LA SAINTETÉ POUR TOUS
Le mariage, chemin de sanctification
La sainteté au travail
Liste de contenu se place ici
La sainteté sacerdotale
« Il est donc clair pour tous que chacun des fidèles, peu importe son état ou son rang, est appelé à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité » (Lumen Gentium, n. 40).
Comme il est regrettable qu’après la ferveur des premiers chrétiens, la vigueur de cet appel du Christ ait été presque oubliée ! Pendant des siècles, seule une poignée de personnes a cru pouvoir postuler à l’excellence de la sainteté, comme à un concours réservé à une élite. C’est pourtant vraiment une élite, et une excellence… Et c’est bien là le mystère : l’appel est universel, l’excellence est destinée à tous. Mais de quoi s’agit-il au juste ? Qu’est-ce que la sainteté ?
Le mot ne doit pas être édulcoré. Au sens strict, Dieu seul est saint. Dans l’Ancien Testament le terme « saint » est particulièrement numineux, c’est-à-dire chargé de divin. Il exprime un sentiment de séparation, de transcendance, d’altérité absolue et même de terreur : « Qui pourrait tenir en face du Seigneur, le Dieu saint ? » (1S 6, 20). « Saint et redoutable est son nom » (Ps 111, 9). Est saint ce qui appartient au plan divin, par opposition au plan humain : « Je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis le Saint » (Os 11, 9).
Si donc Dieu seul est le Saint, nous ne pouvons être saints que par participation. C’est Dieu qui en nous donnant la grâce, nous fait participer, de quelque manière, à sa sainteté. Pour être saint, il faut rayonner de sa lumière, l’imiter. Mais pour imiter Dieu, il nous faudrait le voir ! C’est l’un des sens que nous pouvons donner à l’Incarnation : Dieu se montre à nous pour que nous ayons un modèle à imiter. Les auteurs spirituels l’ont compris depuis fort longtemps, eux qui ont caractérisé la sainteté comme une imitation de Jésus-Christ.
Dans le Christ, le Dieu vivant s’est fait proche, visible, touchable, il s’est fait entendre, afin que chacun puisse puiser dans sa plénitude de grâce et de vérité. C’est pourquoi toute l’existence chrétienne connaît une unique loi suprême, celle que saint Paul exprime dans une formule qui revient dans tous ses écrits : en Jésus Christ. La sainteté, la plénitude de la vie chrétienne ne consiste pas à accomplir des entreprises extraordinaires, mais à s’unir au Christ, à vivre ses mystères, à faire nôtres ses attitudes, ses pensées, ses comportements. « Car ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés d’avance à être configurés à l’image de son Fils » (Rm 8, 29). Et ce n’est pas par nos propres forces que nous opérons cette configuration et que nous imitons le Christ, mais par « l’amour de Dieu qui a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5).
Comme la vocation chrétienne est grande, belle, et surtout simple, vue sous cette lumière ! Nous sommes tous appelés à la sainteté, car elle n’est pas d’abord une conquête humaine, mais un don à recevoir de Dieu. Elle est le fruit de la Passion, de la Mort et de la Résurrection du Christ, notre sauveur. Elle est aussi une vie à déployer dans la force de l’Esprit, une tâche à accomplir en fonction des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. « Appelés par Dieu, non au titre de leurs œuvres mais au titre de son dessein gracieux, justifiés en Jésus notre Seigneur, les disciples du Christ sont véritablement devenus par le baptême de la foi, fils de Dieu, participants de la nature divine et, par là même, réellement saints. Cette sanctification qu’ils ont reçue, il leur faut donc, avec la grâce de Dieu, la conserver et l’achever par leur vie » (LG 40).
Alors, concrètement, comment pouvons-nous faire fructifier la grâce en nous ? Qu’est-ce qui est essentiel ? Il est essentiel de ne jamais laisser passer un dimanche sans une rencontre avec le Christ ressuscité dans l’Eucharistie ; cela n’est pas un poids en plus, mais une lumière pour toute la semaine. Il est essentiel de ne pas commencer ni finir une journée sans avoir au moins un bref contact avec Dieu. Et, sur la route de notre vie, il nous faut suivre les « panneaux routiers » que Dieu nous a communiqués dans le décalogue. Lu avec le Christ, le décalogue est tout simplement l’explicitation de ce qu’est la charité dans des situations déterminées. « C’est donc la charité envers Dieu et envers le prochain qui marque le véritable disciple du Christ » (LG 42). Telle est la véritable simplicité, grandeur et profondeur de la vie chrétienne, du fait d’être saints : aimer comme Jésus nous a aimés ! Pour cela nous devons nous défier des contrefaçons d’aimer, les cinq petit « m » : le mensonge, le mépris, la mesquinerie, la médisance et enfin la médiocrité. Voilà bien les 5 doigts du non-amour qui fait barrage à la sainteté ! « Je suis convaincu que si chacun de nous prenait la résolution d’éviter les médisances, à la fin il deviendrait saint », nous dit le Pape François.
Sans doute demandons-nous : pouvons-nous, avec nos limites, avec notre faiblesse, tendre à des sommets si élevés ? Au cours de l’année liturgique, l’Église nous invite à faire mémoire d’une foule de saints, hommes et femmes, appartenant à tous les âges et à tous les états de vie, de caractères très divers. Ce sont ceux qui ont vécu pleinement la charité, qui ont su aimer et suivre le Christ dans leur vie quotidienne. Ils nous disent qu’il est possible pour tous de parcourir cette voie. Oui, les saints ne sont pas seulement des figures auréolées du passé, mais des frères et sœurs qui continuent d’intercéder pour nous, de désirer notre sanctification et de « flécher » notre chemin afin de nous éviter bien des égarements.
Et ce ne sont pas seulement les saints du calendrier liturgique qui indiquent la voie, mais également les saints « non-déclarés », c’est-à-dire la multitude des personnes ayant accueilli la vérité de l’amour (cf. 2Th 2, 10) et qui ne seront pourtant jamais canonisées. Ce sont des personnes normales, pour ainsi dire, sans héroïsme visible ; mais dans leur bonté quotidienne nous pouvons voir la vérité de la foi. Ainsi, tous ces saints nous rappellent que la sainteté est possible et qu’elle n’est pas réservée à une élite. Tout baptisé, parce qu’il porte en lui la grâce de sainteté, doit s’efforcer de faire fructifier cette grâce pour qu’elle s’épanouisse en gerbe.
Paul Préaux + prêtre
« Tous ces saints nous rappellent que la sainteté n’est pas réservée à une élite. »
Nous véhiculons souvent quelques clichés sur la sainteté, qui sont autant de mauvaises raisons de ne pas nous mettre en chemin. Un petit tour d’horizon de ces quelques idées reçues nous aidera à renforcer notre désir concret d’être des saints.
La sainteté, c’est ennuyeux !
« Qui ne voudrait avoir la force de courir cette admirable aventure ? Car la sainteté est une aventure, elle est même la seule aventure. Qui l’a une fois compris est entré au cœur de la foi catholique, a senti tressaillir dans sa chair mortelle une autre terreur que celle de la mort, une espérance surhumaine. Notre Église est l’Église des saints » (Georges Bernanos, Jeanne sainte et relapse).
Ce texte poignant du romancier Bernanos peut nous aider à changer notre regard sur la sainteté. La sainteté n’est pas un idéal statique, figé ; elle est fondamentalement dynamique. C’est une aventure qui nous met en route à la suite du Christ. Elle n’empêche aucun homme de s’accomplir ; au contraire, elle remplit sa vie et la couronne de sens. Si elle implique des renoncements, elle répond aux aspirations profondes de chaque homme, appelé par Dieu à aimer. Qui peut imaginer que la vie d’un Vincent de Paul, d’une Mère Teresa ou d’un Jean-Paul II ait été vide et ennuyeuse ?
La sainteté, c’est pour les moines !
« La dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l’artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée; et non seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier » (Saint François de Sales, Introduction à la Vie dévote).
Dans un langage plus actuel, nous dirions que tous les hommes sont appelés à la sainteté. Si les moines, par leurs vœux, s’engagent d’une manière particulière à la suite du Christ, les chrétiens, quel que soit leur état de vie, ont une vocation commune : la sainteté. Elle s’incarne ensuite de manière personnelle dans notre état de vie, notre époque, notre personnalité… Des saints aussi différents que saint Benoît, sainte Monique, saint Louis, sainte Thérèse de Lisieux, saint Thomas More, suffisent à nous montrer que la sainteté est un appel universel.
Être saint, c’est être parfait !
Dans la constitution Lumen gentium sur l’Église, le Concile Vatican II définit la vocation à la sainteté comme « l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité » (LG 40).
Mais de quelle perfection s’agit-il ? Quand nous pensons à la sainteté, nous imaginons aisément une sorte de perfection morale, celle du bon élève ou de la petite fille modèle. Si la sainteté est une perfection, c’est celle de l’amour : l’amour reçu de Dieu, et la réponse que nous lui donnons en l’aimant lui-même et en aimant nos frères. Mais la perfection morale ou intellectuelle est en fait une œuvre tout humaine. La sainteté, en revanche, ne découle pas de notre propre action ou de nos efforts, mais elle est d’abord reçue de Dieu, le seul Saint. Ensuite, nous devons la faire fructifier comme les talents, dans l’évangile. La perfection nous tourne vers nous-même et nous conduit souvent au découragement devant les chutes ; la sainteté nous engage dans un chemin d’union amoureuse avec Dieu, qui nous rend capables de le suivre et nous relève quand nous tombons.
La sainteté, c’est difficile !
« Entendant ces paroles, les disciples furent profondément déconcertés, et ils disaient : Qui donc peut être sauvé ? Jésus posa sur eux son regard et dit : Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible » (Mt 19, 25-26).
Devant les exigences de l’Évangile et les paroles parfois sévères de Jésus, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous poser la même question que les apôtres : comment faire pour y arriver ? De fait, à vue humaine, la sainteté est hors de portée. Nous en avons le désir en nous-mêmes, mais seul Dieu, manifesté en Jésus-Christ, peut nous y conduire. La sainteté n’est pas notre œuvre, mais celle de Dieu en nous. Elle part de notre désir renouvelé de nous laisser façonner par Dieu. Pour reprendre les mots de sainte Thérèse, si nos efforts ne nous permettent pas de gravir l’escalier de la sainteté, nous n’avons qu’à monter dans l’ascenseur de la grâce divine. C’est à travers notre faiblesse, bien plus que par nos forces humaines, que le Seigneur nous donne une vraie fécondité.
La sainteté, c’est réservé aux héros !
« Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur » (Matthieu 25, 21). C’est ainsi que le maître accueille ses bons serviteurs dans la parabole des talents. Jésus nous donne ici un mode d’emploi de la sainteté. Notre sainteté se construit en effet dans notre fidélité ordinaire, pas à pas. Chaque jour, le Seigneur nous confie des tâches tout ordinaires en nous donnant la grâce nécessaire pour les accomplir par amour. Cette sainteté du quotidien, nous la retrouvons chez tant de figures de chrétiens, chez ces saints qui ne sont pas inscrits au calendrier mais que l’Église vénère à la Toussaint. Pour accepter le plan de salut que Dieu a sur chacun de nous, il n’est pas nécessaire d’attendre quelque haut fait dans lesquels notre héroïsme pourrait se déployer. Cette gloire humaine n’est pas la gloire selon Dieu : du témoignage simple de la mère de famille au sacrifice du martyr, c’est la même foi qui s’exprime et la même sainteté qui se manifeste.
A.B.
Au cœur de la vocation à la vie consacrée, se trouve un désir profond de la radicalité évangélique pour pouvoir être saint à la suite du Christ. Comment l’idéal de sainteté devient-il concret dans une vie donnée chaque jour ?
« Si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à l’épreuve, fais-toi un cœur droit, arme-toi de courage. » (Si 2,1-2) Dieu ne nous cache rien des difficultés de la vie chrétienne… Alors, suivre le Christ en vivant les conseils évangéliques de chasteté, pauvreté et obéissance, n’est-ce pas un chemin réservé à des élites dotées de qualités que le Seigneur n’aurait pas données aux autres ? N’est-ce pas l’idée sous-jacente à ces propos, souvent entendus : « Pas étonnant qu’il soit devenu moine, il a toujours été très pieux » ; « avec sa douceur, elle fera une sœur infirmière épatante » ; « il parle si bien qu’il convertirait la terre entière… » Et pourtant, ces qualités ne sauraient garantir la sainteté d’une vie consacrée à Dieu !
La vie du religieux, tout offerte à Dieu dans la prière et le service, doit être brûlée par l’Amour. J’aurais beau faire ceci, être cela, si je n’ai pas la charité… je ne suis rien. (1 Cor 13, 1-2). La charité, voilà le secret qui fait les saints ! Le religieux véritablement donné, c’est celui dont le cœur et l’intelligence, sans cesse tournés vers le Seigneur, cherche à capter ses moindres désirs ; c’est celui qui mobilise toutes les ressources de son être pour les faire contribuer à l’œuvre du Salut. Parce qu’il veut brûler de cet Amour, il est un homme d’obéissance ; obéir est sa profession. Il veut se donner et s’oublier totalement, chercher à ne plaire qu’à Dieu seul. Et ce renoncement à soi, progressif et généreux, creuse bientôt en son âme une nouvelle capacité de Dieu où l’Esprit Saint peut répandre la charité.
« J’étais malade et vous m’avez visité… ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 36…40) Notre mission de Servantes des Pauvres nous appelle à vivre cette charité auprès des membres les plus souffrants et les plus malheureux. La religieuse voit la noblesse du visage du Christ souffrant en celui vers qui elle se penche. Le malade, lui, voit le cœur, les mains, le regard du Bon Samaritain qui veut déverser sur lui sa douceur et la surabondance de sa miséricorde. Le Christ est à la fois l’objet des soins de la Servante des Pauvres, mais aussi et fondamentalement le divin Modèle qu’elle doit avoir sans cesse sous les yeux.
Ce charisme est notre chemin propre de sainteté. Dom Leduc, notre fondateur, veut voir en ses filles un continuel esprit de foi ; un ardent désir de servir le Seigneur dans les Pauvres et les malades ; un grand empressement à se tenir à la disposition de Dieu et des malheureux. Il veut des âmes ferventes, empressées, qui ne regardent pas trop où elles posent les pieds ; des âmes de foi, mues par l’obéissance à la Parole, imitant l’exemple des apôtres : « Et eux, laissant tout, ils le suivirent » (Lc 5,11).
Réponse à un appel particulier, don de Dieu et œuvre de la grâce, notre consécration religieuse, vécu avec le soutien de nos sœurs en communauté, nous conduit à ne rien préférer à l’Amour du Christ, à vivre de la joie de porter à tous la consolation de Dieu (pape François) et à rendre visibles les merveilles opérées par Dieu dans la fragile humanité des personnes qu’Il appelle (saint Jean-Paul II). Avec les années, les forces physiques peuvent s’amenuiser, les activités diminuer, mais le cœur doit toujours se rajeunir, s’ouvrir aux dimensions du monde, brûler du désir de voir Dieu et de le donner au monde.
Une Servante des Pauvres
Le mariage est un même chemin où les époux sont chacun à leur place, donnés, pour aller à Dieu. Une aventure exaltante qui demande aux deux participants de se dépouiller et de se donner.
« Dieu a inventé la merveilleuse aventure du mariage pour préciser notre chemin vers le Ciel. »
« C’est grâce à moi que ta mère ira au Ciel ! » J’ai souvent entendu cette phrase de la part de mon père. Sur un ton rieur, après une petite scène de famille, mais, dans le fond de sa pensée, il y a bien un peu de vrai.
Notre aventure propre a commencé il y a longtemps, le jour de notre baptême. Le mariage vient préciser la route, mais le but est toujours le même : le Ciel, avec tous ses saints et ses saintes, canonisés ou encore cachés dans le secret du Sacré Cœur. Nous avons donc une part de responsabilité quant aux aléas de cette route, l’un vis à vis de l’autre. Par son Esprit Saint, Dieu a voulu cette merveilleuse aventure pour que nous puissions lui rendre gloire. Dans le sillage du Christ depuis le jour de sa consécration, ce chemin nous enseigne à recevoir son amour de l’autre, à le lui donner et à le faire fructifier dans une fécondité propre à chacun. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). Quand j’aime mon mari, c’est Dieu que j’aime en lui. « Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère », écrit saint Jean (1Jn 4, 21). Quand je prie mon Dieu Amour dans le secret profond de mon cœur, ma prière rejaillit sur mon mari.
Nous répondons aussi à l’appel de Jésus crucifié pour étancher sa soif d’amour. Et comme lui a souffert, ce chemin est semé d’embûches ou de fausses notes. Que ce soit épreuves extérieures, frustrations intérieures, exaspérations, déceptions… chacun avec sa propre voix cherchera à garder l’harmonie. Le chef de chœur et des cœurs nous entend toujours et parfois nous demande de changer de tonalité pour le bien de l’autre, poursuivant ainsi sa nouvelle création en nous…
Et comme à Cana, Marie et Jésus sont là, avec nous, sur ce chemin des noces. La sainte Vierge intercède pour nous auprès de notre Père, et Jésus nous incite à nous laisser transformer. « Remplacez, puisez, portez… » Notre programme de sanctification nous a été donné.
À l’heure actuelle, nous avons besoin d’avoir des petites recommandations pour la route afin de rester fidèles. Sachons nous arrêter de temps en temps, choisissons de poser de vrais actes concrets de foi, d’espérance et de charité, cultivons toutes les petites vertus du foyer, avec la force de notre sacrement de mariage, vers notre perfection personnelle et notre sanctification mutuelle. « Ce chemin accompli ensemble est fondamental pour le bien de la famille, de l’Église et de la société. » (Jean-Paul II). Comme dit Marie-Noël, « pour la sainteté, le don de Dieu ne suffit pas. Il faut aussi le don de l’homme. Sans réserve. »
Élisabeth Ranvier
Bien souvent, la prière et le travail sont deux sphères bien séparées dans notre vie. Pourtant, l’exemple des saints et du Christ lui-même nous montre la fécondité humaine et spirituelle de notre labeur. Mais de quel travail s’agit-il ?
À la lecture du livre du père Yannick Bonnet, Être heureux au travail, une question vient à l’esprit : peut-on accéder à la sainteté sans passer par le travail manuel ?
Notre Seigneur fut charpentier. Saint Joseph, manuel par excellence, est le patron des travailleurs. Saint Paul tissait des tentes. Dans une vie sociale bien ordonnée le travail physique doit en être le centre spirituel, affirme la philosophe Simone Weil dans l’Enracinement. En clair : les tâches manuelles sont un passage obligé dans la marche vers la sainteté ! Surtout si vous êtes intello. Surtout si elles sont pénibles.
Étymologiquement le mot travail vient du latin « tripalium », un instrument de torture à trois pieux. Cette étymologie renvoie à la dimension rédemptrice du travail. Un moyen de communier aux souffrances du Christ. Un moyen d’expiation. Un moyen de vivre la prière du confesseur après l’absolution : « que tout ce que vous supporterez de pénible contribue au pardon de vos péchés, augmente en vous la grâce ». Ainsi, le travail accompli est une prière, quelque chose qu’on peut offrir au cours de l’offertoire par exemple.
Le travail augmente certaines attitudes fondamentales et sanctifiantes. La prière : elle est particulièrement recommandée pour prendre les décisions, écrit le père Bonnet. «Elle oriente, elle inspire, elle clarifie, elle dynamise ». L’humilité : le consentement à la loi qui rend le travail indispensable à la conservation de la vie est l’acte parfait d’obéissance qui soit donné à l’homme d’accomplir (Simone Weil). La lutte contre les vices. À commencer par la paresse, l’oisiveté, l’impureté… Attention, pourtant, au dolorisme ! Comme le rappelle le père Bonnet, la peine, la fatigue, l’ennui ne sont pas aimés pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils permettent : l’obéissance à l’imitation du Christ.
Car il y a une dimension nettement plus positive dans le travail et tout aussi sanctifiante : la dimension créatrice. Avant même l’avènement du péché originel, Dieu intime à l’homme de soumettre la terre et tout ce qu’elle contient. Il lui demande ensuite de faire fructifier ces biens, créés et voulus par le Créateur. L’homme continue par son travail l’œuvre du Créateur. L’initiative, le goût d’entreprendre ont un fondement biblique. Surtout quand ils sont générateurs d’emplois.
Au cours d’une récente rencontre, une amie disait à ma femme : « Être chrétien dans le travail, c’est gagner de l’argent pour créer des entreprises qui offriront des emplois à des hommes qui en ont besoin ». Certains entrepreneurs aujourd’hui renoncent à des dividendes, à des salaires plus importants pour créer des emplois. Ne sont-ils pas les héros des temps modernes, que célébrait Péguy ? Et avec eux, ces managers qui ont le souci de faire fructifier et éclore les talents, au lieu de contribuer à la destruction d’emplois
Un investisseur très connu a récemment revendu une des entreprises qu’il avait montée. La presse a fait des gorges chaudes sur les plus-values qu’il a ramassées et sur le peu de rentabilité de l’entreprise qu’il a vendue. À l’inverse, un détail a particulièrement retenu mon attention : à sa fondation, cette entreprise comprenait 30 salariés, aujourd’hui, elle en compte 3000.
Bref, le travail est une occasion de viser le bien, le beau, le vrai. D’ailleurs, dans la prière qui suit l’absolution, le confesseur souhaite au pénitent que non seulement « ce qui aura été supporté de pénible » contribue «au pardon des péché et à l’augmentation de la grâce » mais aussi … « ce qui aura été fait de bien. »
Vincent Roux, journaliste
« Vous donc, vous serez parfaits comme votre père céleste est parfait. » (Mt 5, 48) Cette parole s’adresse bien sûr à tout baptisé dans l’Esprit de sainteté. Mais elle s’adresse tout particulièrement aux prêtres, qui, en tant que bergers et modèles du troupeau, devraient être des « experts » en vie chrétienne et donc en sainteté.
« La sainteté du prêtre résulte d’une plus grande conformité au Christ. »
Le décret du concile Vatican II sur le ministère et la vie des prêtres Presbyterorum Ordinis nous le rappelle explicitement : « Mais cette perfection, les prêtres sont tenus de l’acquérir à un titre particulier : en recevant l’Ordre, ils ont été consacrés à Dieu d’une manière nouvelle pour être les instruments vivants du Christ Prêtre éternel (…). Dès lors qu’il tient à sa manière la place du Christ lui-même, tout prêtre est, de ce fait, doté d’une grâce particulière ; cette grâce le rend plus capable de tendre, par le service des hommes qui lui sont confiés et du Peuple de Dieu tout entier, vers la perfection de Celui qu’il représente ; c’est encore au moyen de cette grâce que sa faiblesse d’homme charnel se trouve guérie par la sainteté de Celui qui s’est fait pour nous le Grand Prêtre saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs (He 7, 26). Les prêtres doivent s’efforcer de vivre de plus en plus une sainteté qui fera d’eux des instruments toujours mieux adaptés au service du Peuple de Dieu tout entier. » (PO 12)
Le caractère solennel de cet appel souligne l’urgence de ce travail de sanctification personnelle du prêtre pour la réalisation du plan du salut : la sainteté du prêtre est d’un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère qu’ils accomplissent. Et saint Jean-Paul II commente : « la vocation sacerdotale est essentiellement un appel à la sainteté, dans la forme qui jaillit du sacrement de l’ordre. Chacun de vous doit être saint, afin d’aider ses frères à réaliser leur vocation à la sainteté ». Le saint Curé d’Ars l’avit bien compris, lui qui disait : « Je n’ai pas d’autre chose à vous prouver que l’indispensable obligation où nous sommes de devenir saints ».
Cette sainteté du prêtre ne peut résulter que d’une plus grande proximité, intimité et conformité, et finalement identification avec le Christ Jésus, le Grand Prêtre éternel, venu pour nous donner part dans l’Esprit, à sa propre sainteté : « Votre vocation spécifique à la sainteté se traduit en un programme de docilité à l’Esprit, lequel, s’il est favorisé, réalise en vous la progressive identification avec le Christ, à son exemple, son enseignement, sa personne, et vous élève au rang de coopérateurs du plan divin de salut » (saint Jean-Paul II).
Nous sommes donc invités comme prêtres à nous convertir, par amour envers celui qui s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa sainteté. La nécessité de cette conversion découle de la grandeur même du ministère sacerdotal : « Lorsque le prêtre invoque l’Esprit Saint et qu’il célèbre le redoutable sacrifice, lorsque dans ses mains il tient le Souverain Maître de toute la nature, je te le demande, à quel rang le placerons-nous ? demande St Jean Chrysostome. Quelle pureté, quelle piété n’exigerons nous pas de lui ? Quelles doivent être les mains, instruments de tels mystères ? Quelle doit être la langue chargée d’articuler les paroles que nous savons ? Y-a-t-il un degré de sainteté, de pureté auquel ne doit s’élever une âme qui reçoit en elle l’Esprit de Dieu ? ».
Il serait trop long ici de le développer, mais soulignons toutefois que le Concile Vatican II, en insistant sur cet appel à la sainteté des prêtres, montre effectivement que c’est dans l’exercice même de son ministère que grandit la sainteté du prêtre : « C’est l’exercice loyal, inlassable, de leurs fonctions dans l’Esprit du Christ qui est, pour les prêtres, le moyen authentique d’arriver à la sainteté » (PO 14). C’est cela que se manifeste la charité pastorale que le prêtre reçoit en don le jour de son ordination et qu’il doit faire fructifier tout au long de sa vie, dans la prière comme dans le ministère.
Louis-Hervé Guiny + prêtre