Jalons pour une spiritualité martinienne
Don Bruno Attuyt
20 mai 2004
Jacques Fontaine dans son commentaire de la Vita Martini, écrite par Sulpice Sévère, tente une présentation de la spiritualité de saint Martin et de ses disciples d’aquitaine. Marquée par le contexte historique et la dimension fortement monastique, si cette spiritualité demande des réajustements adaptés à la vie actuelle, elle n’est pas sans trouver quelques échos dans la vie de la Communauté Saint Martin. Ce qui semble intéressant dans la présentation qu’en fait J.Fontaine, c’est la compatibilité de cette spiritualité du IV°s avec les grands courants mystiques postérieurs. Ainsi, par exemple, la vision « dramatique » du monde selon saint Martin se concilie tout à fait avec l’esprit ignatien , bénédictin ou thérésien.
Le contexte historique de la spiritualité martinienne.
Martin est un homme d’action et de prière. Sa formation s’est faite par la catéchèse, l’homélitique et la liturgie ainsi que par des contacts personnels, des « collations », avec saint Hilaire et d’autres. La spiritualité martinienne se présente en opposition avec divers courants hétérodoxes qui traversaient la Gaule comme le priscillianisme, l’origénisme, le novatianisme et l’illuminisme. Cela dans un contexte géopolitique où le christianisme devient religion d’état (379-381) entraînant un renforcement de la lutte anti-païenne et le développement du culte des martyrs (386). Dans l’Église, le monachisme se développe et les communautés chrétiennes doivent faire face à l’entrée massive des païens dans l’Église.
Genèse de cette spiritualité
Le fondement sur lequel se construit cette spiritualité, c’est le christianisme militant vécut par un laïc militaire. Au IVs, c’est parmi les militaires que l’ascétisme recrutera le plus. La vie militaire est comme le terrain naturel à l’exercice des vertus de « noviciat » : disponibilité, obéissance et pauvreté. On comprend l’émergence d’une spiritualité du soldat de Dieu. Martin sort de l’armée pour entrer presque immédiatement dans la cléricature et se retrouve brusquement jeté dans la résistance active à l’arianisme, ce qui renforcera sa spiritualité de soldat de Dieu. La méditation du martyre a été certainement pour Martin une donnée immédiate de son expérience spirituelle, elle renforce sa vocation ascétique. Son passage de la profession militaire à la vie monastique, de la cléricature à l’épiscopat s’opère sans heurts, du moins dans l’ordre intérieur, car il s’agit d’un approfondissement logique des exigences de la militia Dei. Martin cherche aussi l’imitation des moines d’orient dans ses combats spirituels tout en faisant alterner ce combat intérieur avec des périodes d’action. Sa solitude n’a jamais été totale.
Traits originaux du premier monachisme martinien
A travers la lecture des écrits sulpiciens on peut dégager quelques traits du monachisme martinien. Il apparaît différent du cénobitisme égyptien tout en étant rigoureusement organisé. Si l’ascétisme est très charismatique et peu hiérarchisé, il y a des temps de prières communes, des vigiles nocturnes, des rites d’accueil et d’hospitalité imités de l’Egypte. La formation des novices se fait autour d’un « abba » ancien disciple de Martin. L’histoire de Brice souligne l’existence d’une opposition de génération entre le pneumatisme de Martin et ses disciples lettrés. Petit à petit se développe une spiritualité apostolique et pastorale, signe de l’influence d’Hilaire de Poitiers. Mais si la spiritualité de Martin devient sacerdotale, elle ne cesse pas d’être ascétique. L’ascétisme est mis au service de l’annonce de la Parole. Par son originalité cette spiritualité va rencontrer l’opposition des confrères ecclésiastiques de Martin. Néanmoins équilibrée par sa richesse, une dans sa diversité, elle est tempérée dans son foisonnement intérieur par l’influence bénéfique d’Hilaire qui par la personne de Martin fut l’éducateur monastique de la Gaule romaine.
+ Don Bruno Attuyt
Caractéristique de cette spiritualité
On peut mettre en valeur quatre traits majeurs de la spiritualité martinienne :
– Le combat spirituel va revêtir plusieurs formes : duel personnel (rare), dimension charitable (arracher quelqu’un à Satan), lutte contre la fausse mystique, thaumaturgie fonctionnelle, exercice de la patience allant de la charité de compassion à l’humilité.
– Le monde est regardé avec une vision spirituelle dramatique. Il est aux prises avec Satan, d’où la nécessité d’une prière continue et ininterrompue, d’un discernement spirituel.
– La contemplation du Christ souffrant et humilié, la dévotion à la croix et la place des martyrs sont les thèmes principaux de la spiritualité de Martin.
– Le pneumatisme de Martin. Sa docilité à l’Esprit Saint lui fait accepter les échecs (le conflit avec l’empereur au sujet des priscilliens, la non conversion de ses parents, le conflit avec ses disciples…).
A condition de ne pas être lue trop vite, la Vita Martini demeure l’un des plus précieux, parce que le plus ancien, des manuels de spiritualité du monachisme occidental. Il se peut que les idées personnelles de Sulpice Sévère aient un peu interféré avec celles de celui qu’il considérait comme son maître spirituel et que certaines nuances qui n’étaient qu’implicites chez Martin aient été développées à l’extrême par notre auteur, cependant, comme le souligne J. Fontaine, le vrai visage spirituel de saint Martin n’a pas été trahi.
Mise en perspective
Qu’en est-il de cette spiritualité et de notre Communauté Saint Martin. Bien entendu la communauté saint Martin n’est pas une communauté monastique, mais sa référence au treizième apôtre montre que son charisme assume l’héritage communautaire et apostolique. Dès les commencements la communauté a été placée sous le patronage de deux saints, saint Martin, pour la dimension communautaire de la vie sacerdotale et saint Jean Baptiste pour la dimension ascétique. Les usages communautaires qui ont entourés dès les débuts les temps liturgiques de l’avent et du carême soulignent comment le style de vie sacerdotal au sein de la communauté est marqué par l’ascétisme comme expression du combat spirituel que tout un chacun se doit de mener pour se préparer à la vie pastorale. Nous savons que ces usages sont restés en vigueur dans les communautés locales. Si nous nous sentons en pleine harmonie avec le discours du Pape sur la nouvelle évangélisation face à une « culture contemporaine de mort », si pour nous la prière chorale est si importante pour alimenter notre ministère, c’est bien parce qu’au plus profond de notre fibre martinienne, le regard que nous portons sur le monde est le même que celui de Martin. L’exigence de la prière continue qui en découle, s’exprime pour nous dans la participation active et communautaire de la liturgie des heures, prière continuelle et ininterrompue de l’Eglise universelle. Nous savons aussi combien nous sommes marqués par la dévotion au Christ en croix. Le soin que nous mettons tous à nos célébrations du Triduum pascal n’est pas à démontrer. Pourquoi alors s’étonner que nous soyons confrontés aux mêmes défis et aux mêmes tentations que saint Martin tant dans notre ministère que dans notre vie de communauté ou personnelle. En relisant (lisant ?) la vie de saint Martin écrite par Sulpice Sévère pour y découvrir ou redécouvrir la spiritualité qu’elle exprime, en y confrontant ce que nous vivons communautairement et pastoralement, nous pouvons trouver matière à approfondir notre charisme martinien voire même une possibilité de le formaliser un peu plus.