Brève histoire du chant grégorien
Le chant grégorien n’est pas une création spontanée ; il est le fruit d’une évolution et d’une fusion d’éléments musicaux déjà existants, adaptés, dès les premiers siècles de l’Église, aux nécessités du culte chrétien. Nous divisons son histoire en cinq périodes dont les lignes de démarcation sont forcément un peu fictives.
I-IIIe siècle : la cantillation et le chant des premières communautés chrétiennes
Le peuple juif récitait les psaumes pour s’adresser à Dieu dans la prière. Il est donc naturel que les premières communautés chrétiennes issues du judaïsme se soient inspirées de cette façon de prier. A l’origine ce sont les ministres qui chantaient puis progressivement le chant s’est étendu à l’assemblée. Durant les persécutions, les premiers chrétiens devaient se cacher pour accomplir leurs cérémonies. La prudence leur dictait de ne pas faire usage des instruments de musique bruyants dont les Juifs et les païens accompagnaient leurs chants. Il en résulta pour le chant liturgique ce caractère de pureté et de richesse spéciales qu’il dut à la nécessité de se suffire à lui-même. La beauté de ces pièces archaïques est toute en simplicité : recto tono ou mélismes simples mais encore récitatifs (comme le Gloria ambrosien).
IV-VIe s. : le développement musical dans un contexte de liberté religieuse et de faste cultuel (Édit de Constantin en 313).
C’est l’époque où les textes liturgiques sont fixés. On élabore aussi des livres liturgiques appelés sacramentaires, alors attribués à Saint Grégoire le Grand qui aurait composé le chant grégorien. En réalité, le pape Grégoire Ier (590-604) a notifié les textes à utiliser en liturgie, textes auxquels étaient évidemment rattachées des mélodies plus anciennes. C’est au cours de cette période que s’effectue le passage du chant de type récitatif à la mélodie.
VII-XIe s. : l’âge d’or du chant romano-franc et la naissance de l’écriture musicale
C’est une période religieuse florissante au cours de laquelle de nombreuses pièces sont composées. Les musiques entrent alors en concurrence : chant « vieux-romain », gallican, wisigothique, alémanique, ambrosien… La réforme carolingienne promeut l’unité liturgique en vue de sceller l’unité du Saint-Empire. De cette compénétration des musiques va sortir le chant « romano-franc » : ossature et sobriété romaines habillées par l’ornementation et la hardiesse du chant gallican (Metz, Laon, Noyon, Chartres, Poitiers, Rouen…). Cependant, au moment où a été créé le nouveau répertoire « romano-franc » (grégorien), il a fallu que les chantres apprennent par cœur – et très rapidement – un nouvel ensemble de pièces devant remplacer les pièces qui leur avaient été transmises jusqu’ici par une tradition vivante et qu’ils avaient en mémoire. C’est ainsi que vers 850 apparaît l’écriture musicale pour pouvoir aider les chantres dans leur travail de mémoire : dans un premier temps apparaissent les neumes qui constituent comme une sorte de dessin ou image du chant, avant que ne se précise la hauteur des sons sur une portée musicale comportant des lignes et une clef. Ainsi, c’est à la suite de la naissance du chant grégorien et afin de pouvoir l’écrire que se met en place le système de notation musicale qui conduira à celui que nous connaissons aujourd’hui encore. Les mélodies reçues de la période précédente sont combinées, dupliquées, annotées et étendues à l’usage universel.
XII-XIXe s. : une progressive décadence
L’apparition, puis le développement, de l’écriture musicale aura deux conséquences de taille :
– d’une part elle va rendre possible l’élargissement de l’imagination musicale des compositeurs ; ceux-ci se dirigeront alors vers la création d’une musique de plus en plus complexe dans la mesure où la mémoire, inapte à tout retenir, pourra se faire aider par l’écriture. Cette orientation nouvelle entraînera par la suite un désintérêt pour la monodie grégorienne au profit de la polyphonie.
– d’autre part, la fixation des mélodies grégoriennes sur le papier s’accompagnera de la perte de leur moyen de transmission oral et, par là-même, des secrets de son interprétation.
On peut dire que la disparition du chant grégorien comme art vocal monodique autonome s’est faite au profit de la polyphonie dont seront issues par la suite la musique tonale et toutes les musiques qui ont suivi. Le chant grégorien se situe donc à un moment très important de l’histoire de la musique, qui voit naître tour à tour l’écriture musicale et la polyphonie. Son étude permet donc de remonter aux sources de la musique d’aujourd’hui. L’arithmétique musicale masque peu à peu la Parole.
de 1880 à nos jours : la restauration de la tradition grégorienne
Au point de départ de la redécouverte du chant grégorien s’est trouvée la figure de Dom Prosper Guéranger (1805-1875) restaurateur de la vie bénédictine en France autour de l’abbaye de Solesmes. Il eut l’intuition que cette musique contenait à l’origine une capacité éminente de porter les textes sacrés en usage dans la liturgie ; il y voyait une prière musicale d’une rare richesse pour ses moines : la Parole de Dieu qui chante. Mais, au temps de Dom Guéranger, les secrets de l’interprétation du chant grégorien étaient perdus depuis longtemps et il n’existait encore aucune édition cohérente donnant les mélodies grégoriennes. Il fallait donc entreprendre de grands travaux de restauration du répertoire grégorien. C’est sous cette impulsion que l’abbaye de Solesmes commença ses travaux de recherche devant aboutir à une restauration de l’intégralité du répertoire et, conjointement, à une redécouverte de la façon d’interpréter les mélodies grégoriennes. Dès 1903, le pape Saint Pie X allait confirmer la valeur d’une telle démarche et, plus encore, demander à toute l’Église de rite romain de reprendre le chant grégorien comme chant étroitement lié à la liturgie latine. Cette demande sera réitérée par tous les papes qui succéderont par la suite à Saint Pie X, et sera confirmée pour la première fois, de façon particulièrement solennelle, par la Constitution Sacrosanctum Concilium du Concile Vatican II.