SILENCE… DIEU VOUDRAIT PARLER: L’ORAISON
(Dossier Sub Signo Martini n°37)
« Qui s’étudie au silence est ami de Dieu, et, en s’entretenant familièrement avec lui, en reçoit secrètement la lumière. »
Jean Climaque, L’Échelle du Paradis
(Dossier Sub Signo Martini n°37)
« Qui s’étudie au silence est ami de Dieu, et, en s’entretenant familièrement avec lui, en reçoit secrètement la lumière. »
Jean Climaque, L’Échelle du Paradis
Pour mieux comprendre notre vocation à la prière, essayons de comprendre en profondeur ce qu’est l’oraison.
Apprêter notre chambre intérieure
Apprêtons aussi notre chambre intérieure par la charité concrète qui élargit le cœur, par la lecture et la méditation de la parole de Dieu et par la pénitence. Puisque nous en sommes aux préparatifs, prévoyons le bon moment pour prier, un moment où nous ne risquons pas d’être tentés par d’autres activités ou sollicités par la famille ou les amis. Pourquoi ne pas prévoir un moment le matin, alors que l’activité de la journée n’a pas commencé ? Peut-être faudra-t-il nous coucher plus tôt pour consacrer ne serait-ce que quelques minutes matinales à notre Père.
Ferme sur toi la porte
Notre Seigneur ajoute : ferme sur toi la porte ! On ne peut être plus clair. On ne peut entrer en soi-même sans fermer la porte. Il faut donc le dire : la prière intérieure suppose des conditions matérielles qui favorisent le silence. Saint Augustin commente : il ne suffit pas d’entrer dans la chambre ; si on laisse la porte ouverte, les importuns envahissent notre intérieur. Il faut donc fermer la porte, résister aux sollicitations des sens afin que la prière monte au plus profond du cœur.
Prie ton père qui est là sans le secret
Ces conditions indispensables étant posées, Jésus dit : prie ton père qui est là dans le secret. L’oraison consiste essentiellement à rejoindre notre Père du Ciel qui n’en est pas moins plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes, selon les mots de saint Augustin. Il ne s’agit pas tant de faire quelque chose que d’être avec celui qui nous aime et de demeurer uni à Lui par la foi. Sans cela, nous risquons de nous agiter intérieurement sans résultat. Plus nous avançons dans la prière, plus nous comprenons qu’il s’agit de laisser Dieu agir en nous. Si nous accueillons l’Esprit Saint, lui-même priera en nous. L’expérience des saints nous aide à entrer dans cette union à la Trinité. Pensons particulièrement à sainte Thérèse d’Avila, réformatrice du Carmel et docteur de l’Eglise.
« L’oraison… un commerce intime d’amitié… »
Voici sa définition de l’oraison : l’oraison mentale n’est, à mon avis, qu’un commerce intime d’amitié où l’on s’entretient, souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé. Deux mots peuvent attirer notre attention ; le mot commerce tout d’abord. Il peut nous surprendre en raison de la connotation mercantile qu’il a aujourd’hui. Il faut cependant entendre ce mot dans son sens original, le plus noble. Il désigne alors un échange affectueux, cordial. Le deuxième mot est simple. Il jaillit de l’expérience de sainte Thérèse : souvent. L’oraison est fréquente ou elle n’est pas. Le catéchisme de l’Eglise catholique commente cette définition de Thérèse d’Avila au numéro 2710 : Le choix du temps et de la durée de l’oraison relève d’une volonté déterminée, révélatrice des secrets du cœur. On ne fait pas oraison quand on a le temps : on prend le temps d’être pour le Seigneur, avec la ferme détermination de ne pas le lui reprendre en cours de route, quelles que soient les épreuves et la sécheresse de la rencontre (…).
Ton Père qui voit dans le secret te le revaudra
N’oublions pas enfin la dernière partie de la parole de Jésus : ton Père qui voit dans le secret te le revaudra. L’oraison permet à Dieu d’agir en nous. Sa présence porte du fruit. Peu à peu, l’hôte divin nous transforme, stimule notre charité, illumine le regard par la foi et fortifie la volonté. L’oraison n’est pas une fuite du monde, elle nous communique le zèle pour accomplir notre devoir d’état ainsi que la joie de faire la volonté du Père. Ne passons pas à côté de ce trésor !
Jean-Xavier Salefran + prêtre
A la suite du Catéchisme, Benoît XVI affirme : « Notre époque ne favorise pas le recueillement et l’on peut même avoir parfois l’impression qu’il existe une peur de se détacher, même pour un instant, du fleuve de paroles et d’images qui marquent et remplissent les journées. […] Les mystères du Christ sont liés au silence ; par lui seul, la Parole peut faire en nous sa demeure, comme chez Marie, qui est inséparablement la femme de la Parole et du silence. » (7-03-2012)
Il serait dangereux en effet de demeurer privés de ce silence si nécessaire à toute vie chrétienne. « Les mystères du Christ sont liés au silence ; par lui seul, la Parole peut faire en nous sa demeure, comme chez Marie, qui est inséparablement la femme de la Parole et du silence », poursuivait le pape.
Le Mal agite l’homme et le trouble dans le bruit incessant de la tentation
Cette peur face au silence est inhérente à l’homme depuis le péché d’origine. La faute de nos premiers parents transforme le cœur humain en un champ de bataille où les esprits mauvais du Satan affrontent le Saint Esprit qui désire filialiser notre vie en l’offrant au Père.
La marque de l’action du Malin qui secoue l’homme comme un tamis est le trouble et l’agitation qui sont générateurs de bruit et signes du Diviseur.
La présence active de l’Esprit est caractérisée, elle, par un silence paisible. Rien d’étonnant puisque le silence, qui n’est pas mutisme, est la marque du libre oubli de soi en la présence de l’aimé. Le silence est le toi suprême, la plus belle façon de dire son amour à l’autre. C’est pourquoi l’Esprit est Silence autant qu’Il est Amour. Et combien le vol est silencieux de la Colombe de l’Esprit qui est Amour de Dieu Se donnant à l’âme ! C’est dans le silence de mon âme ouverte que je L’entends et Le reçois…
Le silence est le langage entre l’âme énamourée et l’Esprit
Le silence n’est pas une privation ni un abandon de soi au néant, mais le don de la Vie reçue dans le vide de soi-même pour Lui. Comme la chasteté du cœur, le silence est retrait absolu de soi pour recevoir l’Absolu. Il partage avec la chasteté l’impossibilité de la division : on est, ou pas, chaste ; on est, ou pas, silence.
Certes le silence extérieur est difficile à établir en ces jours où la modernité fait surgir des bruits de nulle part. Mais c’est surtout dans l’agression du monde au sens johannique du mot que le bruit se dévoile comme une rumeur sourde qui frappe en continu notre cœur plus que nos oreilles. Nous retrouvons, modernisée, la danse des esprits mauvais qui, au désert, tentaient de déstabiliser les ermites en les secouant comme l’on sasse les pierres.
« Quand le Verbe de Dieu augmente, les paroles de l’homme manquent. » S. Augustin
Lorsque nous comprenons d’où vient le bruit et ce qu’il signifie, ce dont il est porteur -l’esprit du Mal-, lorsque nous comprenons en même temps le sens du silence et ce qu’il nous apporte -l’Esprit d’Amour-, nous devenons capables de chasser le bruit avec les bonnes armes. Ce sont les armes de la vie théologale qui vivent de la Parole de Dieu lue, priée, gardée, incarnée en notre vie par la grâce reçue des sacrements.
Ainsi la nature humaine de Jésus aimait le silence de solitude pour prier, pour contempler sa relation unique au Verbe, à la Parole, et vivre ainsi en son humanité Sa relation filiale au Père.
Benoît XVI, dans le même discours, ajoute : « Le silence est capable de creuser un espace intérieur au plus profond de nous-mêmes, pour y faire habiter Dieu, pour que sa Parole demeure en nous, pour que l’amour pour Lui s’enracine dans notre esprit et notre cœur, et anime notre vie. La première direction est donc de réapprendre le silence, l’ouverture pour l’écoute, qui nous ouvre à l’autre, à la Parole de Dieu. »
Monseigneur Jean-Marie Le Gall
Dieu réserve des joies insoupçonnées à l’âme qui se livre à l’oraison. Il s’engouffre par cette porte laissée ouverte et fait de son serviteur un instrument efficace : l’action est portée par la contemplation !
À rien, bien entendu : le premier commandement de Dieu est de le servir, non pas de se servir de lui,
Et cela parce que Dieu est amour, et que l’amour ne cherche pas d’autre cause, pas d’autre fruit que lui-même, nous dit saint Bernard, son fruit, c’est d’aimer. J’aime parce que j’aime ; j’aime pour aimer.[1] L’oraison est le nom de l’amour lorsqu’il est pris à sa source, le mot lui-même indiquant exactement le « branchement » divin[2] dans lequel Adam et chacun d’entre nous est venu à la vie : Grande chose que l’amour, continue saint Bernard, si du moins il remonte à son principe, si, revenu à son origine et replongé en sa source, il y puise sans cesse de quoi continuellement s’écouler. Pour ce qui dépend de nous, l’oraison est de sans cesse remonter à cette source de l’amour ; et pour ce qui dépend de Dieu, elle est de continuellement s’écouler en nous
L’oraison n’a donc pas à se justifier, pas plus que l’amour, pas plus que Dieu. Elle appartient à l’équilibre fondamental de l’homme, créé « en oraison ».
Mais si l’amour ne sert à rien, il n’en est pas moins fécond, et c’est dans la « communauté de vie et d’amour » des époux, admirable définition conciliaire du foyer chrétien, que naissent les enfants. Aussi est-ce à proportion de leur oraison, « communauté de vie et d’amour » entre Dieu et l’homme, que les chrétiens seront féconds, ou si l’on préfère, missionnaires et évangélisateurs : Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit… Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé…[3] Tout le reste, c’est-à-dire le temps que l’on va y passer, la ferveur ou la non-ferveur que l’on va y ressentir, les méthodes plus ou moins souples que l’on va y employer, ne sera plus que la psychologie de la prière, et n’aura d’autre but que de former et d’entretenir cette attention simple et amoureuse à Dieu, par laquelle saint Jean de la Croix définit l’attitude contemplative, et à partir d’elle, l’état de conscience permanent du chrétien dans la maturité de sa foi.
On pourrait vérifier cette loi de l’amour simultanément unitif et fécond, jouissant et actif, dirait Ruusbroec, dans l’Histoire de la sainteté : un saint Augustin, une sainte Thérèse d’Avila ou un saint François de Sales se définissaient par la recherche de Dieu, et ils ont mis ou remis leur époque sur le chemin d’un service vrai de l’homme, ils ont été des civilisateurs. « Que faisaient ici les moines, demandait à peu près Benoît XVI dans son désormais célèbre discours aux Bernardins[4] ? Ils cherchaient Dieu, et ils ont trouvé l’homme. » L’humanisme chrétien naît dans la prière, et l’oraison moderne, celle de Thérèse d’Avila ou de François de Sales, est née là où est né le système scolaire européen, chez les Frères de la Vie commune des Pays-Bas : Erasme, saint Ignace et saint Jean de la Croix ont eu les mêmes maîtres.
Quoi de plus utile que cette inutilité, qui remet l’homme en son humanité ?
A plus petite échelle, quiconque pratique un peu sérieusement l’oraison retrouve en elle l’harmonie paradisiaque pour laquelle Dieu l’a mis au monde : l’homme créé à l’image de Dieu n’est homme qu’en Dieu, et parce qu’elle le replonge en Dieu, l’oraison, dirait Louis de Grenade, est un remède salutaire aux faiblesses de chaque jour, un miroir limpide dans lequel on voit Dieu, on voit l’homme, et l’on voit toutes les choses. Elle est un exercice quotidien de toutes les vertus, la mort de tous les appétits sensuels, la source de toutes les bonnes résolutions et de tous les bons désirs. Elle est le lait de ceux qui commencent, la nourriture de ceux qui grandissent, le port de ceux qui combattent, la couronne de ceux qui triomphent.[5] Quoi de plus utile que cette inutilité, qui remet l’homme en son humanité ? Et dans les dernières lignes de son Château de l’âme, après avoir décrit cette restauration de l’homme opérée par l’oraison, une Thérèse d’Avila peut s’exclamer :
Vous voulez savoir le but de l’oraison, mes filles ? Voilà à quoi sert ce mariage spirituel : donner naissance à des œuvres, des œuvres ![6]
Des oeuvres, des oeuvres ! beaucoup d’efficacité, mais plus aucune agitation ; car les œuvres du contemplatif ne sont pas une simple application de l’oraison, un débordement d’enthousiasme mystique, mais la plénitude de sa contemplation : opus vitae activae ex plenitudine contemplationis derivatur[7], nous dit saint Thomas. En cela, elle vérifie la parole de saint Paul : Ce n’est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi ![8] Et c’est tout le projet de Dieu de réunir toute chose dans le Christ[9] qui s’est alors accompli, ce qu’un Ruusbroec l’Admirable décrit ainsi : L’homme qui, de cette hauteur, est envoyé par Dieu dans le monde, est plein de vérité et riche de toutes vertus… Il est un instrument de Dieu vivant et disponible, avec lequel Dieu opère ce qu’il veut et comme il veut ; et il ne s’attribue pas cela, mais il en donne à Dieu l’honneur ; et voilà pourquoi il reste disponible et prêt pour faire tout ce que Dieu commande, et fort et vaillant pour pâtir et supporter tout ce que Dieu établit sur lui. Et c’est pourquoi il mène une vie commune, parce qu’il est également prêt à contempler et à agir, et il est parfait dans les deux.[10]
[1] Saint Bernard, Sermon 83 sur le Cantique.
[2] Os ad ora en latin, c’est-à-dire littéralement bouche à bouche d’où adorer, puis oraison.
[3] Jn 15.
[4] Paris, 12 septembre 2008.
[5] Louis de Grenade (1504-1588), Livre de l’oraison et méditation, I-II
[6] Ve demeure, ch. 4.
[7] L’œuvre de la vie active provient de la plénitude de la contemplation. Somme Théologique, II-IIae, q. 186, 6.
[8] Ga 2, 20.
[9] Eph 1, 10.
[10] Ruysbroec l’Admirable (1293-1381), Fin du traité La Pierre brillante.
Max Huot de Longchamp + prêtre
L’oraison trouve place dans une vie active, ordinaire, à condition de lui assigner un moment et de s’y tenir fidèlement. Voici deux témoignages d’oraison qui transforme la journée.
Lorsque Don Etienne m’a proposé de témoigner de la prière, ma réponse : « Si vous saviez comme c’est ‘galère’, la prière, pour moi ! », ne l’a pas découragé, ni même étonné, puisqu’il semble que je ne sois pas le seul dans cette galère.
A Sainte-Marie, en semaine, ma prière se conjugue avec l’entrée des élèves et des professeurs, les cuisiniers sont déjà à l’œuvre, les internes n’ont pas encore fini de se brosser les dents !
Jésus est là, présent au cœur de cette école.
J’ai rendez-vous, avec cette certitude d’être attendu, même désiré.
Chaque matin, la rencontre n’est pas simple : Lui, Il a soif d’entrer en relation, d’engager le dialogue, que sa Parole pénètre au plus profond de mon cœur, irriguant tout sur son passage, mes gestes, mes pensées, ma vie entière…Et moi, devant Lui, présence discontinue, avec mes pointillés relationnels, mes résistances, ce qui n’a pas envie de se laisser transformer… Lui, le Présent – plus présent à moi-même que je ne puis l’être à Lui et à moi – accepte le peu que je Lui donne, prend tout sans exception, le brûle au feu de son amour pour m’emmener juste un peu plus loin.
De toute éternité, Il a projeté de faire de chacun d’entre nous progressivement (et avec notre permission en plus), des humains selon son cœur : pied sur terre et cœur au Ciel (quelle trouvaille !). Il n’y a que Lui qui puisse réaliser ce mélange impossible et c’est pour cela que je viens chaque matin puiser à la Source, apportant avec moi quelques visages croisés sur le chemin : « Seigneur, Toi qui as prié pour que tous soient UN …».
Pierre, parent d’élève, école Sainte-Marie
Ma chère Lucie,
Dans ta dernière lettre, tu me demandes de te raconter mon expérience sur l’oraison. Je vais être très simple en acceptant, car je te souhaite de découvrir cette forme de la prière confidentielle et intime avec notre créateur.
Selon les événements, j’ai été plus ou moins fidèle mais aujourd’hui, je dois reconnaître ne plus pouvoir me passer de ce rendez-vous. A quand remonte le début de cette vie d’oraison ? Je ne peux te dire car je crois que toute intimité avec Jésus est déjà oraison. C’est sans doute étudiante, en cherchant quelle était ma vocation que j’ai eu un rythme plus régulier, pour me laisser guider et accompagner au quotidien dans mes choix. Et je me souviens d’une période plus délicate où le moment le plus doux et le plus vrai était cette rencontre dans l’oraison. J’ai alors clairement compris que j’en avais besoin, dans le silence profond de mon cœur. Puis il y eut mes premières années de mariage. Il m’a fallu ajuster ma vie spirituelle et ma nouvelle vie d’épouse et de mère avec des combats pour être fidèle à Jésus dans l’oraison. J’ai alors choisi le meilleur moment de ma journée pour redevenir régulière. Pendant la sieste des enfants, dans ma chambre, une demi-heure. Et que se passe-t-il? Un échange entre le Bon Dieu et moi. Je me mets à sa disposition en commençant toujours par un acte de foi, comme s’Il m’attendait pour un entretien personnel. J’apprends petit à petit à Lui laisser toute la place pour ne penser qu’à Lui et ainsi goûter son Amour. Parfois, Il m’apparaît crucifié, ou au milieu d’une foule, sur un banc sous un arbre, avec plein d’enfants autour de Lui, mais toujours avec un regard profond plein d’amour pour moi. Et d’autres jours, je m’ennuie, tracassée par des soucis du quotidien, ou tout simplement distraite. Peu importe, Il est là, je suis là et Sa grâce transforme ma journée.
Élisabeth