Et parce qu’Il est le maître-d’œuvre, l’artisan de toutes ces choses, parce que, comme nous l’avons prié dans la Collecte : « tout est fondé en Lui », alors toute chose atteindra sa perfection en Lui. D’où la précision de saint Paul aux Éphésiens : « …lorsque tout le monde sera récapitulé sous un seul chef, le Christ… »
Pour qu’un tel achèvement soit possible l’édifice doit être construit sur la fondation pensée, dessinée, posée par l’architecte, le Christ. D’où cette insistance de l’apôtre Pierre lorsqu’il parle de l’édification du Temple qu’est l’Église, dont nous sommes les pierres vivantes, sur le fait qu’il n’y a qu’une pierre angulaire, qu’une fondation, Jésus-Christ.
« Avant la fondation du monde nous avons déjà été élus en Lui. »
Quelle est la caractéristique foncière de ce Royaume, qui n’est pas du monde et s’enracine en Dieu dans le fait créateur et rassembleur ?
Notons tout de suite que ce Royaume est à l’intérieur de la créature et en particulier à l’intérieur de ce qui est la fine fleur de la création : l’homme. Nous nous arrêtons toujours à l’aspect extérieur. Si Dieu seul, dit l’Écriture, juge ce qu’il y a dans les reins et le cœur, c’est qu’effectivement, c’est dans le cœur de l’homme que se situe l’essentiel de la création.
Si le Royaume est l’épanchement de Dieu qui vivifie par l’Esprit le monde en création, alors le Royaume est Amour, puisque la vie de Dieu c’est l’Amour ! Donc la création n’est pas seulement ce que je vois, c’est ce qui préside à ce que je vois.
Préside parce que c’est Dieu, et cela rappelle donc que le monde est de toute éternité ; parce que, je viens de le souligner, avant que le monde soit, le Verbe est là pour le créer. Saint Paul dira : « Avant la fondation du monde nous avons déjà été élus en Lui. »
L’amour de Dieu ne se reprend pas !
Mais le monde est aussi pour toute l’éternité parce qu’il est porté par l’Amour de Dieu et porteur de l’Amour de Dieu et, en quelque sorte, dans le monde réside cet Amour, surtout en l’homme qui est à l’image de Dieu.
L’Amour de Dieu n’a pas de fin. Cela montre bien que le monde est pour l’éternité. Je ne dis pas éternel, mais pour l’éternité.
Souvenons-nous des paroles de Jean décrivant Jésus à la Cène, peu de temps avant l’interrogatoire de Pilate : « Lui qui avait aimé ses disciples, Il les aima jusqu’au bout. » ; comme pour nous rappeler en cet instant solennel que l’amour de Dieu ne se reprend pas, n’a pas de fin. C’est d’ailleurs en nous, nous les hommes, une caractéristique en même temps qu’un désir : que l’amour que nous portons à un ami, à notre époux, à notre épouse, à nos enfants, ne finisse jamais. D’où notre espérance dans l’Au-delà !
Cette domination éternelle dont parle Daniel en parlant du Fils de l’homme : « Sa domination sera éternelle », ne s’expliquera parfaitement que par cette résidence de l’Amour de Dieu dans les choses et parce que ce Royaume de Dieu étant un Royaume d’Amour, il n’a donc pas de fin !
« Vous m’appelez Seigneur et vous dites bien parce que je le suis ».
Après le lavement des pieds qui représente et préfigure l’acte d’amour de la Croix, le plus sublime de l’Évangile, Jésus dit pour l’expliquer : « Vous m’appelez Seigneur et vous dites bien car je le suis ». Ainsi, à cet instant où Il manifeste en plénitude l’Amour de Dieu, Il précise Sa royauté : « Vous m’appelez Seigneur et vous dites bien parce que je le suis ». Dans ce lavement des pieds donc nous trouvons la justification de l’éternité de Son Royaume par l’éternité de Son Amour !
Et saint Pierre nous le rappelle : « C’est un exemple qu’Il nous donne pour que nous fassions de même » !
Et pour que nous devenions, nous dit la Lecture de l’Apocalypse : « pour que nous devenions nous-mêmes royaume » ! Cette expression est fort belle, profonde, extrêmement riche. Il ne s’agit pas pour nous chrétiens, d’appartenir au Royaume, de vouloir absolument prendre la carte du parti catholique et de bien faire attention chaque année à verser le denier du culte pour être en règle avec notre parti de l’Église, le parti du Pape, le parti des bien-pensants, le parti des bons moralistes ! Non !
Il ne s’agit pas seulement d’appartenir au Royaume, il s’agit de devenir Royaume ! Devenir Royaume c’est à dire épanchement d’amour, à l’image du Royaume du Christ, à l’image du Christ Lui-même…
« De ceux que Tu m’as donnés, Père, je n’en ai perdu aucun »
Si nous sommes appelés par cette contagion du feu d’amour présent en Jésus à devenir Royaume, nous devons savoir que cette royauté du Christ et notre royauté sont inséparables, justement, par définition, de notre vie amoureuse par et en l’Esprit : la vie amoureuse de notre Baptême, à l’image de la vie amoureuse du Christ qui est passionnément amoureux de Son Père et amoureux des hommes !
Nous ne serons Royaume que si nous vivons effectivement cette vie amoureuse, cette passion de Dieu qui fut la passion de Jésus : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père » ; cette passion des hommes qui fut, elle aussi, la passion de Jésus : « De ceux que Tu m’as donnés, Père, je n’en ai perdu aucun. »
Cette passion amoureuse du Christ pour le Père et pour les hommes va le mener à la Croix, c’est à dire à la mort de Lui-même, à l’humilité extrême, à la pauvreté, au dénuement. Par amour…
Le récit de la vie du Sauveur nous explique que pour être Royaume, il nous faut d’abord bouleverser notre manière de penser comme le disait Jésus : « Les grands de ce monde se font servir, qu’il en soit le contraire chez vous. Que celui qui veut être le premier se fasse serviteur de tous. »
« Salut roi des Juifs ! »
Oui ! Pour être Royaume il faut être tout à l’envers ! Il faut penser autrement ; il faut retourner notre âme, notre cœur, les mettre dans le sens des Béatitudes et de cette joie des pauvres, des persécutés, des affamés, des cœurs purs… Ensuite, entrés dans cette pauvreté de Jésus, cette royauté du pauvre, il nous faut accepter, et c’est là peut-être la croix la plus dure, d’être objet de dérision : « Salut roi des Juifs ! »
Sommes-nous prêts à recevoir cette dérision du monde qui nous traite comme de bonnes poires, des naïfs, des nunuches ou des neuneus parce que notre Évangile nous demande de tendre l’autre joue, de donner le manteau quand on ne nous demande que la veste, de faire deux mille pas quand on nous en demande mille » ?
Lorsque nous écoutons ce dialogue de Pilate avec Jésus sur Sa royauté, il faut aller jusqu’au bout : « Salut roi des Juifs ! », ce n’est pas seulement la dérision d’un soldat romain qui aurait trop bu ; c’est la dérision à laquelle le vrai chrétien est confronté quotidiennement.
Voilà ce qu’on pourrait dire sur ce Royaume que Jésus présente à Pilate sentencieusement et à demi-mot, à moitié ironique et à moitié dramatique.
« Bienheureux serez-vous si, sachant cela, vous le faites. »
Pour conclure je rappelle juste la dernière des Béatitudes que Jésus a laissées en héritage à Ses disciples. Les huit Béatitudes nous les avons au début de Sa vie, dans le discours sur la montagne au chapitre V de Matthieu.
Mais il y en a une dernière : celle-là même qui conclut le lavement des pieds et qui précède le dialogue avec Pilate. Jésus, après avoir lavé les pieds de Ses disciples dit : « Bienheureux serez-vous si sachant cela (sachant le commandement de l’amour que je vous ai donné) vous le faites ». Il nous promet donc que, si nous acceptons de marcher dans cette voie qui est la Sienne, qui est voie de pauvreté, alors nous vivrons éternellement avec Lui, comme nous le prierons dans la Postcommunion : « Nous vivrons éternellement avec Lui. »
Nos vies sont finalisées par ce Royaume de Dieu partagé et elles le sont, non pas parce que nous l’avons imaginé, mais parce que c’est là le projet de Dieu : « Là où je suis, là aussi sera mon serviteur. » C’est la grâce que nous nous souhaitons.