La fraternité, un don de soi
Jeudi 15 octobre 2020
Dans son Encyclique Fratelli Tutti, le pape François invite à « prendre soin de la fragilité » en particulier par le service « aux membres fragiles de nos familles, de notre société. » Pendant le confinement, don Clément a proposé ses services à l’hôpital comme aide-soignant. Retour sur une expérience qui lui a fait prendre conscience que « c’est le don de soi de chacun qui permet de faire grandir la fraternité entre tous. »
C’est bien d’une espérance dont notre monde a besoin. Notre monde est en crise. Aujourd’hui, c’est la crise du CoVid 19. Hier c’était les subprimes, la pédophilie, le pétrole, et, ne vous inquiétez pas, il y en aura bien d’autres demain. À quoi sert donc la fraternité en temps de crise ?
N’oublions pas qu’il n’est pas bon que l’Homme soit seul ! (Gn 2,18) Aussi, toute solitude est une crise. C’est ce que beaucoup d’entre nous ont vécu pendant le confinement. Et il ne suffit pas d’être à plusieurs pour échapper à la solitude. Je pense notamment aux personnes résidant dans les EHPAD ou les hôpitaux, ces gens qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés sans visite aucune, sans possibilité de sortir de leur chambre, et sans aucun contact réel et gratuit avec une personne. Même lorsque les visites sont rares, il y a l’espoir d’en recevoir une, mais lorsqu’elles sont interdites ?!
L’obstacle principal de l’échange, en temps de crise du CoVid, c’était donc l’absence de contact, et cela risquait fort d’entraîner le désespoir de beaucoup. Comme prêtre, après avoir tourné et monté mes vidéos pour les enfants du catéchisme, il me restait du temps libre. Et dans les hôpitaux des personnes mouraient sans sacrements ! J’ai donc proposé d’aller travailler à l’hôpital comme aide-soignant. J’avais déjà une petite expérience du métier. J’ai été pris tout de suite ! Dès le Lundi de Pâques, me voilà vêtu de blanc et revêtu d’une surblouse, d’une charlotte, d’un masque, de gants, de tout l’attirail du parfait soignant en secteur CoVid. Pendant un mois, j’ai ainsi pu approcher quelques patients. Certains savaient que je suis prêtre, d’autres non. Le soin à la personne est une manière de vivre à l’image du Christ, lui qui vient purifier nos blessures, lui qui, bon pasteur, prend soin de la brebis malade. Cela nécessite une vraie technique, c’est un métier. Mais une technique au service du frère, qui s’adapte à son temps, à son besoin. Et cela ne va pas sans la parole, sans l’écoute, sans le toucher. Tous nos sens participent à cet échange qui permet à deux solitudes de devenir une relation, un enrichissement mutuel. J’ai pu, plus encore, parler et échanger avec le personnel soignant car, pour beaucoup, c’était la première fois qu’ils parlaient à un prêtre.
Et la fraternité ? Elle est une construction de chaque instant. Il ne m’a pas suffi de débouler à l’hôpital en disant « je viens vous aider, appelez-moi Sauveur ! ». Ce petit pas vers l’autre que j’ai fait n’aurait pas pu exister si les soignants ne m’avaient pas accepté avec joie et patience : après 10 ans de pause, ma technique hospitalière était lacunaire, il leur a fallu me réapprendre certaines choses, accepter que je ne sois pas aussi efficace, aussi rapide qu’eux. Mes frères de communauté ont aussi pris leur part puisqu’ils ont accepté mes absences aux offices, aux repas, mon planning variant et incertain, mes horaires inappropriés à la vie commune, mon manque de présence pour les tâches communes. Et ces petits sacrifices qu’ils faisaient, ils n’en voyaient pas les fruits directement. Les patients aussi ont dû accepter mes maladresses (essayez donc de raser quelqu’un d’autre !). Et j’ai appris de belles choses de cette expérience, j’ai découvert comment le Seigneur touchait les hommes par leurs frères. J’ai aussi acquis la certitude que j’étais bien fait pour être prêtre et qu’aide-soignant ne pouvait être qu’une parenthèse, une exception circonstanciée dans ma vie. La fraternité n’est donc pas le fruit d’un seul, elle est une œuvre collective. C’est le don de soi de chacun qui permet de faire grandir la fraternité entre tous. Mais c’est à celui qui est le plus fort de faire le premier pas vers le plus fragile. Nous avons tous nos fragilités. Mais tous nous avons aussi nos forces, ces qualités, ces talents que Dieu a mis en nous et qu’il serait criminel de mettre au placard, car alors, ce sont tous nos frères qui en pâtiront. Allons donc chacun vers l’autre, non pas comme un ennemi, mais comme un frère. Un frère sûr de ce qu’il apporte et certain qu’il va recevoir ce qui lui manque.
Dieu n’est pas venu sauver quelques-uns, le Christ est venu sauver tous les Hommes ! Nous sommes donc frères parce que nous partageons un seul salut. Nous sommes frères parce que guidés par un seul et même Esprit, nous sommes des grâces de Dieu les uns pour les autres.
Le temps de crise, qui me confronte à mes limites, devient alors le temps de la fraternité, qui m’ouvre à l’espérance : mes limites sont appelées à être dépassées, en Dieu et par l’intermédiaire de mes frères.