NOTRE JOIE EST-ELLE REALISTE ?
(Dossier Sub Signo Martini n°33)
(Dossier Sub Signo Martini n°33)
Comment ne pas désespérer en voyant la crise sévère que traverse aujourd’hui notre Église dans les pays de vieille chrétienté ? On peut en rechercher les causes pour essayer de les supprimer et travailler ainsi au rajeunissement de l’Église.
On peut aussi se rassurer en s’obligeant à regarder les signes de renouveau qui ne manquent pas d’exister par ailleurs : naissance et développement de communautés nouvelles, enthousiasme de milliers de jeunes au retour des JMJ, conversions magnifiques de jeunes et d’adultes venus de tous les milieux. Des réflexions qu’il ne faut pas manquer de faire et qui entretiennent le courage.
Mais on peut aussi – et l’on doit – se rappeler un motif fondamental d’espérance fondé sur la Parole même de Dieu. Nous croyons que Dieu fait toujours TOUT concourir au bien des ses enfants (Rm 8,28). C’est le merveilleux mystère de la Providence vécu par tous les saints sans exception et qu’exprime admirablement saint Augustin dans un texte repris par le Catéchisme: « Le Dieu tout-puissant, puisqu’il est souverainement bon, ne laisserait jamais un mal quelconque exister dans ses œuvres, s’il n’était assez puissant et bon pour faire sortir le bien du mal lui-même. » (§ 311).
Au cœur même de cette crise profonde nous avons le devoir de croire, avec plus de force que jamais, que Dieu n’abandonne pas son Église et que les erreurs elles-mêmes dont il permet la naissance et la diffusion dans le monde et même dans l’esprit d’un certain nombre de ses fidèles sont un mal dont il est capable de tirer un bien.
Saint Jean Chrysostome, dont la vie fut un tissu d’épreuves – il fut envoyé en exil par l’empereur de son temps -, abordait souvent ce mystère dans les homélies qu’il donnait aux fidèles de Constantinople.[1] « Dieu ne pouvait-Il pas empêcher ces malheurs, s’Il l’avait voulu ? Au contraire, Il les a permis… Alors ? »Sa réponse tombe comme un couperet : « La vraie solution est dans la foi et consiste à savoir que Dieu fait toutes choses avec justice, avec amour, pour un but utile ; il faut aussi reconnaître que nous ne pouvons pas comprendre sa pensée. Voici l’unique solution, il n’en est pas de meilleure. »
Le saint évêque profita d’ailleurs de son exil pour écrire un petit traité sur la Providence: « Pourquoi le diable, pourquoi les démons, pourquoi les hommes méchants qui en font trébucher un grand nombre ? Eh bien ! il faut s’en remettre à l’incompréhensibilité de la sagesse de Dieu. En effet, l’homme généreux et solidement fixé en Dieu, même si mille tempêtes l’assaillent, non seulement n’en éprouve aucun dommage, mais il en devient plus fort.[2] »
Attention ! Il ne s’agit pas de tomber dans un optimisme béat ni de se démobiliser en baissant les bras devant la diffusion des erreurs qui abîment le peuple chrétien ! Le chrétien doit conserver toute sa vie un esprit combatif, une âme de Jeanne d’Arc. Mais il doit aussi vivre intensément le précepte formel de l’apôtre Paul, valable à toutes les époques et dans toutes les circonstances de sa vie personnelle : « Restez toujours joyeux ; priez sans cesse ; en toute condition soyez dans l’action de grâce ! » (1 Th 5, 16-18). Nous sommes appelés à vivre dès ici-bas l’action de grâce qui ne cesse de retentir dans le ciel devant le trône de l’Agneau, car les saints du ciel ne font aucune dépression nerveuse en voyant tous les dysfonctionnements qui entravent la bonne marche de l’Église et du monde. Ils participent à la vision que le Christ lui-même possède de l’Histoire. Malgré sa colère face à tous les péchés du monde, Il connaît tout le bien qui, mystérieusement, en sortira !
C’est la vision grandiose de l’Apocalypse : les animaux fantastiques qui sèment la terreur et la persécution dans l’Église restent sous le contrôle de l’Agneau, de Celui qui siège sur le trône et devant lequel se prosternent les anges et les saints.
C’est en méditant l’Écriture que les saints sont parvenus à rester sereins au vu des catastrophes qui venaient détruire les œuvres magnifiques qu’ils avaient fondées. Le Père Maximilien Kolbe avait prévu que Niepokalanow, la cité mariale extraordinaire dans laquelle mille religieux travaillaient à imprimer journaux et revues à la gloire de Notre-Dame, serait un jour anéantie. Cette perspective n’entamait pas sa confiance « ce sera mieux pour nous, osait-il dire, parce qu’il y aura plus d’occasions de souffrir et de montrer notre fidélité à Dieu. Toute souffrance extérieure ou intérieure nous aide dans le chemin de la sainteté.» Et, quand en septembre 1939, les soldats de la Wehrmacht envahirent et saccagèrent Niepokalanow, il ne cessait de répéter : « L’Immaculée nous a tout donné. Elle nous l’enlève. Elle sait bien ce qu’il en est ».
*
* *
Dans la crise ne perdons donc pas de vue l’action de grâce qui doit sans cesse monter de notre cœur, alors même que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour colmater les brèches devant lesquelles nous n’avons pas le droit de fermer les yeux. L’exemple des saints nous y aide, car les plus soucieux de rénover l’Église par leur exemple, leurs prières, leurs sacrifices et leurs initiatives, n’ont jamais oublié de commencer leur journée en chantant : « Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange ! »
Un tel abandon suppose évidemment une intervention très spéciale de Dieu dans notre cœur. C’est l’Esprit que le Christ y répand qui nous permet de dire en toute circonstance : « Père, que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! » L’Esprit est à la fois Celui qui nous donne l’audace pour lutter contre le mal et Celui qui assouplit notre nuque pour que nous ne nous révoltions pas contre la façon dont Dieu mène le monde : ses chemins ne sont pas forcément ceux que nous aurions souhaité qu’il prenne !
Père Pierre DESCOUVEMONT
Auteur de Peut-on croire à la Providence ? Ed. de l’Emmanuel, 2007, Préface du Cardinal Barbarin
Les apparents paradoxes de Dieu, Presses de la Renaissance, 2003, Préface du Cardinal Schönborn.
[1] Nommé évêque de Constantinople en 398, il mourut exilé en 407. Le caractère exceptionnel de ses dons oratoires lui valut, un siècle après sa mort, le surnom de Bouche d’or (Chrysostome)
[2] Sur la Providence de Dieu, coll. « Sources chrétiennes », n°79, trad. Anne-Marie Malingrey, Cerf, 1961, p. 163
Et si la confiance en Dieu pouvait suffire à convertir les plus lourdes épreuves en occasion de grâces inestimables ? C’est ce dont sont fréquemment témoins les prêtres accompagnateurs spirituels, dès lors que la personne qui souffre dit « oui » à l’amour.
Les évangiles nous rapportent à plusieurs reprises ces invitations de Jésus à nous tourner vers Lui dans l’épreuve : «Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger.» (Mt 11,28-30).
Le « poids du fardeau », nous en avons tous l’expérience, personnellement ou dans notre entourage : maladies, accidents, deuils, échecs, rejets, mais aussi les crises liées aux grandes étapes de la croissance humaine comme l’adolescence, les remises en question de la quarantaine, le passage à la retraite, la fin de vie… Il faudrait encore citer toutes les épreuves d’ordre psychologique liées à l’enfance et l’assise de la personnalité sur des bases plus ou moins solides ; et aussi les difficultés du chemin spirituel lui-même…
La mission de l’accompagnement spirituel me fait voir comment le Seigneur « procure le repos » à celui qui « peine sous le poids du fardeau » ; accompagnant es frères j’ai la joie d’être le témoin de véritables merveilles qui s’accomplissent dans le cœur des enfants de Dieu, Lui qui, dans la puissance de son Amour, est capable de tirer le bien du mal. Il est capable de remettre debout, de reconstruire une personnalité apparemment en ruine, de redonner sens à une vie qui a, en apparence, sombré dans l’absurde de la souffrance.
Comment une telle transformation est-elle possible, quelles en sont les conditions et les moyens ? Comment le Seigneur s’y prend-il pour rejoindre l’âme égarée ? Comment faire pour mettre en pratique cette invitation du Christ Jésus : « Venez à moi, vous tous qui peinez… » ? Le contexte de Noël nous éclaire : en contemplant le divin nourrisson dans les bras de sa Sainte Mère, nous méditons le total abandon confiant à l’amour d’une mère et d’un père. Quoi de plus pauvre, de plus dépendant de l’amour de ses parents, de plus confiant, que le nouveau-né blotti sur le cœur de sa mère ?
« Regarde, semble nous dire le Seigneur, comme je m’abandonne à l’amour : toi, veux-tu t’abandonner à mon Amour ? » Et, à Noël, la pauvreté radicale qui entoure la naissance de l’Enfant-Dieu, la mangeoire qui lui sert de berceau, les pauvres qui accourent à l’invitation des chœurs angéliques, tout cela nous en dit encore plus : « Et si tu prenais occasion des crises que tu traverses pour te laisser faire comme ce tout petit enfant de Bethléem ? N’aie pas peur de ta pauvreté, au contraire : fais-toi pauvre, confiant, abandonné à l’Amour ; donne-moi ta misère elle-même. »
Pour que Dieu puisse agir en nos vies, en effet, il est indispensable de lui donner le consentement de notre liberté : Dieu nous a créés par amour et pour l’amour et, depuis les origines de l’humanité, jamais il n’a entravé notre liberté sans laquelle nous ne pourrions aimer. Certes, responsables de nos actes, nous en portons, trop souvent, les conséquences désastreuses pour nous-mêmes et pour nos frères : l’Amour divin ne fait cependant pas défaut, Lui qui respecte notre liberté et attend notre oui. Mieux, Il suscite notre oui, se servant de ces moments où, sous le coup de l’épreuve, l’homme se fait humble et pauvre, comme l’enfant Jésus de la crèche : c’est là que peut se situer la plus belle conséquence de la crise que nous traversons…
En effet, si nous l’acceptons, l’Amour prévenant de Dieu, présent au creux de notre épreuve, peut nous conduire à Lui dire oui: ayant tout essayé, ne sachant plus à quoi nous raccrocher, nous sommes à même, enfin, de crier notre détresse vers le Seigneur, de le supplier en laissant craquer toutes nos résistances. C’est souvent là que le Seigneur trouve la réponse de la liberté et donc la réponse de notre amour : si faible, si fragile, si balbutiant soit-il, cet amour est pourtant magnifique dans ses conséquences car il va droit au cœur de Dieu.
Il ne reste plus alors qu’à manifester notre désir à Dieu : « Demandez, vous obtiendrez ; cherchez, vous trouverez ; frappez, la porte vous sera ouverte… » (Lc 11,9). Magnifique prière de demande : c’est la prière de l’humble, prière du pauvre qui se sait nécessiteux devant son Seigneur ; c’est la prière qui nous ouvre le cœur à l’Amour divin ; alors se réalise la promesse de Jésus : « Combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11, 13)
Gilles Debay + êprtre
Regards croisés par deux jeunes prêtres.
La vie chrétienne constitue d’abord une venue de Dieu dans nos souffrances, dans nos épreuves et dans nos joies. Et c’est par cette incarnation que se déploie en nous la grâce et qu’elle se répand autour de nous.
Lorsque nous traversons une crise, que peut apporter la foi à un chrétien ?
Don Pascal : Le chrétien n’est pas épargné par les difficultés de la vie quotidienne ; la foi ne nous isole pas des turbulences de la vie. Dans la foi le chrétien choisit de vivre son épreuve en communion avec le Christ, il ne la vit pas seul. Notre pèlerinage terrestre n’est pas une épopée solitaire mais une acceptation de cheminer avec le Christ. Le Christ n’est pas venu supprimer ma souffrance mais l’habiter, lui donner un sens et m’aider ainsi à la vivre autrement.
Don Dominique : Jésus a connu dans sa vie différentes tempêtes, il les a traversé, il les a partagé. L’épisode de la tempête apaisée nous montre la présence discrète mais certaine de Jésus au cœur des tribulations. Jésus nous invite à la confiance et à la paix intérieure alors que nous avons tendance à nous laisser emporter par l’angoisse. « N’ayez pas peur »
Vous parlez de vivre la crise avec le Christ, comment cela peut-il se vivre au quotidien ?
DD : Si je choisis de ne pas faire « cavalier seul » dans mon épreuve, j’accepte humblement de dépendre d’un autre aussi bien au niveau spirituel qu’au niveau humain. C’est dans l’humilité que je reconnais que par moi-même je ne peux m’en sortir seul. Cela me pousse à accepter les mains d’un proche qui pourraient se tendre … C’est dans la prière que je vais remettre au Seigneur mon fardeau pour l’échanger contre le sien. Lui seul est capable de faire d’une difficulté le terreau d’une grâce future.
DP : La lecture et la méditation de la Parole de Dieu m’aident à porter un regard plus large que le mien sur l’épreuve que je traverse. Dieu me rejoint dans ce que je vis aujourd’hui, dans les paroles de tel ou tel passage de l’Evangile ou d’un psaume. Je comprends alors que mon épreuve ne se réduit pas à ce que j’en perçois mais me dépasse. Seul Dieu connait les tenants et les aboutissements de ma vie. J’apprends peu à peu à remettre ce mystère entre les mains de Dieu et à m’abandonner à Sa Volonté.
Comment le mystère de Noël que nous nous préparons à vivre, peut-il nous éclairer dans nos crises ?
Ce temps d’avent est d’abord le temps de l’attente du salut. Le Chrétien laisse grandir en lui le désir d’être visité par le Christ dans sa vie et ses épreuves. Le salut nous est promis mais nous ne le possédons pas encore entièrement. Je sais que dans cette épreuve que je traverse, le Seigneur me conduira vers une issue car « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » Cette situation un peu inconfortable du chrétien est le lieu où notre espérance grandit véritablement. L’avent est le temps où nous apprenons l’Espérance qui ouvre notre regard aux dimensions de Dieu ! Alors à l’exemple d’Abraham, notre père dans la foi, je peux quitter mes certitudes, mes petites vues sur ce que je vis, pour aller dans un pays que j’ignore mais que le Seigneur me montrera.
La décision est prise avec netteté et nous nous sommes lancés avec vigueur. Tout va bien. Cinq minutes plus tard le mail en question est écrit. Victoire ! Nous avons fait preuve d’une volonté ferme et forte. Le problème est que la vie ne consiste pas seulement à accomplir des tâches de cinq minutes.
Issue d’une famille catholique, j’ai toujours été attirée par Dieu. Mais, adulte, j’étais devenue incapable d’accepter qu’Il puisse m’aimer. Plus tard la culpabilité, le dégout de moi-même, le refus de l’amour d’autrui, le découragement, la fuite ont pris des proportions nouvelles alors que j’étais déjà mariée et mère de famille : je partais seule, n’importe où, parcourant des kilomètres en voiture, laissant mon mari et mes enfants dans une inquiétude folle, fuyant la vie, voulant me fuir.
Alors que j’étais au bord du gouffre, un moine m’a dit que je devais me laisser faire par l’Amour de Dieu. Un prêtre a rajouté qu’il fallait aussi décider que les choses changent. Et puis ma sœur a fait une Agapè, cette retraite de guérison intérieure proposée au Puy-en-Velay. Quand elle m’en a parlé, le conseil de ce moine et celui de ce prêtre se sont conciliés : j’ai décidé… de m’inscrire à cette Agapè pour m’y laisser faire par l’Esprit Saint. C’est là, au fond de ma misère, que j’ai lâché prise et que le Seigneur a commencé à agir. Aujourd’hui je me sais aimée de Dieu. Les épreuves sont toujours là, mais, Lui aussi, Il est toujours là ! Et, jour après jour, je découvre la puissance de sa Miséricorde.
Emmanuelle
2. … et de ne pas se laisser décourager par nos défaites. En effet, la conscience de la durée est le propre de l’homme. Elle peut le conduire au découragement, mais elle est aussi un facteur d’espérance : tant que je suis en route, je peux toujours recommencer, me relancer. La vie ne se joue pas en une seule bataille. C’est aussi ce que nous enseigne la méditation du chemin de croix, où nous voyons Jésus tomber trois fois. Et pourtant il se relève à chaque fois pour poursuivre son œuvre de salut.
3. Quant à l’aspect décourageant de la durée il est essentiel d’apprendre à vivre l’instant présent ! « Si je songe à demain, je crains mon inconstance, je sens naître en mon cœur la tristesse et l’ennui », dit sainte Thérèse de Lisieux. Cela rejoint ce que l’on dit souvent aux couples qui se préparent au mariage : « Si vous regardez toute la durée de votre future vie à deux, cela peut sembler être une montagne insurmontable. En effet, c’est comme si on vous montrait le tas de nourriture que vous mangerez au total pendant toute votre vie ; c’est nauséabond. Mais si on ne se préoccupe que de ce qu’il faut manger, surmonter, endurer aujourd’hui, tout devient possible. »
4. Planifier de manière réaliste et prévoir qu’il y aura forcément des difficultés, cela évitera le découragement face aux obstacles. Écoutons encore Thérèse : « Si j’ai beaucoup à écrire ce jour-là, afin d’avoir un cœur dégagé, je me mets dans la disposition d’esprit d’être dérangée. Je me dis : « Telle heure libre, je la consacre au dérangement, je le veux, je compte dessus et si je suis tranquille, j’en remercierai le bon Dieu comme d’une grâce sur laquelle je ne comptais pas. » Aussi, je suis toujours heureuse. »
5. Commencer par des petits actes de persévérance afin de remporter des petites victoires, qui nous encourageront à persévérer dans notre projet de devenir persévérant.
XP
La vie au séminaire apprend aux futurs prêtres le sens de la fidélité et des efforts qu’elle nécessite. En commençant à se donner intensément, dans la plénitude de leur humanité, ils deviennent capables de mener une vie sacerdotale authentique. Et réaliste.
Les séminaristes et les prêtres ne sont-ils pas des êtres désincarnés, éloignés des réalités terrestres et de leurs impérieux appels au point de croire que l’ordination fait d’eux des anges ? Non, car il faut livrer sans cesse toutes les ressources de son corps et de son cœur, de sa volonté et de son esprit, si l’on veut rester fidèle aux promesses sacerdotales, en particulier celles du célibat et de la continence pour le Royaume.
Choisir le célibat, n’est-ce pas se priver volontairement de toutes les richesses de la vie conjugale? Une vie de vieux garçon, toujours à l’affût de quelque compensation… Oui, bien sûr, elle serait telle, s’il n’y avait le Christ qui lui donne sens et accomplissement. Dieu seul suffit. Pour lui, le prêtre renonce à la femme. Avec lui, il vit. En lui, il demeure. Dieu peut-il exiger qu’un jeune homme de 25 ou 30 ans ne vive que pour Lui seul et pour son Église ? Il ne l’exige pas, Il l’attend, et Il appelle. Si Dieu m’appelle, il me faut le suivre. Telle est la logique de ceux que l’Esprit choisit pour le sacerdoce. « Je vais le séduire, je le conduirai au désert et je parlerai à son cœur » (Os 2, 16). Le Christ choisit et il entraîne à sa suite ceux sur qui il a posé son regard d’amour. Il les emmène dans des endroits déserts pour leur parler cœur à cœur. La vie du prêtre a quelque chose d’absolu : suivre le Christ fidèlement jusqu’à la mort. Le prêtre a été choisi par Dieu, il a choisi Dieu librement et son choix est irrévocable. C’est le oui de l’ordination. Saisi par le Christ, il s’est donné à lui avec l’espérance de l’aimer jusqu’au bout, lui et les siens qui sont dans le monde ; aimer comme il a aimé, aimer de son amour.
Par l’ordination, le prêtre ne fait que commencer le chemin du disciple. Ce chemin est celui de la fidélité de Dieu, éternelle et toujours nouvelle. Par sa consécration, le prêtre porte en lui la marque de la fidélité de Dieu à laquelle il communie. C’est en obéissant à l’Église que le prêtre prouve son amour et renouvelle sans cesse sa fidélité. Jésus était totalement disposé à faire la volonté de son Père. Par son obéissance totale, il passait de ce monde à son Père. Et c’est elle qui l’a rendu victorieux, même de la mort, par la résurrection. L’amour du Christ et de son Église pousse le prêtre hors de lui-même. Ce n’est plus ce que je veux qui compte, mais ce que veut le Christ, ce que demande l’Église. Que veut le prêtre ? Les joies et les difficultés d’une vie au service des hommes et de Dieu ? Les sollicitations multiples d’un ministère qui dévore son temps et ses forces ? Les exigences et les richesses de la vie de communauté ? L’aridité du désert ou la fraîcheur des oasis dans la vie de prière ? Les nominations et les missions… Oui, le prêtre veut ce que Dieu veut pour lui. Obéir, c’est être libéré de soi par l’amour, être en total accord de pensée et d’action avec Jésus. Et s’il faut passer par la passion, par le dépouillement, et par la mort, c’est toujours pour une résurrection. L’obéissance du prêtre est sa pauvreté. Comme le Christ, il se remet totalement dans les mains du Père et dans les mains des hommes. C’est pour eux qu’il est ordonné.
Être par Dieu et par l’Église, être pour Dieu et pour l’Église, cela signifie partager tout ce que l’on a et tout ce que l’on est. Le prêtre reçoit tout de Dieu pour le lui rendre. Voilà sa fidélité. Mais dans la réalité, le prêtre n’est-il pas tenté par l’infidélité ? Activisme, sécheresse spirituelle, dégoût de la solitude, soif de vie familiale ou conjugale… Jésus a été assailli par la tentation. Il l’a vaincue et il donne la force à celui qui s’est mis à sa suite. Sur sa Parole et par amour, il a tout quitté. En sa Parole et par amour il demeure. Dieu est là, fidèle. Il parle par sa Parole. Il parlait à la Vierge Marie qui conservait et méditait toutes ces choses en son cœur. Il parle au prêtre même lorsqu’il se tait. Et si Dieu semble absent et que la lassitude s’abat sur les épaules du prêtre, le pauvre est là, à la porte du presbytère, le bréviaire est là, qui attend d’être ouvert, les fidèles sont là, qui attendent d’être exhortés, le téléphone est là, qui sonne… Le Christ attend, lui aussi. Le prêtre le croit de toute sa force et il met toute son attention dans ce malade à visiter, dans cette conférence à préparer, dans cette réunion à animer… Dieu lui dira-t-il qu’ainsi il fait sa joie ? Il le lui dit parfois par ses petits qui sont les siens. Et parfois il le lui dit dans le silence de l’ingratitude ou de l’indifférence. Le prêtre le sait par la foi, comme Marie. Fidélité de Dieu, fidélité du prêtre. Être fidèle ne va pas sans une parfaite disponibilité. Disponibilité à Dieu dans la prière. Disponibilité à l’Église dans le service. « Me voici puisque tu m’as appelé… Parle, Yahvé, car ton serviteur écoute » (1 S 3, 6-9). Me voici pour toi, Seigneur, à l’écoute de ta Parole. Me voici pour tous ceux que tu me confies, à l’écoute de leurs besoins. Suivre le Christ jusque dans la souffrance est parfois bien ardu… mais si le « oui » est inconditionné, le Christ répond dans le secret du cœur par le don de sa joie : plénitude de joie, comme il l’a promis.
Et si le prêtre a été infidèle, alors le Dieu fidèle fera toutes choses nouvelles. Car la miséricorde est le nom de la fidélité de Dieu.
Édouard de Vregille + prêtre