Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« AUSSITÔT L’HOMME SE MIT À VOIR ET IL SUIVAIT JÉSUS SUR LA ROUTE ! »

Lectio divina pour le 30ème Dimanche Ordinaire

Jér. 31, 7-9 He. 5, 1-6 Mc. 10, 46-52

Arrêtons-nous sur la première demande de la Collecte de ce 30ème Dimanche Ordinaire : « Seigneur, augmente en nous la foi, l’espérance et la charité… » Prière très concise que beaucoup de maîtres spirituels ont invoquée durant leur vie qu’ils désiraient offrir à Dieu, cette prière rassemblant l’essentiel de notre vie chrétienne, les bases de notre relation à Dieu. C’est la raison pour laquelle l’Église en a fait une de ses suppliques dominicales. En effet, dans cette demande nous reconnaissons l’importance de la foi, de l’espérance et de la charité. Nous reconnaissons d’abord qu’elles sont faibles en nous et nous reconnaissons ensuite que Dieu seul peut intervenir pour les accroître.

Qu’est-ce que la foi, l’espérance et la charité ?

Si le lieu n’est pas de faire un traité théologique, il nous faut pourtant aller plus loin que les souvenirs de notre catéchisme d’enfant. Pour nous la foi, l’espérance et la charité nous renvoient à ces prières si simples que sont les fameux actes de foi, d’espérance et de charité tant de fois récités, pour demander justement ces trois vertus, dites théologales car données par Dieu pour nous relier à Lui. Mais peut-être à l’âge adulte avons-nous perdu de vue l’importance de cet appareil de vertus que la foi, l’espérance et la charité constituent comme un tout indissociable. Que sont-elles ?

Elles sont ce qui nous permet d’adhérer au Christ, d’espérer le Christ et d’aimer le Christ. Nous pouvons déjà retenir cette toute petite synthèse pour notre examen de conscience de la journée. Oui, nous pouvons nous poser la question : dans quelle mesure adhérons-nous à Jésus, dans quelle mesure espérons-nous Sa venue dans notre cœur déjà, avant la venue glorieuse ?

Dans quelle mesure aussi aimons-nous Jésus c’est à dire, pour reprendre l’expression de saint Benoît, dans quelle mesure préférons-nous Jésus à toute chose ? Dans quelle mesure préférons-nous venir aux Vêpres du Dimanche soir que d’aller au cinéma ?… Dans quelle mesure préférons-nous terminer notre journée par une belle prière du soir personnelle et familiale, plutôt que perdre du temps et de la paix intérieure devant la télévision ? Voilà de tout petits exemples pour nous permettre de jauger au quotidien notre adhésion, notre espérance, notre amour du Christ.

Pour être un avec Jésus, fils du Père, dans l’Esprit…

On peut dire aussi que l’appareil de vertus formé par la foi, l’espérance et la charité, et qui nous fait adhérer, espérer, aimer le Christ, c’est en quelque sorte ce qui nous fait être un avec Jésus et donc ce qui nous fait être le Christ avec le Fils puisque dans Son mystère de l’Incarnation Il englobe toutes les humanités.

Et donc c’est ce qui nous fait être fils du Père. Or être fils du Père nous renvoie au mystère de Dieu-Père tel que nous le rappelle la Lecture : « Je suis ton Père et Israël est mon aîné », mon unique… C’est l’amour paternel de Dieu.

Être le Christ avec le Fils nous renvoie donc au mystère de l’Incarnation rappelé par l’épître aux Hébreux : le Fils se fait homme pour être prêtre c’est à dire pour relier tout homme avec Dieu

Et être un avec le Christ nous renvoie enfin au mystère de l’Esprit Saint qui vient à travers l’Église nous rassembler : « Je les rassemblerai… », et qui vient nous guérir par les sacrements : « Je guérirai les aveugles et les boiteux » de la première Lecture réalisée dans l’Évangile.

« Demeurez en mon amour… »

Nous voyons donc comme dans ces trois vertus est résumé, condensé, signifié, produit, vivifié, tout ce qui fait notre relation à Dieu en tant que fils aimé, adopté, sauvé en Jésus-Christ.

Nous retrouvons le « Demeurez en moi » de saint Jean : Demeurez en mon amour, c’est-à-dire demeurez en l’Esprit, demeurez en l’Église dont Il est l’âme.

Nous retrouvons également le célèbre : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » de saint Paul.

Et apparaît ainsi à nos yeux d’adultes l’importance essentielle de ces trois vertus. En face de cette importance apparaît en négatif, en creux, la faiblesse de ces vertus dans notre vie. C’est pour cela que nous demandons à Dieu de les augmenter : « Augmente en nous… »

« Rabbouni, que je voie ! »

Une autre question à se poser dans l’examen de conscience : suis-je conscient de la faiblesse de ma foi, suis-je conscient de la faiblesse de mon espérance ou de ma charité ? Ou suis-je, comme certains pharisiens, aveugle, sûr de moi, sûr de ma foi, « Catholique et Français toujours », sûr de mon amour, parce que moi, je prie tous les jours…

Au contraire soyons clairvoyants et reconnaissons la faiblesse de notre espérance du Christ, préférant être ou attiré par tel bien de la terre ! Je préfère être reconnu, honoré pour ma juste valeur, plutôt que d’être persécuté pour la justice. Je préfère arriver à mes fins et donc ne pas avoir forcément le cœur très pur ; être un peu louvoyant plutôt que de voir le Royaume de Dieu. Je préfère être riche, bien assis, confortable sur mon tas d’épargne, mon assurance-vie…

« Confiance, lève-toi ! »

Il vaudrait mieux d’ailleurs parler, non de faiblesse, mais d’insuffisance. Car l’homme est pervers au point de passer de l’orgueil le plus grand au dénigrement de soi le plus faux et le plus injuste, arrivant finalement à rejeter la miséricorde de Dieu : je ne suis pas digne d’être appelé à la sainteté ; je ne suis pas digne de venir communier ; je préfère rester dans ma boue… fausse humilité toute gonflée du même orgueil ! Puisque nous sommes baptisés nous avons donc reçu ces vertus dans notre âme ! Reconnaissons alors l’insuffisance de la vie des vertus mais sachons voir leur présence, si ténue soit-elle.

Insuffisance et non faiblesse, pour mieux souligner aussi que ces vertus, nous allons essayer de les poser non par rapport à un absolu, mais par rapport à une dynamique de progression dans laquelle elles doivent s’inscrire et ainsi énergiser progressivement tout le reste de notre vie.

Ce n’est pas par rapport à un absolu que se mesure ma vertu. Je suis un « insuffisant » comme ces handicapés de la première Lecture, qui existent bel et bien malgré leurs limitations. De même je suis un peu aveugle à la lumière divine ; je suis un peu boiteux sur la route de l’Évangile ; je suis un peu sourd à la Parole de Dieu…

« Il faut qu’Il croisse et que je diminue. »

Il faut regarder nos vertus par rapport à cette dynamique que le Seigneur Lui-même nous a donnée comme indication de vie. Il ne nous a pas dit : « Aime-moi ! » – à l’impératif présent, sinon tu es digne de l’enfer ! Il nous a dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… » Israël, toi mon fils aîné, et chacun d’entre vous, chaque âme baptisée !

Tu aimeras… C’est-à-dire : tu vas entrer sur cette route vers la terre promise ; c’est au futur parce que Dieu connaît notre faiblesse, Dieu connaît notre besoin de progression, de développement : « Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que poussière nous sommes… »

Nous ne sommes pas éternels comme Dieu ; nous ne sommes pas posés dans l’existence en un seul instant comme les anges. Dans le temps, nous sommes appelés à naître, à grandir et à mourir, tant sur le plan physique que sur le plan spirituel ; « Il faut qu’Il croisse et que je diminue » disait le Baptiste…

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… »

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… » Nous devons comprendre cette perspective de dynamique de notre vie spirituelle, au risque sinon de tomber dans l’angoisse, dans le désespoir, dans la désespérance. Nous devons comprendre cette dynamique et nous inscrire dedans. Cela demande beaucoup d’humilité, beaucoup plus que de dire je ne vaux rien, je ne serai jamais racheté. Baptisé, prêtre, évêque, religieux, consacrée, cela demande beaucoup d’humilité de se reconnaître avec une foi insuffisante, avec une pauvre charité, avec une espérance faible !

Mais c’est dans cette dynamique que nous devons nous inscrire par le désir de grandir, comme saint Jean XXIII que nous avons célébré dernièrement. Le désir, ce désir de grandir, et un désir retravaillé sans cesse et disciplinant chaque instant de sa vie, c’est ce moteur intérieur alimenté par l’énergie de la grâce qui a fait sa sainteté.

On ne naît pas saint, on le devient.

Voir la sainteté comme un état est une caricature que le Malin se plaît à proposer à notre esprit. C’est comme si nous disions : être saint c’est être une statue de saint. Vous savez bien que la statue ne représente que de très loin un saint, un saint qui fut vivant et souvent très mouvant !, un saint qui a été dynamique…  La représentation, qu’elle soit en bois ou en plâtre, n’est qu’une pâle figuration de la personne. Eh bien c’est la même chose que de dire que la sainteté est un état. La sainteté n’est pas un état.

Ce qui fait la sainteté des saints c’est leur cheminement. On ne naît pas saint, on le devient. N’allez pas croire que Angelo Roncalli était un saint à la naissance, même si très jeune il eut déjà ce grand désir de Dieu ! On ne naît pas saint, on le devient à partir du moment où notre volonté devient bonne, et donc déposée entre les mains de Dieu car Dieu seul est bon.

Rappelons-nous l’Évangile d’il y a quinze jours : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Dieu seul est bon. » Donc, avoir de la bonne volonté c’est avoir une volonté qui est soutenue par le Bon, c’est-à-dire Dieu. C’est mettre sa volonté dans les mains de Dieu. Elle peut être faible, cette volonté ; elle peut être vieillie, fatiguée, ou au contraire pleine de tonus ; elle peut appartenir à un homme riche ou à un pauvre ; peu importe ! Elle peut appartenir à un religieux ou à un laïc ; elle peut appartenir à un criminel ou à quelqu’un d’ordinaire, du moment qu’elle est posée dans la main de Dieu et que c’est la Volonté du Bon qui la soutient !

« Augmente en nous la foi, l’espérance et la charité… »

Alors pour accroître ces vertus, pour entrer dans cette dynamique, pour faire grandir mon désir ou le renouveler en moi, je m’adresse à Dieu : « Dieu augmente en moi la foi, l’espérance et la charité… » Mais de quelle manière ? Pensons-nous que Dieu va venir administrer une piqûre de foi ? Ferait-on de la « gonflette » avec des anabolisants de l’esprit ? Non ! C’est à la fois plus complexe et plus simple ; c’en a toujours été ainsi dans l’Évangile.

Qu’est-ce que cela nécessite d’être en alliance avec Dieu, en communion avec Lui ? Cela nécessite d’abord, de la part de l’homme, un désir. Et c’est pour cela que Dieu (donc c’est bien Dieu qui agit), c’est pour cela que Dieu crée l’homme pauvre, dépendant, fini, mortel, pas mauvais mais pauvre : Il le crée ainsi avec un désir, un désir de s’enrichir, un désir que nous retrouvons à toute époque de l’Histoire ; un désir d’être immortel, un désir d’être heureux, un désir de Vie éternelle, un désir de connaître. Ce sont des désirs vrais et beaux.

« De riche qu’Il était, Il s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté… »

Mais le désir suffit-il ? Non ! S’il n’y avait que le désir nous serions plongés dans le monde de Camus, le monde de l’absurde. Un pauvre désire un morceau de pain, mais s’il n’a que ce désir cela le ronge encore plus que la faim…

Alors Dieu intervient à un deuxième niveau. Dieu se révèle et Il se révèle comme l’accomplissement de ce désir. Il se révèle comme Richesse. Relisons saint Paul : « De riche qu’Il était, Dieu s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté… » Il se révèle comme don et Il transforme ainsi mon désir en espérance.

Le pauvre a le désir du pain mais ce désir le ronge ; il n’est pas encore assouvi, il ne sait même pas s’il pourra l’assouvir, quand tout à coup il voit une lumière au loin dans la nuit ; il va sonner et son désir commence à se transformer en espérance. Il se dit pouvoir peut-être assouvir son désir. Une personne lui ouvre, le fait entrer, le nourrit… Son cœur se remplit de joie ! Alors que le désir lui, le rongeait, l’espérance le rend joyeux… Voilà comment Dieu intervient pour nous donner l’espérance.

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

Nous le voyons, cela se situe à la base de notre être substantiel. Nous voyons comment Dieu ne vient pas à la manière d’un maître qui prend. Au contraire, Il vient comme un époux qui se donne, qui donne la main à l’épouse. Cette Épouse, Il l’a établie dans l’existence et puis Il l’a comblée de grâce.

Souvenons-nous de l’Annonciation : « Réjouis-toi Marie, comblée de grâce… » C’est à Marie que cette parole s’adresse, mais c’est aussi à l’Église et c’est donc à nos âmes à chacun : Réjouis-toi comblée de grâce…

Et encore aujourd’hui dans l’Évangile : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

Déjà nous-mêmes nous avons du mal envers un ami, un conjoint, un frère, un enfant, que sais-je, à sortir de nous-mêmes pour proposer un service, pour proposer du temps : que veux-tu que je fasse pour toi ? Eh bien là, Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, vient voir ce malheureux qui n’a peut-être aux yeux des hommes aucun intérêt, et lui demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

« Qui a l’épouse est l’époux… »

Dieu nous comble de grâce. Il va donner Sa vie, Il va, comme dit saint Paul, offrir Sa vie en sacrifice pour purifier Son Épouse. Il va se donner à Son Épouse, avant même que Son épouse soit sainte et immaculée, et pour qu’elle le soit. Il va venir en elle pour qu’elle puisse, avec Lui en elle, accepter ce don. En un mot, Le recevoir avec Son amour, avoir confiance en Sa tendresse.

Voilà le moyen par lequel Dieu nous donne la foi. La foi ce n’est pas nous qui l’avons parce que nous avons bouquiné des livres, parce que nous sommes de famille traditionnelle, parce que nous suivons des cours…

La foi nous la recevons au Baptême et le Baptême c’est la Croix rendue présente dans et par l’Église ! Nous sommes purifiés, nous sommes lavés par l’eau qui est sortie du côté de Jésus car Jésus s’est donné à l’Église. Il s’est donné à moi de manière à ce que cela soit finalement Lui qui dise, dans mon âme : « Abba Pater ! Que ta volonté soit faite… »

« Dieu est amour. »

Ensuite, au niveau de la charité, tout est très simple ! Dès que j’ouvre mon cœur par ce don de la foi à Jésus, Dieu s’engouffre en moi et comme Il est Amour, c’est cet Amour qui va me faire aimer Dieu !

Ce n’est pas mon amour mesquin, limité, avec lequel je suis incapable d’aimer ma femme, mes enfants, mes amis ; ce n’est pas avec cet amour là que j’aime Dieu. C’est avec la présence même de Jésus en moi. Jésus qui est Amour : « Dieu est amour. » Je ne suis finalement qu’un canal par lequel Dieu passe pour S’aimer à travers moi ! En quelque sorte, Il m’élève au rang d’instrument de Son Amour, et même, d’une certaine manière : de sacrement de cet Amour pour que je puisse Le diffuser aux autres… C’est sublime !

« Je me tiens à la porte de ton âme, je frappe et si tu ouvres j’entrerai. »

Voilà comment Dieu me donne espérance, foi et charité. A une condition : il faut le Lui demander ! La foi, l’espérance et la charité, la Vie de Dieu, elle est toujours à la porte de mon âme. Jésus le dit dans l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte de ton âme, je frappe et si tu ouvres j’entrerai. »

Donc il faut que j’ouvre à Jésus qui frappe à mon cœur. C’est-à-dire il faut que je Lui demande d’entrer, que je L’en prie, et c’est là le sens profond de toutes les prières, tant celles de la Liturgie que nos prières personnelles.

Pourtant Dieu sait très bien, et avant moi, ce dont j’ai besoin. Mais il faut que je le Lui demande pour avoir conscience de ma pauvreté. Parce que nous sommes aveugles et nous n’avons pas conscience de la pauvreté de notre foi, de notre espérance et de notre charité. Nous nous croyons parfaits, c’est un peu ça en un mot…

« Dans les consolations je les ramène… »

Mais, à force de demander, nous prenons conscience de cette insuffisance. Si nous répétons tous les jours : « Augmente en moi la foi, l’espérance et la charité… », nous finirons par avoir conscience de notre pauvreté, et donc de la nécessité pour notre âme d’être nourrie par Dieu, par les vertus de Dieu, par la présence de Dieu !

Alors notre cœur s’ouvrira… Et nous goûtons à la consolation dont parle la première Lecture : « Dans la consolation je les ramène. »

Alors nous rendons grâce pour cette Présence de Dieu qui me fait adhérer à Lui, L’espérer et L’aimer. Nous nous levons, et comme l’aveugle guéri, nous nous mettons ou nous remettons à suivre notre Sauveur : « Aussitôt l’homme se mit à voir et il suivait Jésus sur la route. »

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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