AIMER L’ÉGLISE
(Dossier Sub Signo Martini n°46)
(Dossier Sub Signo Martini n°46)
Voulez-vous vous amuser à collectionner toutes les raisons de critiquer l’Église et de ne pas l’aimer ? Rien de plus facile, et la bibliographie ne saurait être exhaustive. Mais l’avons-nous bien regardée, cette Église qui, tel un beau monument, ne révèle sa profondeur qu’à ceux qui prennent la peine d’y entrer et le temps de la comprendre.
Entrer dans l’Église pour la contempler
Lorsque vous vous trouvez sur le parvis de Notre-Dame de Chartres, vous pouvez être déjà ébloui par l’architecture, la statuaire. Mais les masses opaques et sales, en plein cœur de la façade, sautent rapidement aux yeux. Si vous prenez la peine d’entrer, vous êtes immédiatement pris par une ambiance de prière, de recueillement qui élève l’âme. Si maintenant, vous vous retournez, vous découvrez les trois merveilleux vitraux du XIIème siècle. C’est toute une catéchèse féérique, en couleurs inoubliables. Dans cette contemplation muette, l’on découvre en un instant toute la beauté du mystère de l’Église.
Si l’on cherche ensuite à lire les vitraux, à les comprendre, à les relier les uns aux autres, on commencera, à partir de la foi et sous la lumière de la foi, à approfondir par un travail de la raison le mystère de Dieu. En tout cas, il n’y a que ceux qui sont dans l’Église, qui vivent et prient dans l’Église, qui aiment l’Église malgré les oripeaux dont certains peuvent l’affubler, qui peuvent porter un regard juste sur elle. Alors, tout s’éclaire, il ne s’agit plus de croire « bêtement » des dogmes ineptes, « d’avaler » tout ce qu’édicte le Pape. Vraiment, la foi a illuminé la raison, et nous sommes heureux et fiers d’être, par-delà les vieux clivages, des hommes doués de raison et de foi.
L’Église est ma mère et je suis son enfant
Bien sûr, souvent, il nous faut défendre l’Église, argumenter ses prises de positions. Mais parfois l’amour a des réponses déconcertantes et plus efficaces. Dans le Journal d’un curé de campagne, Georges Bernanos met en scène son jeune curé aux prises avec le neveu de la châtelaine qui déblatère contre l’Église : « Chacune de ses paroles m’avaient remué jusqu’au fon du cœur. (…) Un moment, j’ai caché mon visage, j’étais épouvanté de sentir mes larmes couler entre mes doigts. Pleurer devant lui, comme un enfant, comme une femme ! Mais Notre Seigneur m’a rendu un peu de courage.
Je me suis levé, j’ai laissé tomber mes bras et, d’un grand effort … le souvenir m’en fait mal … je lui ai offert ma triste figure, mes honteuses larmes. Il m’a regardé longtemps. J’épiais un sourire de mépris, du moins de pitié sur ses lèvres volontaires. « Vous êtes un chic garçon, m’a-t-il dit. Je ne voudrais pas un autre curé que vous à mon lit de mort. » Et il m’a embrassé, à la manière des enfants, sur les deux joues. »
Ce pauvre curé désemparé témoignait ainsi, pauvrement, qu’il n’était qu’un enfant, mais que l’Église était sa mère. L’Église est notre Mère, et ce ne sera jamais qu’un signe de crise adolescente et immature que des enfants s’en prennent à leur mère pour la molester, la calomnier, pour la diffamer à tous vents. Au contraire, quelle pureté dans le regard d’un petit enfant sur sa mère ! Comme il est doux de se considérer comme des enfants de l’Église. Nous sommes fils de l’Église ! C’est par elle que Dieu nous donne tout !
L’Église, épreuve et consolation de ceux qui cherchent Jésus
Il y a chez Bernanos un amour de l’Église qui transparaît sans cesse autour de quelques dialogues denses, de quelques perles pêchées dans les mots du sage curé de Torcy ou du jeune curé d’Ambricourt. À ceux qui se scandalisent du contre-témoignage de mauvais chrétiens, le romancier rétorque, pour avoir lui-même dépassé ce scandale :
« Quiconque s’étonnerait de les voir là, ressemblerait aux pharisiens sourcilleux toisant d’un regard de dégoût le Rabbi Jésus avec son escorte de béquillards, d’aveugles, de mendiants, et probablement aussi de simulateurs. Car l’Église n’est rien moins que le panthéon des grands hommes, mais, sous la rage de la pluie et du vent éternels, le refuge où la plus misérable espèce vient recevoir de Dieu et de ses saints, jour après jour, de quoi subsister, vaille que vaille, jusqu’à l’universel pardon. »
Le chrétien Bernanos, tel un prophète inspiré, se prenant pour le Christ qui nous apparaîtrait comme à Marguerite-Marie ou à Faustine, nous invite à traverser les obstacles à notre amour de l’Église : « Dès le commencement, mon Église a été ce qu’elle est encore, et ce qu’elle sera jusqu’au dernier jour, le scandale des esprits forts, la déception des esprits faibles, l’épreuve et la consolation des âmes intérieures qui n’y cherchent que moi. »
Oui, face à ce mystère de l’Église, ne soyons ni des esprits forts qui rageusement accusent ; ni des esprits faibles qui partent sur la pointe des pieds ; soyons, au cœur de l’Église, des chercheurs de Jésus : nous l’y trouverons.
Emmanuel Lemière + prêtre
« Cherchons Jésus au cœur de l’Église ; c’est là qu’il se laisse trouver ! »
En octobre 2013, le pape François prononçait ces paroles : « Le peuple a du flair ! Il a du flair pour trouver de nouvelles voies sur le chemin, il possède le sensus fidei ». Le Saint-Père revient souvent sur ce thème : tous les fidèles, dans la mesure où ils appartiennent à l’Église assistée de l’Esprit Saint, disposent d’un sens de la foi qui leur confère un rôle majeur dans l’application concrète de la doctrine chrétienne. En quoi consiste précisément ce sensus fidei ?
Le sensus fidei : une réalité ecclésiale
Le Concile Vatican II a écarté sans ambiguïté une vision caricaturale des rapports entre une Église enseignante (les clercs) et une Église passivement enseignée (les laïcs). En réalité, c’est l’Église tout entière qui rend témoignage à son Seigneur. En son sein, tous les baptisés – bien qu’à des degrés divers – participent à l’unique fonction prophétique du Christ. L’Église dans son unité est donc le premier sujet du sensus fidei, compris comme le témoignage unanime rendu à une vérité de foi, par les pasteurs comme par les fidèles. Certains Pères de l’Église considéraient ce consentement universel comme un critère objectif pour déterminer l’appartenance d’une doctrine à la foi apostolique.
Cet argument fut largement utilisé dans l’histoire de l’Église, et en particulier lors de la définition des dogmes de l’Immaculée Conception (1854) et de l’Assomption de la Vierge (1950) : la consultation des fidèles par leurs pasteurs avait fait apparaître un sensus fidei ecclésial unanime. C’est bien dans cette ligne que se situe le pape François lorsqu’il encourage la pratique de la consultation des fidèles.
Sentir avec l’Église
Si le sensus fidei appartient en propre à l’Église, chaque baptisé y participe de façon personnelle en développant, sous l’impulsion de l’Esprit Saint, un véritable « sentire cum Ecclesia ». « Sentir avec l’Église » ne relève pas d’une connaissance intellectuelle – bien que celle-ci garde son importance propre – mais d’une connaissance intuitive de ce que veut l’Église, une connaissance fondée sur un attachement affectif profond. Ce type de connaissance nous est familier.
À lire : Le sensus fidei dans la vie de l’Eglise, par la Commission Théologique Internationale (Cerf, 2014). Un document éclairant et très accessible.
Nous le développons dans l’amitié (le fait d’aimer l’autre nous donne un accès spécial à sa propre façon de ressentir et de voir les choses), ou encore dans notre vie morale : chaque vertu que nous acquérons nous donne un « sixième sens » qui nous fait reconnaître spontanément ce qui s’accorde avec cette vertu. Par exemple une personne chaste repère instinctivement les situations, les personnes ou les actes qui sont en accord avec la chasteté. C’est ce qu’on appelle la connaissance « par connaturalité ». Dans le cas de la vertu théologale de foi, ce « sixième sens » est précisément le sensus fidei ; il se développe en chaque fidèle grâce aux dons du Saint-Esprit, en particulier les dons d’intelligence et de science, qui conduisent à une compréhension supérieure des choses de la foi « en toute sagesse et intelligence spirituelle » (Col 1,9).
Dans la vie concrète du croyant, comment se manifeste le sensus fidei ? Principalement de trois façons : 1) il permet de discerner si tel enseignement ou pratique est cohérent ou non avec la foi de l’Église ; 2) dans l’écoute de la prédication, il aide à distinguer l’essentiel (les vérités de foi) du secondaire (par exemple, une simple opinion du prédicateur) ; 3) il permet de choisir le meilleur témoignage de foi à rendre dans une situation donnée.
Discerner le véritable sensus fidei
Le sensus fidei est un retentissement de la foi ; il se développe en même temps qu’elle, il est comme elle une réalité essentiellement théologale. C’est pourquoi il ne doit pas être confondu avec d’autres réalités seulement humaines, et notamment avec l’opinion publique majoritaire : toute opinion exprimée au sein du peuple fidèle n’est pas nécessairement l’expression du sensus fidei. La raison en est qu’en chaque croyant, les intuitions véridiques du sensus fidei peuvent cohabiter durant un certain temps avec d’autres idées qui ne relèvent pas de la foi, voire s’y opposent. Il y a donc un discernement à opérer pour reconnaître le véritable sens de la foi. Un tel discernement pourra reposer sur un double critère. Le premier est la conformité de l’intuition avec la foi transmise par les apôtres : une idée incompatible avec la Tradition apostolique ne saurait provenir du sensus fidei. L’autre critère de discernement est plus subjectif, il relève de la vie concrète du croyant au sein de l’Église. Le « sentire cum Ecclesia » implique pour le fidèle un cœur au diapason de celui de l’Église, accord intime qui est l’œuvre de l’Esprit Saint. Une participation active à la vie ecclésiale, une attention à la fois docile et responsable aux pasteurs légitimes, la recherche d’une vie toujours plus habitée par la charité, le souci de la communion dans l’Église… autant d’indices d’un sensus fidei authentique.
B.C.
« Avoir son cœur au diapason de celui de l’Église. »
Dans sa Théologie de l’Église, le cardinal Charles Journet nous invitait à distinguer trois regards différents sur l’Église – de la même façon que les contemporains de Jésus ont pu le considérer de différentes manières (comme un homme banal, comme un prophèteou comme le Fils de Dieu) :
Dans le symbole de Nicée-Constantinople, nous professons notre foi en l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique ; ce sont les quatre « notes » ou propriétés de l’Église. Pour faire grandir notre amour de l’Église, essayons d’approfondir chacune d’elles. Entrons d’abord dans le mystère de l’Église Une.
Alors que l’histoire, et parfois même nos expériences personnelles, nous présentent le tableau affligeant des divisions et lacérations qui meurtrissent l’Église, la tentation est grande pour nous de vouloir sauvegarder et construire l’unité par des moyens purement humains. Mais c’est ailleurs qu’il faut chercher la source de l’unité de l’Église.
L’unité n’est pas uniformité
Imaginer une Église monolithique où, aux quatre coins de la planète, les chrétiens vivraient leur foi de la même manière et l’exprimeraient dans une liturgie strictement identique, n’est pas seulement un rêve chimérique, c’est une vue qui se situe aux antipodes de l’Évangile. Déjà saint Paul, dans sa première épitre aux Corinthiens, se réjouit de la multiplicité des dons et charismes qui ont été donnés à la communauté chrétienne. Au sein de l’Église, il existe une diversité d’approches et de familles spirituelles qui, loin de constituer un pis-aller, représente une véritable richesse. Ainsi, nous sommes aujourd’hui légitimement consternés par le mur d’indifférence qui entoure le sort des chrétiens d’Orient. Rappelons-nous que ces Églises catholiques orientales sont porteuses d’un patrimoine spirituel, liturgique et théologique très différent du nôtre, mais la disparition de ce patrimoine constituerait, pour l’ensemble de la chrétienté, une perte irrémédiable et un appauvrissement dramatique.
L’unité n’est pas consensus
Cette diversité ne signifie pas que l’unité soit fondée sur un vague consensus. Pour être chrétien, il ne suffit pas d’adhérer à un socle commun de croyances, à partir duquel chacun serait libre de penser, croire et agir à sa guise. La diversité des dons et charismes n’est légitime – et c’est toujours saint Paul qui nous le rappelle – que si elle est l’expression d’une même foi, d’un même Esprit et si elle favorise la charité. Nous sommes membres les uns des autres, membres du même corps du Christ et nous devons toujours à avoir en vue le bien de l’ensemble du corps. La mise en œuvre d’une particularité, d’une sensibilité ou d’un charisme, ne saurait en aucun cas nous couper ou nous éloigner de l’organisme vivant de l’Église. Le lien avec le Successeur de Pierre, le Saint-Père, s’avère ici un critère déterminant.
L’unité et (est) la communion
Si l’unité n’est ni uniformité, ni consensus, sur quoi est-elle finalement fondée ? Son modèle n’est pas à chercher dans nos sociétés humaines mais bien au sein du mystère de la Trinité lui-même. Le concile Vatican II, dans son décret sur l’œcuménisme, note à ce sujet : « de ce mystère, le modèle suprême et le principe est dans la trinité des personnes l’unité d’un seul Dieu Père, et Fils, en l’Esprit Saint ». L’unité de l’Eglise est donc un mystère de communion, à l’image de la communion des trois personnes divines. À notre place, par nos gestes, nos paroles et notre prière, nous pouvons tous contribuer à faire resplendir sur le visage de l’Église cette unité pour laquelle Jésus, avant de passer vers son Père, a tant prié !
Bertrand Lesoing + prêtre
Le paradoxe nous saute aux yeux : nous croyons en l’Église sainte et nous ne cessons de voir, autour de nous et en nous-mêmes, les péchés des chrétiens, les fautes des institutions et des membres de l’Église. Comment entrer plus profondément dans ce mystère d’une Église sainte et composée de pécheurs ?
« Seigneur, ne regarde pas mes péchés mais la foi de ton Église. »
« Ne regarde pas les péchés de l’Église, mais ma foi !… » Avec humour, le Cardinal Ratzinger, alors nouveau préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dénonçait ceux qui inversent l’invocation du prêtre avant la communion : « Quand vraiment cela arrive, les conséquences sont graves : les fautes des individus deviennent des fautes de l’Église et la foi est réduite à un fait personnel, à ma façon de comprendre et de reconnaître Dieu et ce qu’il demande. »
Le théologien contestataire Hans Küng venait d’écrire : « L’Église est une Église de pécheurs. Et parce que ces pécheurs sont de véritables membres de l’Église, et parce qu’ils restent, même pécheurs, membres de l’Église, le corps du Christ en est lui-même souillé, le temple de l’Esprit en est lui-même ébranlé, le peuple de Dieu en est lui-même blessé. L’Église elle-même ! » D’autres théologiens édulcoraient le sens de la sainteté de l’Église, en l’appelant à la fois sainte et pécheresse, en une réplique assez inquiétante du simul iustus et peccator (en même temps juste et pécheur) que le protestantisme applique au Christ.
Certes, l’Église est composée de saints et de pécheurs, et même chacun de ses membres est lui-même composé de sainteté et de péché, mais pas indistinctement. Rien n’est éclairant comme le paradoxe apparent qui naît du rapprochement des deux phrases de la première épître de saint Jean : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes » (1 Jn, 1, 8) ; « Quiconque demeure en Lui, ne pèche pas » (1 Jn, 3-6). Oui, c’est en réalisant sa vocation que le chrétien est saint, c’est en la reniant qu’il est pécheur.
Quand on s’élève comme le théologien Charles Journet jusqu’au niveau profond de la foi, il n’y a plus de contradiction : « pour autant que nous agissons dans la loi profonde de l’Église, dans sa fidélité, à ce moment-là, nous ne péchons pas. C’est vrai. Pour autant que nous nous défendons contre elle, nous nous dérobons devant elle, nous la trahissons ; à ce moment-là, nous ne sommes pas de l’Église… Il est vrai qu’il faut des pécheurs, et de grands pécheurs dans l’Église, comme il faut du bois dans le feu. Et il est vrai que rien n’est plus contraire à l’Église que le péché… Elle est corps à corps avec le péché, mais pas pécheresse en elle. (…) Alors, vous voyez, l’Église qui est sans péché, elle est dans les pécheurs, elle soulève en eux des remords, elle fait pénitence. C’est elle qui fait pénitence, non pas pour des péchés qu’elle a commis en tant que tels, elle fait pénitence pour les péchés que ses membres ont commis en la trahissant. »
En reconnaissant que la frontière de l’Église passe à travers mon cœur, une formule que Charles Journet affectionnait et reprenait sans cesse, je peux sereinement redire avec le prêtre, à chaque messe : Seigneur, ne regarde mes péchés mais la foi de ton Église ! Je serai dans la vérité, et c’est libérateur !
Emmanuel Lemière + prêtre
La troisième propriété de l’Église est, en un certain sens, celle dont nous parlons le plus : nous nous définissions avant tout comme « catholiques ». Mais, bien plus qu’une simple marque d’appartenance, cette propriété nous révèle la nature profonde de l’Église : fondée sur le Christ et universelle.
Aimer l’Église catholique et croire en elle, c’est reconnaître qu’elle forme un tout fondé sur le Christ. Du grec kat’olon (selon la totalité), l’adjectif « catholique » signifie que l’Église est selon la totalité du Christ et cela d’une double manière. D’abord c’est l’Église catholique que le Christ a voulue, fondée et qu’il conduit aujourd’hui. Et il lui confère l’intégrité de la foi et la plénitude des moyens de salut. La Catholicité est donc la garantie de cette intégrité et de cette plénitude. L’Eglise perpétue la présence du Christ et donne sa grâce à travers les siècles, elle donne ainsi accès au salut donné par notre unique Sauveur, Jésus-Christ. C’est en elle que les croyants sont agrégés au Christ, c’est pourquoi l’Église est dite Corps du Christ.
Aimer l’Église catholique et croire en elle, c’est aussi reconnaître la vocation universelle de l’Église, appelée à s’élargir aux dimensions de l’univers : « À ce peuple de Dieu, tous les hommes sont appelés à faire partie. » (Constitution Lumen Gentium du concile Vatican II). Cette vocation est liée au dessein de salut du Père : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tm 2,4). L’Église est donc la réalisation de ce dessein : sa dimension universelle est inséparable de sa dimension eschatologique. C’est en elle que se rassembleront tous les élus lorsque le temps sera venu de tout récapituler dans le Christ (Col 1,20). Cette catholicité est pourtant déjà bel et bien présente dans l’Église qui chemine en ce monde ; bien plus, elle est le fondement de l’unité de toutes les Églises présentes à travers le monde, qui vivent en communion avec l’Église de Rome, qui préside à la charité. Cette universalité essentielle à l’Église permet l’inculturation de l’Évangile dans toutes les cultures sans altérer le contenu de la foi et en répondant aux attentes profondes de tous les peuples.
Professer la catholicité de l’Église, c’est donc reconnaître la présence pleine et entière du Christ en elle, c’est reconnaître son unité à travers les différentes Églises locales en communion avec le Successeur de Pierre, c’est enfin reconnaître dans l’Église le commencement du Royaume des Cieux, de la Jérusalem céleste, qui rassemblera toutes choses dans le Christ. Cette profession de foi ne doit pas engendrer en nous de la présomption, comme si notre appartenance était le gage de notre salut sans conversion du cœur. En revanche, elle doit nous amener à une action de grâce pour le don que le Christ fait à son Église, et surtout nous amener à annoncer l’Évangile à tous les hommes et à toutes les cultures. En effet, la catholicité est au fondement de la dimension missionnaire de l’Église. Aimer l’Église comme catholique, c’est désirer que, selon le dessein du Père, elle s’élargisse aux dimensions de l’univers et que son universalité se manifeste toujours davantage.
T.B.
On pourrait facilement penser que croire en l’Église apostolique n’est pas un point essentiel de notre foi. Cette dernière « note » (caractéristique) de l’Église ne semble rien dire de plus que le fait qu’elle soit fondée sur les Apôtres. Cela ne parait pas engager à grand chose et puis surtout n’avoir aucune conséquence pour ma vie de foi aujourd’hui. Serait-ce dû à l’idée très floue de ce que signifie ce petit mot ? Essayons de clarifier.
L’adjectif « apostolique » peut se référer à deux substantifs : apostolicité et apostolat. On pourrait traduire par transmission et mission : transmission de la foi et des sacrements, pour que la mission des Apôtres puisse être continuée à travers le temps et l’espace. En effet, le Christ commanda aux Douze : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28,19-20). Manifestement cette tâche dépassait les possibilités des douze Apôtres. C’est pourquoi ils ont transmis cette mission et tout ce qui est nécessaire pour l’accomplir (l’enseignement du Christ et le pouvoir sacramentel) à d’autres : c’est la succession apostolique. L’apostolicité désigne donc cette continuité et identité entre l’Église des Apôtres et celle de tous les temps et de tous les lieux.
Que cela signifie-t-il pour nous ? Premièrement, cela veut dire que c’est parce que l’Église est apostolique que c’est par elle que nous sommes reliés aux Apôtres, par les Apôtres au Christ et par le Christ à Dieu. C’est comme une cascade de missions ou d’envois par lesquels nous pouvons remonter au Père : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21). Ainsi, aimer l’Église apostolique, c’est aimer cette société composée d’hommes pécheurs qui malgré toute sa pauvreté demeure le moyen voulu par Dieu pour entrer en communion avec Lui. C’est donc aimer l’humilité de l’Incarnation qui se poursuit en elle. C’est aimer les successeurs des Apôtres, ces hommes limités, et leur obéir, parce que c’est par eux que la foi nous est transmise et que la grâce nous est communiquée dans les sacrements.
« Aimer l’Église apostolique, c’est puiser dans sa tradition pour participer à sa mission. »
De ce premier point en découle un deuxième. Il concerne la structure et le but de l’Église tout entière : comme le Christ, sa Tête, elle aussi est essentiellement envoyée, c’est-à-dire qu’elle est fondamentalement missionnaire. La mission qu’elle a reçue du Christ est de réunir tous les hommes pour leur transmettre le Christ. Elle vient du Christ et elle conduit au Christ. Sa raison d’être en ce monde est l’apostolat, la mission. En tant que chrétiens toute la richesse divine nous a été transmise par le Christ et notre mission est de ramener tous les hommes au Christ, pour leur salut et pour la gloire de Dieu. Aimer l’Église apostolique, c’est puiser dans la richesse de ce qu’elle nous transmet pour participer à sa mission, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et la pleine connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’Homme parfait, à la stature du Christ dans sa plénitude (Ep 4,13).
X.P.