Lectio divina
Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.
« Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, c’est à dire l’amour par le service »
Lectio divina pour le 29ème Dimanche ordinaire, le 22 octobre 2017
Nous entendrons ce 29ème Dimanche Ordinaire un des passages de l’Évangile les plus célèbres et les plus cités depuis que l’Église existe et qu’elle a une histoire, histoire mêlée par ses grâces et par ses faiblesses à l’histoire du monde, à l’histoire des hommes et donc à l’histoire politique : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Telle est la phrase que le pouvoir temporel et les pouvoirs spirituels se disputent depuis 2000 ans pour arguer de leur indépendance. C’est tantôt le gouvernement tantôt l’Église qui usent de cette arme pour défendre leur terrain de chasse…
Quel que soit le but avec lequel les hommes utilisent cette petite phrase de Jésus, celle-ci est prise pour une identification entre Dieu et César : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Donc nous divisons le monde en deux parties égales : le monde de la politique avec ses chefs d’états et le monde du spirituel avec son chef, le Pape et les évêques. Un pouvoir temporel et, en contrepoids, un pouvoir spirituel. Mais est-ce finalement une interprétation juste que cette identification entre César et Dieu ?
« Fais-nous toujours vouloir ce que Tu veux… »
Il est vrai qu’entendant la collecte qui débute la Liturgie de ce 29ème Dimanche Ordinaire, il semblerait qu’avec le Christ, l’Église elle-même nous pousse à cette identification. En effet nous avons demandé à Dieu la grâce de pouvoir Le servir sans partage, servir Sa gloire. Nous avons demandé la grâce de vouloir ce qu’Il veut. Ne sont-ce pas là des éléments qui tendraient à faire de Dieu un tout puissant, un pharaon, un maître ayant avec les hommes la relation que les rois de ce monde ont avec leurs sujets, une relation de soumission exercée par un pouvoir totalitaire ? Vouloir ce que Dieu veut, Le servir dans Sa gloire, n’est-ce pas une soumission négatrice de notre liberté ?
Justement le Christ fait le partage et la différence. Il dit : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Il ne dit pas : Rendez à César comme vous rendez à Dieu ni : Rendez à Dieu comme vous rendez à César. Il distingue bien César et Dieu. Il y a donc, dans l’esprit du Christ, une distinction dans la relation que l’homme a avec le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, le roi d’un côté et Dieu de l’autre.
« Celui qui accueille un enfant m’accueille. »
Quelle différence y a-t-il entre la relation de l’homme à César et de l’homme à Dieu ?
Jésus la définit plus loin dans l’Évangile. Il dira à Ses apôtres au chapitre vingtième de Matthieu : « Les grands se font servir et règnent en maîtres, pour vous qu’il n’en soit pas ainsi mais que le plus grand d’entre vous soit le serviteur et que le premier soit le dernier. » Il y a donc une opposition totale entre, d’un côté, la manière dont l’homme est appelé habituellement à servir son maître temporel et, de l’autre côté, la manière dont l’homme est appelé par vocation à servir son roi spirituel.
Dans le monde temporel et politique de l’homme, nous servons le Prince à travers les grands qui le représentent ; songeons aux Grands d’Espagne, dénomination qui veut bien dire ce qu’elle veut dire. Ce sont des hommes de haute dignité qui représentent le pouvoir du roi ou du Président. Le peuple sert la monarchie à travers le biais de ces Grands qui ont une certaine juridiction temporelle.
Alors que, au contraire, le service de Dieu se fait à travers les petits, ceux que Jésus appelle les enfants. « Celui qui accueille un enfant m’accueille. », moi le Fils de Dieu. « Celui qui donne un verre d’eau à cet enfant c’est à moi qu’il le donne. »
L’enfant, pour Jésus, c’est bien sûr l’enfant. Mais c’est aussi tous ceux qui sont petits, humbles, pauvres, malades. C’est l’étranger oui, pas forcément l’étranger national ; c’est déjà celui qui n’est pas de notre cité, celui qui n’est pas de notre classe, celui qui n’est pas de notre région… Ce sont les orphelins, ce sont les veuves, ce sont tous ces gens qui, dans la cité, sont à la merci des peines, des injustices, des rebuffades.
Yahvé s’emploie déjà de nombreuses fois, dans l’Ancien Testament, à recommander à Son peuple d’être accueillant avec le pauvre, de payer le salaire avec justice, d’accueillir l’étranger qui souhaite s’intégrer à sa foi, de soutenir la veuve et l’orphelin…
Dans le royaume de Dieu, les grands sont les petits
Dans le monde temporel, on s’approche du Prince par les grands. Alors qu’on s’approche de Dieu par les petits. Dans le royaume de Dieu, les grands sont les petits. La relation de l’homme à Dieu se situe donc à l’opposé de la relation de l’homme au Prince.
Pour vivre cette relation cela demande une liberté d’esprit très grande. C’est pour cela qu’avec la prière sur les offrandes, avant d’entrer dans le rite eucharistique proprement dit, nous demanderons à Dieu la liberté d’esprit pour Le servir en plénitude à l’autel. Pas seulement à l’autel liturgique, mais à l’autel de notre cœur, c’est à dire dans toute notre vie quotidienne.
La liberté d’esprit c’est ne pas faire acception des personnes, ne pas considérer le pauvre de manière médiocre parce qu’il est pauvre et le riche d’une manière particulière parce qu’il est riche. Soyons honnêtes : nous serions naturellement enclins à ces regards biaisés… Notre regard, notre sourire, notre générosité variera suivant que notre interlocuteur est un homme de bien ou non : sociologiquement, économiquement, moralement, physiquement parlant… « Suivant que vous soyez puissants ou misérables… » écrivait La Fontaine.
Pour vivre la relation que nous demande le Christ, la relation de l’homme à Dieu, il ne faut donc pas faire acception des personnes. Il faut être comme Dieu même.
Curieusement, les scribes qui viennent interroger Jésus ne s’y trompaient pas ; ils disent : « Toi qui juges droit parce que tu ne fais pas acception des personnes. » Sans le savoir ils prophétisent, comme plus tard Anne et Caïphe le feront pour la mort de Jésus. Sans le vouloir ils donnent à Jésus le titre même de Dieu : Celui qui regarde en profondeur, Celui qui sonde les reins et les cœurs et ne fait acception de personne, accueillant le pauvre comme on accueille le riche.
« Ce que vous avez fait à l’un de ses petits… »
Il nous faut donc pour entrer dans cette relation de l’homme à Dieu, pour faire partie du royaume de Dieu, pour servir Dieu, avoir cette liberté d’esprit c’est-à-dire ce regard que Dieu pose sur chacun et chacune d’entre nous. Il nous faut tout simplement avoir la foi, comme le rappelle saint Paul dans son épître aux Thessaloniciens.
C’est cela la foi. Ce n’est pas seulement réciter son Credo. La foi c’est arriver à avoir ce regard de Dieu, ce regard de Jésus sur l’homme et sur le monde qui est un regard de rédemption. C’est un regard de miséricorde, qui plonge sur le pécheur, publicain comme pharisien. C’est pourquoi l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ n’hésitera pas à écrire : « Personne ne juge ni ne comprend droit sans le Verbe. »
Cette relation de l’homme à Dieu dans ce service de Dieu à travers les frères les plus petits, les plus humbles est un thème tellement fondamental pour le Christ qu’il y revient à plusieurs reprises dans l’Évangile. Ce sera même le thème du jugement dernier, le thème qui sera choisi pour l’Évangile de la fête du Christ-Roi ! Ainsi la boucle est bouclée : la royauté de Dieu passe bien par les petits qu’il faut servir par amour et non par les grands auxquels il nous faudrait être soumis !
La royauté du Christ n’est pas d’abord une royauté d’or et d’argent. Lors de la fête du Christ-Roi, le dernier dimanche de l’année liturgique, nous réfléchirons en Eglise sur notre fin dernière et comment nous serons évalués par la justice de Dieu.
Jésus nous a d’ailleurs prévenus : « Ce n’est pas moi qui vous juge. C’est ma Parole qui vous jugera. » Quelle parole ? Celle-ci : « J’étais nu vous m’avez habillé, j’étais seul vous m’avez visité, j’avais faim vous m’avez donné à manger, j’étais malade vous êtes venus me voir, vous m’avez soigné. » Jésus fait de la charité aux petits qui sont Ses frères l’objet de notre jugement et du départage entre les brebis et les boucs.
« Votre charité se donne de la peine… »
Et si cette relation de service de notre Dieu-Roi à travers nos frères les plus pauvres est le thème du jugement dernier, c’est que toute ma vie doit être orientée vers la perfection de cette relation ! C’est ce que l’on appelle la charité finalement : aimer le prochain comme moi-même pour l’amour de Dieu, aimer le prochain avec l’amour que Dieu lui porte.
Toute ma vie doit être orientée non pas vers le savoir, vers le pouvoir ou vers l’avoir, mais vers une entrée progressive dans la relation de serviteur de Dieu, ce Roi qui vient à moi et qui demande d’être aimé et servi, non à la manière des Césars mais à Sa manière à Lui : à travers les plus petits de nos frères.
Jésus-Christ n’exige pas de nous une perfection achevée dès l’instant où nous entrons dans l’Église. Heureusement ! Par contre Jésus exige de nous cette tension vers la perfection qui est la Sienne et qui est notre modèle : « Celui qui veut être mon serviteur, qu’il me suive ! »
Il exige que nous marchions avec Lui et derrière Lui. C’est la prière de saint Paul dans l’épître aux Thessaloniciens : « Cette espérance qui tient bon avec le Seigneur. »
Et ceci : avec l’Eucharistie du Seigneur car si nous communions c’est bien pour avoir le Christ en nous et pour en vivre : « Celui qui me mange vivra par moi. » Si nous Le mangeons, c’est dans l’espérance de progresser vers Sa perfection à Lui qui est l’amour fou, infini, vis-à-vis des hommes qui sont tous des pauvres finalement, qui sont tous des faibles, des petits.
Ex-sister, c’est partir en exode de soi…
Voilà le but vers lequel nous devons marcher.
Voilà ce que nous devons avoir en nous, cette foi active, c’est-à-dire ce regard si tendre et miséricordieux que Dieu porte sur les hommes.
Nous devons avoir aussi cette espérance d’arriver à assimiler ce regard et à le rendre de plus en plus actif en nous, de plus en plus habituel tout au long de notre vie pour arriver lors du jugement, à cet état de perfection que Jésus pourra reconnaître lorsqu’Il nous dira : « J’avais faim, tu m’as nourri ; j’étais seul, tu m’as visité. »
Voilà comment la foi active et l’espérance chrétienne nous permettent d’avoir cette charité dont parle Paul aux Thessaloniciens : « cette charité qui peine », qui travaille, car il n’est pas évident pour l’homme, marqué par le péché, de se défaire de son ego et de partir en exode de soi pour vivre une pro-existence, une vie pour les autres…
La vertu c’est un travail ! C’est une acquisition difficile et douloureuse. Nous ne sommes pas naturellement bons, contrairement à ce que disait l’ami Jean-Jacques. Nous naissons déséquilibrés et fragiles. Voyez les guerres, les heurts, les racismes, tout ce que vous pouvez constater dans notre monde…
Il faut donc que nous entrions dans une autre démarche, la démarche du service de Dieu, du service de la gloire de Dieu à travers les frères. Avec la foi et l’espérance nous pouvons arriver effectivement, petit à petit, à faire de notre vie une vie de charité qui peine, qui s’efforce et qui arrive progressivement, dans la grâce toujours opérante, à servir Dieu à travers Ses petits.
Mgr Jean-Marie Le Gall
Aumônier catholique
Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.
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