n’est pas vraiment la mort.

Nous avons une fausse idée de notre Carême en croyant qu’il nous y faudrait mourir. Car ce n’est pas exact : il ne faut pas mourir ; c’est même le contraire : c’est la mort de la Mort que nous devons obtenir, il faut tuer la Mort ! C’est ce que saint Paul dira : « Mort où est ton aiguillon ? Mort où est ta victoire ? Tu as été engloutie »… par le Sacrifice de Jésus.

Pour donner naissance à la Vie, à la Lumière, à cette Résurrection représentée par la Transfiguration, il faut tuer ce qui tue la Vie, ce qui empêche la Vie, il faut tuer la Mort.

Donc notre vie chrétienne n’est pas une mort en soi, c’est une mort à la Mort, c’est une mort à ce qui en nous est mortel ! La vie chrétienne consiste à tuer en nous le mauvais, le mal, les tendances mauvaises et non pas nous-mêmes qui sommes fils de Dieu, à l’image de Dieu, créés pour être bons.

Le sacrifice dans cet épisode de la Transfiguration qui n’est même pas présent (si ce n’est parce que le Christ en parle et qu’ensuite Il l’annoncera aux apôtres : « Il faut que le Fils de l’homme monte à Jérusalem pour y être crucifié »), le sacrifice donc, cette mort à la Mort, cette mort au péché, ce meurtre du mal, ce sera à la Croix et par la Croix de Jésus.

Avec Jésus la mort devient un passage à la Vie !

Alors, pour nous, pour Pierre, Jacques et Jean, qu’est-ce que le Christ veut dire ?

Il a décomposé effectivement le signe, Il n’a pas mis tout ensemble, Il ne s’est pas montré en croix pour ne pas scandaliser parce qu’ils ne sont pas prêts : ils n’ont pas encore posé l’acte de foi. Nous non plus peut-être, même si nous sommes pratiquants comme eux étaient avec Lui…

Il a décomposé : Il a d’abord montré la lumière (c’est à dire la Résurrection, la Vie en Dieu) la fin, le but, afin que cette lumière éclaire les moyens.

Quand je dis moyens il vaudrait mieux dire passages, pour que les apôtres, pour que nous-mêmes, nous puissions voir nos passages crucifiants à la lumière de la fin, pour que nous puissions vivre nos morts, nos croix de passage, ce que j’appellerais les croix passagères, c’est-à-dire ces passages obligés que sont les souffrances de notre vie, de nos limites, de nos maladies, de nos soucis, de tout ce qui compose dans notre monde la structure du péché comme disait S. Jean Paul II…

Jésus a présenté la lumière de Sa Transfiguration pour que nous vivions ces croix passagères avec en face de nous la gloire qui est promise, pour que nous n’oubliions pas dans notre souffrance la joie de la gloire qui en résultera !

Mais aussi pour que nous n’oubliions pas non plus que pour atteindre cette gloire il faut abandonner le mauvais et donc sortir de soi, il faut se donner…

Il faut vivre ce que j’appellerais la peine vivante c’est-à-dire cette difficulté que nous avons dans notre structure humaine qui est peccamineuse, faible, fragile, de quitter notre moi, notre égoïsme, notre rapacité, notre avarice, tout ce qui fait revenir notre jugement à nous-mêmes dans notre corps et notre confort, dans notre cœur et nos sentiments égoïstes, dans notre esprit… Voilà ! Il faut abandonner tout cela, c’est ce que j’appelle la peine vivante, car c’est difficile : c’est pour chacun un accouchement de l’homme nouveau.

Apprendre par le silence à vivre toujours plus le toi suprême !

Alors, que pouvons-nous tirer comme enseignement de cet épisode de la Transfiguration pour notre Carême ?

Que notre Carême est donc orienté vers la Vie et il doit donc être éclairé et teinté par la joie : la joie pascale doit déjà déborder sur nos jours actuels !

Et ça nous rappelle que cette joie nous ne pouvons l’obtenir que par cet abandon de nous-mêmes, cet abandon du moi pour Dieu et pour les autres.

Cet abandon nous ne pouvons l’obtenir que par le silence qui est accueil de l’autre jusqu’à être ‘le toi suprême.’ Car lorsqu’on se tait, c’est que l’on accueille et que l’on écoute l’autre, c’est qu’on l’aime ; dès qu’on parle c’est que l’on se met en avant…

Et ce silence, ce « toi » suprême, nous l’obtenons par l’ascèse qui est le silence du corps et de nos appétits sensibles.

Nous l’obtenons aussi par la prière qui est le silence de l’esprit et de nos appétits intellectuels égoïstes afin d’être justement toute disponibilité, toute ouverture à Dieu directement ou indirectement par les autres dans la charité.

Voilà pourquoi Jésus s’est transfiguré reproduisant en plénitude cet épisode de la Genèse et tout ce qu’il contenait : l’Alliance, la vie, les ténèbres et la lumière…

Il n’y a ôté que deux choses : la foi qu’Il ne demande pas encore à Ses disciples parce qu’ils ne sont pas prêts, et le sacrifice pour que les apôtres et nous-mêmes enclenchions notre vie de foi non pas en regardant la mort mais en commençant par regarder la fin : la gloire de la Vie éternelle et de la Résurrection qui doit venir éclairer notre chemin, notre route.

Je terminerai en citant cette belle phrase de Claudel : « La mort et la souffrance, Jésus n’est pas venu les expliquer ni les anéantir, Il est venu les remplir de sa présence et de sa lumière. »

 

Mgr Jean-Marie Le Gall

Communauté Saint Martin

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