La formation humaine des candidats au sacerdoce

Construire l’homme intérieure
par don Louis-Hervé Guiny

Cet article part d’un constat tout simple : les séminaristes d’aujourd’hui sont bien des fils de leur époque. C’est donc de ce monde où les valeurs sont indifférenciées, où l’avenir est incertain, un monde marqué du sceau de l’affectif immédiat que viennent les jeunes accueillis aujourd’hui dans les séminaires. Et c’est aussi à ce monde qu’ils seront envoyés comme prêtres, si l’Église, un jour, les appelle.

Seminaristes jouent au foot

Ils viennent en effet d’une société difficile et inquiète. Celle-ci ne vit plus d’évidences rassurantes. L’uniformité y règne en apparence, mais la quête de sens demeure, quoique plurielle et éclatée. Un certain style de vie communautaire semble attirer beaucoup de nos contemporains, mais ils développent aussi des comportements narcissiques qui empêchent les liens de se tisser vraiment. On aspire à la stabilité et à la maturité, mais les trajectoires individuelles où les expériences successives s’intègrent les unes aux autres de façon suffisamment neutre et indolore pour ne pas laisser de traces dans l’histoire d’un sujet.

Ce constat, tout rapide qu’il est, appelle une hypothèse sérieuse : les crises que peut connaître aujourd’hui un séminariste durant le temps relativement long et complexe de sa formation, de même que l’épanouissement progressif qui est et doit être le sien en vue de devenir un pasteur de l’Église, touchent en fait et de façon radicale, à sa façon de vivre le mystère de la foi. Les questions d’affectivité, de sexualité, d’identité profonde et d’autres encore ne sont pas ignorées. Mais l’essentiel est là, pour lui comme pour ses formateurs : au coeur de cette société dont je viens et vers laquelle je serai peut-être un jour envoyé, à quel type de fidélité suis-je et serai-je réellement appelé ? Est-ce que cela vaut vraiment la peine de devenir prêtre ? Prêtre dans une communauté ? Quelle est la décision intérieure que je serai amené à prendre, et à tenir en toute liberté ? Qui va m’aider à la discerner, à la mûrir ? Quand ? Où et comment vais-je pouvoir unifier ma vie ? Le séminaire est le lieu et le temps où ces questions, qui engagent une existence, doivent pouvoir être posées, exposées, clarifiées, vérifiées. Les moyens institutionnels existent : sont-ils suffisants ? Sont-ils adaptés ? Sont-ils bien exploités ? Après avoir tenté une description de la façon dont est ébranlée et se reconstitue tout au long de sa formation la foi d’un séminariste d’aujourd’hui, nous mettrons en valeur quelques moyens pédagogiques extrait de la charte de formation de la communauté Saint-Martin1 susceptibles de favoriser en lui la construction de l’homme intérieur, c’est-à-dire la mise en place d’une fidélité essentielle à ce qu’il est, à ce qu’il croit, comme futur prêtre.

La foi en Jesus-Christ : l’axe prioritaire de la formation

Aborder la question de la formation sous l’angle de la foi apparaît de prime abord comme une banalité. Pourtant, il semble qu’il existe des évidences dont le rappel peut redonner du sens à l’ensemble du projet pédagogique de formation. Le degré d’exercice et de progrès dans la pratique des vertus théologales indique, comme un thermomètre, dans quelle mesure Dieu prend possession du séminariste, et par conséquent, dans quelle mesure celui-ci devient un homme de Dieu. Il n’y a pas de meilleur signe de bien-être spirituel ni de meilleure preuve que Dieu accomplit son œuvre que le progrès dans l’exercice de ces vertus qui embellissent l’âme et constituent le fondement de toute vie spirituelle. Il est donc essentiel que la formation dans son intégralité soit axée sur la maturation de la foi.

En effet, l’homme qui vit en chaque croyant grandit comme un organisme qui a besoin d’une nourriture appropriée. Autrement dit, le fait de croire est le résultat d’un processus complexe. Ce n’est pas un acte improvisé, mais un dynamisme qui remet tout en cause : l’homme qui pense et rêve, qui aime et souffre, qui s’interroge et doute, qui fait confiance …

Comme le laisse entendre Jésus dans l’Évangile, la foi ici-bas sera toujours pauvre, plus petite qu’un grain de sénevé. Il est important d’apprendre comment la faire grandir pour qu’elle devienne comme ce petit grain, puisque selon l’enseignement de Jésus, elle est capable de déplacer les montagnes, tant est grande la puissance de celui qui croit. Mais comme la plupart des montagnes restent normalement à leur place, on peut se demander s’il ne manque pas une éducation authentique à la foi. On pense souvent à tort que la foi est une chose naturelle pour nos jeunes. Ils risquent ainsi d’être entraînés à vivre leur engagement, sans bien savoir pour quoi ou pour qui, à devenir observants mais selon une logique toute humaine et réductrice. La cause principale des situations critiques chez les jeunes prêtres, se trouve dans le fait que, souvent, le modèle d’éducation à la foi est absent ou mal défini. Ce modèle manque d’un parcours pédagogique qui porte à une adhésion personnelle de foi et le renforce tout au long des phases de vie. C’est cela que nous voudrions proposer maintenant, sans prétention aucune puisque la foi est d’abord un don de Dieu. Si nous partons du présupposé que la foi embrasse toute la vie et tout l’homme, alors une éducation authentique à la foi ne peut pas être un fait qui concerne seulement une phase ou une dimension de l’existence.

Une pièce de théâtre joué par les séminaristes

correction et joie fraternelle

Dynamisme de la foi : la foi en constante evolution

Essayons donc, tout d’abord de dégager et de décrire quelques traits caractéristiques de la façon dont les séminaristes vivent et expriment leur foi au séminaire.

On peut observer qu’en très grande majorité, ils entrent au
séminaire avec générosité, portés par un idéal de service, de vie à donner, idéal qui habite leurs représentations du moment. Ils font souvent part en entrant d’une expérience antécédente, d’un moment fort qui a pu être décisif, mais qui reste bien souvent encore mal élucidé. Leur foi s’exprime sur ce terreau-là, elle est, au fond, ce terreau lui-même. Mais elle ne touche souvent que les aspects visibles de leur vie. Elle n’est pas encore fidélité objectivée, capable d’irriguer tous les secteurs d’une existence.

Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que cette foi, plus ou moins confondue avec l’aspect volontaire de leur démarche, va être déstabilisée, et même blessée à la fois par les premiers pas qu’ils vont faire dans les études et par l’objectivité du réel qui façonne la vie de tous les jours dans un séminaire. Nous pensons ici, par exemple, à la découverte que la prière personnelle régulière, qu’ils pensaient être spontanément facile et nourrissante, peut être ou devenir sèche ; que les offices et les messes, les exercices spirituels vécus au quotidien peuvent être ou devenir monotones. C’est sans aucun doute la première grande épreuve de foi qu’ils vont traverser. Celle-ci est d’autant plus violente qu’ils pouvaient avoir, pour certains, l’impression dans le monde d’avoir une foi solide en se comparant à leurs amis et à leur environnement. En fait, pour la plupart d’entre eux, ils ont reçu providentiellement la foi de leur famille. Une foi de bonne facture, assurément saine, mais qui, dans de nombreux cas, ne s’est pas développée, comme si elle n’était jamais devenue adulte et n’avait jamais affronté de
crises ou de phases de maturation. Lorsque les choses vont bien et qu’il n’y a pas de problème particulier, cette foi reçue dans l’enfance peut être suffisante. Mais quand surgit une difficulté, qu’il y a des choix difficiles à faire, on découvre alors, non sans surprise, combien la personnalisation de l’acte croyant était pauvre et inconsistante. On comprend mieux l’importance de bien baliser le chemin de formation pour accéder à cette foi adulte.

La foi a l’epreuve du temps

Combien de temps dure cette période de passage à la foi d’adulte ? Difficile à dire, bien sûr. Si la crise arrive probablement de plus en plus tard, elle couvre au moins les trois premières années et peut-être une bonne partie de la quatrième année. En quatrième, cinquième et sixième année, en tout cas, le séminariste doit être maintenant habité par une foi résolument ecclésiale. De cette foi comme foi, de par les premiers engagements, puis les ordinations, il doit devenir objectivement un témoin, un éducateur et, par dessus tout, un pasteur. Nouveau passage où s’éprouvent la solidité et la crédibilité du nouvel état de vie. Parmi les premières épreuves du ministère, vécu désormais en pleine conscience comme service de l’Église, le jeune prêtre va notamment devoir vérifier la loyauté de ses appartenances (par exemple, dans la difficile articulation foi/éthique qu’exige la société contemporaine) : me voilà tenu de dire la foi de l’Église sans mettre pour autant mon intelligence critique dans ma poche ! Je découvre par là même l’obligation qui m’est faite de continuer à m’investir sérieusement, loyalement, dans 1’intelligence de la foi – obligation exercée tant à l’égard de l’Église et du monde que de moi-même. Cette prise de conscience décisive (qui peut être tardive) engage toujours à l’intérieur de la personne du
jeune diacre ou du jeune prêtre de vrais débats, qui sont donc aussi de vrais combats.

La formation humaine englobe tous les aspects de la vie…

Creer un climat de confiance

De façon générale, il importe d’établir en tous domaines un climat de confiance. C’est primordial, s’il s’agit bien d’aider le séminariste à passer de la générosité à l’abandon. C’est irremplaçable, s’il faut lui apprendre à lâcher prise là où il le faut, à construire en lui-même cet homme intérieur qui sera un jour un ministre de l’Église. Le climat de confiance (qui est fondamentalement celui de la confiance en Dieu) doit régner partout : confiance en eux-mêmes, confiance entre eux ; confiance dans l’équipe des formateurs, dans le corps de professeurs, confiance en l’institution ecclésiale qui les accueille, les soutient, vérifie et authentifie leur démarche, et en définitive, les appelle. Il ne faut pas craindre d’insister sur ce point, dans la mesure où la question de la foi reste chez eux (pour une bonne part du moins) coextensive à la confiance qu’ils accordent à leurs éducateurs. Et cette confiance se gagne quand on peut les persuader que ce qu’ils vont vivre dans l’aventure du séminaire est bon pour eux. On ne peut leur dire la loi et les exigences de l’Église sans la fonder en même temps sur la promesse d’une vie bonne, d’une vie qui a du sens et qui donne du sens à ceux qui se livrent à la route : Toi aussi, fais l’expérience, pour voir si cela marche. Les éducateurs qui t’accompagnent se portent garants du bienfondé d’un tel risque. Trois conditions sont requises pour que les séminaristes perçoivent et vivent effectivement dans ce climat de confiance. En premier lieu, il importe que la communauté éducatrice soit d’abord elle-même dans ce même climat de confiance avec l’Église, universelle et particulière. C’est la base de la crédibilité des formateurs à l’égard des séminaristes. On ne saurait trop insister sur le rôle joué par la communauté éducative du séminaire. En effet, la pratique de la communauté éducatrice entend se fonder sur la pratique même de Jésus-Christ qui a appelé, rassemblé, formé et envoyé ses apôtres. C’est toujours ce même appel qui constitue aujourd’hui une communauté de séminaire : la nature profonde du séminaire est d’être à sa manière, une continuation dans l’Église de la communauté apostolique groupée autour de Jésus (Pastores Dabo Vobis, 60).

La deuxième condition s’enracine dans la manière dont les formateurs exercent l’autorité qui leur est confiée dans l’exercice de leur ministère. Si c’est une banalité de constater que l’autorité est en crise dans nos sociétés, il importe de fonder de manière chrétienne et théologale l’exercice de l’autorité dans le séminaire. L’enjeu est grand puisque l’exercice de cette autorité va favoriser ou non un véritable climat de confiance. Encore faut-il s’entendre sur la conception que l’on se fait de l’autorité et de son exercice. C’est en contemplant la manière dont Jésus-Christ a exercé l’autorité que l’on perçoit celle-ci comme un service de la croissance de la vie théologale des futurs prêtres. Elle les prépare d’un seul et même mouvement, à la liberté et à l’obéissance apostoliques que réclamera leur ministère (PDV, 27).

Enfin, pour favoriser ce climat de confiance, il importe que, comme dans une famille, chacun puisse vivre, être lui-même, exprimer ses émotions sans se sentir jugé. Le rôle et l’impact des séminaristes en fin de formation se révèlent ici fondamentaux. L’esprit d’une maison dépend certes de ses formateurs mais aussi des aînés du séminaire. Dans tout processus de formation, le fait que les nouveaux puissent se projeter dans les aînés et dans leurs formateurs s’avère important. Au terme de cette trop brève analyse, nous espérons avoir bien mis en valeur la ligne de force de la formation : aider le séminariste à reproduire en lui dans et par la foi les sentiments du Fils. Cette expression représente effectivement le noyau central du modèle théologique et anthropologique d’un projet de formation. C’est aussi l’objectif de l’option croyante : la foi, dans son expression la
plus mûre, est le choix de la conformation, et non pas celui de l’appartenance idéologique. L’homme spirituel est celui qui tend à la totale identification avec le Fils, dans l’intensité de l’amour et en chaque aspect de l’existence, jusqu’aux sentiments. Le lien entre la foi, l’amour et la liberté apparaît encore une fois. Il est important que, dans la formation, ces liens soient opérants d’une manière concrète sur le plan idéal et méthodologique. Tout d’abord, l’action éducative doit viser la transformation du coeur, pour qu’il apprenne à aimer à la manière du Christ. On ne peut parler de formation que là où advient une transformation. Elle est une opération pleinement spécifique mais aussi radicale, à la fois concrète et globale, surnaturelle et humaine. Elle ne se contente pas de modeler les comportements ou les gestes extérieurs, mais elle va en profondeur, touche le coeur et ce qu’il y a de plus humain dans le séminariste, en lui proposant le maximum : les sentiments de Jésus, les désirs de Dieu. Cette voie de conformation au Christ et à ses sentiments dans la foi devient ainsi la longue route où le coeur du futur prêtre découvre la possibilité d’aimer d’une manière absolument nouvelle et vraiment divine. C’est le mystère de la charité pastorale.