Meditations pour l’Heure Sainte

Méditations rédigées par deux prêtres formateurs de la Communauté Saint-Martin, don Montfort de Lassus et don Jean-Rémi Lanavère, et prononcées lors de l’Heure Sainte avec les séminaristes et les paroissiens d’Évron.

Heure Sainte

En 1674, dans une apparition à sainte Marguerite-Marie Alacoque, le Seigneur l’invita à vivre avec lui la solitude de Gethsémani. Cette demande a donné naissance cette dévotion qui permet de s’immerger avec Jésus dans sa Passion, grâce à l’oraison – prière silencieuse – et aux prières d’intercession en vue de la conversion des pécheurs.

Première méditation

Le reniement de Pierre

Après le chant des psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers. Jésus leur dit : « tous vous aller succomber, car il est écrit : « je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. Mais après ma résurrection, je vous précèderai en Galilée. » Pierre lui dit : « même si tous succombent, du moins pas moi ! » Jésus lui dit : «  en vérité, je te le dis : toi, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq chante deux fois, tu m’auras renié trois fois ». (Mc 14, 26-30)

James Joseph Jacques Tissot (1836–1902) : « Le deuxième reniement de Pierre. » Extrait de « La Vie de Jésus », 1886 – 1894. New-York, Brooklyn Museum.

Pourquoi Pierre s’oppose-t-il à cette prophétie et à cette parole de Jésus ? Tout laisse à penser qu’il n’accepte pas la loi selon laquelle, tout comme une cellule doit se diviser pour faire croître le corps, la dispersion des brebis doit conduire à une communion plus grande avec le pasteur. Ainsi les disciples qui ont été appelés par Jésus pour « être avec lui » doivent-ils, eux aussi, connaître la séparation et la dispersion avant d’être réunis dans un autre lieu, en Galilée, et dans un rapport renouvelé avec le Seigneur.

Jésus introduit ses disciples à ce mystère en les conduisant en dehors de Jérusalem à l’écart de la ville et des remparts comme s’il fallait quitter certaines fausses sécurités. En citant alors le prophète Zacharie qui annonçait à Jérusalem sa destruction et la dispersion de l’Exil à Babylone, Jésus invite ses disciples à l’Exil véritable qui les conduira à une intimité plus grande avec lui. Par sa réplique, Pierre oppose à Jésus son arrogante toute-puissance et, comme Babel, il cherche à contrevenir à l’ordre de dispersion de Dieu en prétendant rester unis à lui par ses propres forces : « faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! (Gn 11, 4) ». Son reniement est à l’image de la chute de la fameuse tour.

Le reniement de Pierre montre que nous refusons d’abord le chemin que le Seigneur lui-même a choisi d’emprunter avant de dire « je ne connais pas cet homme » (Mc 14, 71). Or, lors du lavement des pieds et déjà, lors de son baptême par Jean-Baptiste, Jésus invite les disciples qui veulent avoir part avec lui à le laisser faire pour accomplir toute justice. Durant ce carême nous avons voulu nous efforcer de nous unir davantage à Jésus en renonçant au péché, à nos mauvaises habitudes, à nos idées, nos conforts. Et pourtant, ce soir, Jésus nous demande davantage. Il ne nous demande pas de mourir pour lui. Il nous réclame de le laisser mourir pour nous ! Et pour cela, Jésus nous enjoint d’accepter de lâcher le grain de blé de nos mains, pour qu’il tombe en terre, meurt et porte du fruit.

Seigneur Jésus, dans la nuit de ta passion, tu as souffert pour nous, nous te prions. Donne-nous de ne pas chercher à te maîtriser et de ne pas compter sur nos propres forces pour rester unis à toi. Donne à tous les chrétiens de compter sur ta puissance et ta fidélité pour traverser les épreuves de cette vie et viens nous rassembler en un seul corps et un unique Esprit !

Deuxième méditation

La priere de Jesus a Gethsemani

Mc 14, 32 : Ils parviennent à un domaine appelé Gethsémani. Jésus dit à ses disciples : « Asseyez-vous ici, pendant que je vais prier ». Puis il emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean, et commence à ressentir frayeur et angoisse. Il leur dit : « Mon âme est triste à mourir. Restez ici et veillez ».

James Joseph Jacques Tissot (1836–1902) : « Vous n’avez pas eu la force de veiller. » Extrait de « La Vie de Jésus », 1886 – 1894. New-York, Brooklyn Museum.

C’est dans ces paroles de l’Évangile que l’heure sainte trouve son origine : nous restons auprès de notre Seigneur, Jésus-Christ, réellement présent dans son Saint-Sacrement. Bien sûr, cette heure sainte, ce soir, est un temps de prière commune, et nous voulons, par la ferveur de notre prière, nous associer à tous les fidèles du Christ, qui, dans l’Église répandue sur les cinq continents, restent auprès du Maître et veillent. Mais, ce soir, nous comprenons aussi l’essentiel de la prière : elle est d’abord celle de Jésus, avant d’être la nôtre. Certainement, nous voulons répondre à sa demande : « Veillez et priez » (Mc 14, 38). Mais il a commencé par dire : « Asseyez-vous ici, pendant que je vais prier » (14, 32). C’est son « je » qui prie en premier, pas le nôtre. C’est Lui le grand priant, ce n’est pas nous, car, souvent, comme Pierre, Jacques, et Jean, nos yeux sont alourdis de sommeil, et nous n’avons pas la force de veiller une heure (cf. v. 38 et v. 37). C’est sa prière qui compte avant tout, et si la nôtre compte, c’est parce qu’elle entre dans la sienne. Ce soir, nous voulons donc réapprendre, à son école, la prière chrétienne : entrer dans la prière du Christ, faire nôtre la sienne, communier à sa prière, comme nous avons communié, aujourd’hui, à son corps et à son sang. Seigneur Jésus, apprends-nous à ne pas compter sur nos forces pour prier, fais-nous entrer dans ta prière !

Mais quelle est sa prière ? La prière du Christ, ce soir, à Gethsémani, n’est pas une prière de bénédiction, d’adoration, d’actions de grâces ou de louange. C’est une souffrante prière de supplication à Dieu le Père : « Abba… Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! » (14, 36). Par cette prière, le Christ s’associe tous les hommes, de tous les lieux et de tous les temps, qui connaissent l’angoisse, la tribulation, la détresse, la souffrance, l’abandon, l’épreuve, tous ceux pour qui la volonté de Dieu paraît impossible à accepter, tous ceux pour qui Dieu paraît demande beaucoup trop, plus qu’un homme peut supporter. Ce soir, en communiant à Jésus en prière, nous voulons nous associer à toutes les personnes, proches ou lointaines, qui connaissent leur Gethsémani, à toutes les personnes qui n’ont même plus la force de prier, à tous ceux qui s’en remettent à nous pour porter leurs intentions et leurs souffrances. Seigneur Jésus, apprends-nous ce soir, comme toi, à faire nôtres les tristesses et les douleurs des autres, pour les porter dans ta prière !

Troisième méditation

L’arrestation de Jesus

Jésus parlait encore quand Judas, l’un des Douze, arriva et avec lui une foule armée d’épées et de bâtons (…) Or, celui qui le livrait leur avait donné un signe convenu : « Celui que j’embrasserai, c’est lui : arrêtez-le, et emmenez-le sous bonne garde. » À peine arrivé, Judas, s’approchant de Jésus, lui dit : « Rabbi ! » Et il l’embrassa. Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent. (Mc 14, 43-46)

James Joseph Jacques Tissot (1836–1902) : « Le baiser de Judas » Extrait de « La Vie de Jésus », 1886 – 1894. New-York, Brooklyn Museum.

Le chrétien peut être tenté de mettre fin à sa relation avec le Christ, par négligence, lassitude, déception ou face à la persécution. Nous même nous pouvons peiner à comprendre Jésus et bien souvent de fausses images nous conduisent à trouver Jésus gênant et à penser que la foi qu’il nous réclame nous embête et nous empêche de vivre tranquillement. Et, si nous acceptons un temps de lui laisser une place, vient souvent un moment où nous décidons de mettre fin à sa présence. Et, pourtant, nous voulons bien croire qu’il veut notre bonheur mais « son langage est trop fort pour nous » (Jn 6, 60), il va trop loin, il nous met en danger, il nous fait peur ! Et puis, jusqu’où va-t-il aller ? Et que va t-il nous demander après ? Nous risquons de ne plus tout maîtriser et de passer à côté de beaucoup de bonnes choses : une femme, des enfants, une terre, une situation, une bonne vie… Une autre difficulté est que Jésus ne s’arrête jamais, il est vivant partout et semble nous défier. Il est là tous les dimanches, voire tous les jours à la messe, il est là dans le tabernacle à attendre, et il nous semble que nous devons sans cesse essayer d’y croire, de ne pas lui déplaire pour ne pas subir sa colère…

Qui n’a pas pensé que Jésus commençait à prendre trop de place ? Qui n’a pas eu envie de dire « stop » à ce Jésus ? Qui n’a pas eu envie de l’arrêter ? Mais comment faire ? Comment faire pour se défiler sans trop en avoir l’air, pour rester avec lui et se retirer sur la pointe des pieds sans se faire remarquer, sans perdre la face et ne pas être taxé d’infidèle ? Judas n’était peut-être pas si différent de nous ! Jésus est le chemin et nous savons prendre des voies détournées pour le fuir, nous savons calculer et fomenter en secret des plans compliqués, nous savons nous mettre en campagne, de nuit, pour stopper celui qui ne se cache pas. Jésus est la vérité et nous savons mettre en scène notre péché. Nous savons employer un langage codé pour tenter d’échapper à sa clairvoyance, nous savons brouiller le langage et détourner les gestes d’amour en geste de haine. Jésus est la vie et nous savons nous exciter peu à peu et ruminer nos mauvais désirs, nous savons nous entourer de confrères pour justifier notre attitude, nous rassurer et garder bonne contenance.

Seigneur Jésus, dans la nuit de ta passion Tu as souffert pour nous, nous t’en prions pour ceux qui sont tentés d’abandonner la foi : « Seigneur n’arrête pas l’œuvre de tes mains » (Ps 137, 8). Ce soir, alors que bien souvent nous sommes nous aussi tentés de vouloir t’arrêter, viens nous montrer ton vrai visage. Pour te demander pardon, nous venons renouveler les promesses de notre baptême en répondant ensemble par trois fois « oui je le rejette » : Pour vivre dans la liberté des enfants de Dieu, rejetez-vous le péché ? Oui, je le rejette. Pour échapper au pouvoir du péché, rejetez-vous ce qui conduit au mal? Oui, je le rejette. Pour suivre Jésus Christ, rejetez-vous Satan qui est l’auteur du péché ? Oui, je le rejette.

Quatrième méditation

Jesus devant le Grand-Pretre

Mc 14, 60-61 : « Alors s’étant levé, le grand prêtre, devant tous, interrogea Jésus : « Tu ne réponds rien ? Que dis-tu des témoignages qu’ils portent contre toi ? ». Mais lui gardait le silence et ne répondait rien.

 

James Joseph Jacques Tissot (1836–1902) : « Le tribunal d’Anne. » Extrait de « La Vie de Jésus », 1886 – 1894. New-York, Brooklyn Museum.

Cette nuit du jeudi saint au vendredi saint n’est pas seulement celle des reniements, celle de la prière et de la souffrance à Gethsémani, celle de l’arrestation, mais c’est aussi la nuit du procès de Jésus. Jésus a passé les années de sa vie publique à répondre aux questions qui lui étaient posées, à faire face à ses détracteurs. Ce soir, il ne répond rien à ceux qui témoignent faussement contre lui : « Mais lui gardait le silence et ne répondait rien » (Mc 14, 61). Il répondra seulement au grand prêtre par l’affirmation de ce qu’il est (14, 61-62) : « Es-tu le Christ, le Fils du Dieu béni ? ». Jésus lui dit : « Je le suis ». Il répondra surtout par sa passion, par sa croix et par sa résurrection : sa vraie réponse est son témoignage, c’est-à-dire son martyre.

Ce soir, nous prions pour toutes les personnes qui sont victimes d’accusation mensongère, de diffamation et qui sont sans défense, et nous prions pour tous les chrétiens qui, de par le monde, sont en butte aux calomnies et aux persécutions au seul motif de leur foi. Nous prions aussi pour que nous ayons la force de répondre à toutes les accusations qui pourraient être lancées contre la foi chrétienne surtout par la confession de la foi et par le témoignage d’une vie conforme à celle du Christ. « Mais lui gardait le silence et ne répondait rien » (v. 61) : ce soir, puissions-nous à notre tour garder le silence en nous unissant au silence du Christ, le « témoin fidèle » (Ap 1, 5).