31 mai 2024
La compétition pourrait-elle trouver une place dans notre vie chrétienne ? La rivalité, la comparaison ou le rapport de force permanent qui la caractérisent ne la disqualifient-elle pas d’avance ? La montée solitaire en haut du podium ne serait-elle pas, à elle-même, l’antithèse de la célèbre phrase de Jésus : « Les premiers seront les derniers » ? Qu’y a-t-il à sauver de l’esprit de compétition qui semble d’avance avoir perdu le match ?
Pourtant le chrétien est profondément un gagnant dans l’âme. « Grâce soit rendue à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ ! » (1 Co 15, 57) « Nous sommes les grands vainqueurs » répète saint Paul (Rm 8,37). Le terme de victoire se retrouve en de nombreuses occurrences dans le Nouveau Testament qui nous montre que le Christ veut nous emmener vers la victoire : « Vous aurez des tribulations dans le monde ; mais prenez courage, j’ai vaincu le monde. » (Jn 16,33) La notion de combat est elle aussi très présente, le Christ ne nous sauve pas sans nous, et nous savons que le travail des vertus chrétiennes est une lutte quotidienne. « Tous les athlètes à l’entraînement s’imposent une discipline sévère, écrit saint Paul, ils le font pour recevoir une couronne de laurier qui va se faner, et nous, pour une couronne qui ne se fane pas. » (1 Co 9, 25). Et tout le livre de l’Apocalypse nous présente la vie chrétienne comme un long combat où nous sommes vainqueurs par le sang de l’Agneau. La compétition, inhérente à la condition humaine, pourrait-elle finalement être revêtue d’une âme chrétienne ?
Lorsque Jean et son frère Jacques demandent à Jésus les premières places dans son Royaume, Jésus ne leur reproche pas leur audace, il souligne simplement qu’ils ne savent pas ce qu’ils demandent, ce que ça implique de désirer la première place. Et lorsque les apôtres s’indignent de la question des fils de Zébédée, là, Jésus les rabroue tous et leur explique : « Vous le savez : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mt 20, 25-28). Il y a là la clé de l’esprit chrétien de la compétition. De même que Jésus conçoit son sacrifice comme un service pour la multitude, la recherche de la première place, selon le regard de Dieu, doit avoir cette dimension fondamentale de service. Ainsi, lorsqu’on s’engage dans une compétition, on doit se demander : « qui est-ce que je sers ?»
On peut courir le 100m pour son propre égo, on peut le courir pour rendre gloire à Dieu de ses dons. On peut se battre en politique pour se faire un nom, ou pour servir le bien commun. On peut vouloir faire de son entreprise un leader mondial pour sa fortune personnelle, ou pour faire avancer tout un pays. Être chrétien nous engage à donner le meilleur de nous-même pour une croissance du Corps tout entier. La compétition retrouve ainsi son sens étymologique : competere (cum-petere), qui signifie chercher à atteindre ensemble un même point. La rivalité cède alors la place à la cohésion. Je peux monter en haut du podium en rabaissant les autres, mais je n’aurai pas grandi d’un yota, ou bien je peux tirer vers le haut toute une discipline.
La compétition est aussi un très beau levier d’éducation à la vertu et devient par conséquent un lieu de constante recherche d’équilibre. Elle n’aura jamais sa finalité en elle-même, ni encore moins en nous-même, mais si c’est bien la victoire du Christ qui est visée et que l’on fait fructifier ses dons, n’ayons pas peur de partir à l’entrainement. Elle active des mécanismes bien humains qui seront toujours à évangéliser davantage, gardons à nos lèvres les paroles du psalmiste : « Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom, donne la gloire, pour ton amour et ta vérité. » (Ps 113B). Le Seigneur n’a pas craint de déposer en l’homme ce désir de gagner et de se donner, concourons avec Lui pour que la compétition retrouve son âme chrétienne : au service de la croissance du Corps tout entier, finalisée par la Gloire de Dieu et le Salut du monde, au moyen de la fructification de ses propres dons.