Le 7 octobre dernier devait être un jour de fête. Celle de Notre-Dame du Rosaire pour les catholiques, mais aussi de la clôture de la grande fête juive des Tentes et le début de la fête de Simḥat Torah, « la Joie de la Loi », qui célèbre la fin du cycle de lecture de la Torah dans la liturgie synagogale. Pour ces fêtes de pèlerinage, de nombreux juifs du monde entier sont montés à la ville Sainte. La veille au soir, la joie est encore palpable dans les rues animées de Jérusalem : chants, danses, cabanes illuminées construites pour l’occasion.
Le lendemain matin, c’est la douche froide. Pour fêter le 50ème anniversaire de la guerre du Kippour, où la coalition syro-égyptienne avait pris Israël par surprise lors d’un jour saint, le Hamas déclenche l’opération « déluge d’Al-Aqsa ». En quelques heures, il déverse des milliers de roquettes sur le sud du pays, prend d’assaut certaines villes, constituent des otages et laisse derrière lui des centaines de personnes froidement massacrées. C’est la consternation. Le pays est habitué depuis 75 ans aux tensions, aux crises, aux conflits récurrents. Cette fois-ci, c’est différent. La violence de l’attaque est extrême, la violence de la riposte l’est aussi et promet de l’être encore.
Les médias se déchaînent, les images d’horreur tournent en boucle sur les réseaux, les chefs d’états dénoncent, les organisations mondiales s’indignent : au déluge de roquettes, succède un déluge d’émotion. Tout le monde est appelé à se positionner. Mais comment se positionner dans ce conflit ? Comme prêtre étudiant à Jérusalem, ma position est claire et, au fond, peu éloignée de la position de ceux qui prennent la parole sur ces évènements : bien à l’abri ! Bien à l’abri dans une ville protégée par le « dôme de fer » israélien, où le fameux « déluge d’Al-Aqsa » ne risque pas de s’abattre, de peur de toucher la mosquée du même nom. A quelques kilomètres du conflit, notre participation à la guerre ne consiste paradoxalement qu’à entendre régulièrement sirènes et explosions, plus ou moins proches, à croiser les patrouilles militaires et le regard inquiet des gens dans la rue. C’est à cela que se limite mon regard sur la guerre.
Pourtant, là, à quelques kilomètres, des milliers de personnes israéliennes et palestiniennes sont déjà mortes et des centaines de milliers d’habitants de Gaza sont sur le point de perdre maisons, terres, familles, ou bien leur propre vie. Parmi eux, des terroristes, certes, mais aussi des populations civiles, des femmes, des enfants qui n’ont pas demandé à naître dans ce coin de terre en blocus depuis 2007 et désormais en siège complet, privé d’électricité, de gaz et de nourriture.
Alors, en ces jours, les paroles des prophètes que nous lisons dans la liturgie de la messe résonnent avec une actualité déconcertante : « Prêtres, mettez un vêtement de deuil, et pleurez ! […] Prescrivez un jeûne sacré ! […] Criez vers le Seigneur : « Ah ! Jour de malheur ! » » (Joël 1, 13-15) Ce n’est pas seulement dû au fait que cette prédication eut lieu à Jérusalem, ni qu’elle annonçait une invasion imminente, mais c’est la réaction préconisée par le prophète, qui frappe l’attention. Il ne prescrit ni de prendre les armes, ni de faire des provisions. Il proclame un jeûne et exhorte à la prière. Quand nous ne pouvons qu’assister, impuissants, au drame qui se joue autour de nous, ce sont les seules armes qu’il nous reste, mais pas les moins puissantes.
C’est dans cet esprit que le patriarche latin de Jérusalem, le nouvellement créé cardinal Pizzaballa, a proclamé, dix jours après le début de la guerre, une journée de prière et de jeûne, très vite relayée dans toute l’Église universelle. C’est un bel acte de communion avec ceux qui sont réduits à cette pénitence, non de plein gré, mais par la force des choses, dans un temps où matériellement, nous ne pouvons rien faire pour eux. Nous en sommes pour le moment au regard de foi. Notre-Dame du Rosaire a bien su, par le passé, intervenir dans l’histoire, elle saura bien protéger sa propre terre natale aujourd’hui.
Cependant, il faut passer au regard d’espérance. Comment reconstruire ces vies blessées ? Comment trouver, après ce traumatisme, les moyens d’enrailler les mécanismes qui, depuis des années, préparaient cette guerre ? Il n’y a pas de paix sans justice, mais quand la justice tourne à la vengeance, rien ne peut stopper le cercle vicieux de la guerre, si ce n’est le pardon. Les solutions ne seront pas simples — il ne faut pas être naïf — mais il y a tout de même un terreau favorable. Les gens en ont marre : « Ḫalāṣ ! » (« assez ! ») me disait une palestinienne. Il y a des personnes des deux peuples qui s’unissent pour la paix. Il y a des prières, il y a de l’action, il y a des sacrifices. Il faut donc croire qu’il est possible qu’un jour, sur la Terre sainte, l’on puisse vivre en paix. C’est le souhait du psaume 121 que nous pouvons reprendre ces jours-ci : « Appelez le bonheur sur Jérusalem : Paix à ceux qui t’aiment ! Que la paix règne dans tes murs, le bonheur dans tes palais ! »