Assises 2020 : comment annoncer l’Evangile en période de crise ?
Vendredi 20 novembre 2020
Les prêtres de la Communauté Saint-Martin se sont réunis en Assises « virtuelles » du 16 au 18/11, confinement oblige. Malgré la distance, le programme a été maintenu, entre conférences, points de situation et ateliers. Cette année, Jean-Pierre Denis, ancien directeur de l’hebdomadaire La Vie et actuel directeur du développement éditorial chez Bayard, est intervenu pour évoquer la question de l’annonce de l’Evangile dans un contexte sanitaire et social particulier. Rencontre.
Quel était l’objet de votre intervention à tous les membres de la Communauté Saint-Martin ?
Don Paul Préaux, que j’ai eu l’occasion de rencontrer à plusieurs reprises lorsque j’étais directeur de La Vie, mais aussi en tant qu’organisateur des Etats généraux du christianisme où je l’avais invité à intervenir, m’avait demandé de parler d’un sujet qui me préoccupe toujours plus, à savoir l’annonce de l’Evangile, dans le contexte nouveau de l’épidémie que nous subissons. La thématique m’a semblé d’autant plus délicate que, comme catholiques, nous voyons se multiplier les événements traumatiques : le Covid19, bien sûr, le terrorisme, évidemment, mais aussi une certaine hostilité aux religions et, à l’intérieur de l’Eglise, les abus sexuels. Devant cette fragilisation générale, il nous faut redécouvrir notre humanité, insister sur le commun, et non sur ce qui divise. Plus nous nous sentons isolés, séparés les uns des autres, brisés même, plus nous avons besoin de faire corps.
En tant qu’observateur du paysage religieux en France depuis plusieurs années, comment analysez-vous le positionnement de la Communauté Saint-Martin dans ce contexte de crise ?
Il me semble que ce qui fait le point fort de la communauté Saint-Martin aujourd’hui, c’est justement la vie communautaire et le modèle de petites fraternités de prêtres qu’elle propose. Il est peut-être plus facile à envisager pour beaucoup de jeunes que le modèle diocésain du prêtre rural vivant seul dans son presbytère. Il est certain que ce modèle-là, qui n’est d’ailleurs pas nouveau dans l’histoire de l’Eglise, trouve un véritable écho aujourd’hui. Par ailleurs, une caractéristique de Saint-Martin me semble être son caractère « rétrolutionnaire ». J’emploie ici un mot qui a été utilisé dans le monde de l’automobile pour désigner de modèles de voitures anciennes, comme la Coccinelle, la Mini ou la DS, qui sont revisitées en conservant un habillement rétro mais en injectant sous le capot un équipement dernier cri. C’est en somme un mode d’être soi assez post-moderne, qui peut attirer ou rassurer le grand public, avec le risque aussi soit de faire sourire, soit de susciter des réactions négatives. Ce format me semble parfois perçu plus positivement en dehors de l’Eglise, en particulier dans les médias, qu’à l’intérieur même du monde catholique. Voir des curés en soutane qui jouent au foot, ça passe très bien à la télé, pas toujours dans le microcosme. De ce point de vue, je dirais qu’en termes d’évangélisation cela se défend, tandis qu’au regard de la sensibilité dominante du catholicisme cela détone.
Comment parvenir à maintenir un juste équilibre entre la Communauté Saint-Martin et l’Eglise de France, malgré ces craintes ?
La disproportion entre les vocations dans la CSM et celles que l’on constate dans certains séminaires diocésains est de plus en plus spectaculaire. D’un côté, elle est positive. Elle permet à des jeunes de trouver des lieux d’éclosion de leur vocation, qui leur correspondent et qui répondent à l’esprit du temps. Mais elle crée une forme de déséquilibre, et peut-être demain un rapport de force qui risque de devenir encombrant, y compris pour la communauté elle-même. L’Eglise en France n’est pas la Communauté Saint-Martin et, inversement, la sensibilité de la CSM n’est pas celle de l’ensemble des catholiques de ce pays. Gérer cela n’a rien d’évident. Ce qu’il faut gérer, c’est plutôt un déséquilibre.
Qu’est-ce que l’une et l’autre peuvent s’apporter ?
Ce que la Communauté Saint-Martin peut apporter, c’est son dynamisme, son énergie, son élan qui me semble vouloir aller vers tous les milieux, cet enthousiasme des commencements ou recommencements. Ce que l’Eglise peut lui apporter, c’est une forme de sagesse péniblement acquise au fil des crises. Le bilan des décennies que nous venons de traverser et qui ont laissé énormément de traces négatives nous incite tous à la prudence, à la vigilance, au rejet du triomphalisme. Nous avons besoin d’instances critiques indépendantes. Mais, pour terminer sur le positif, ce que je perçois de la Communauté Saint-Martin, c’est aussi, sur la forme, cette grande joie de vivre, cette énergie juvénile qui caractérise ses membres, avec une ouverture d’esprit croissante. Et, sur le fond, ce qui me semble le plus important, j’allais dire la seule chose qui compte : un élan attestataire, apostolique, missionnaire, que je trouve stimulant pour tout le monde. Il y a encore des ouvriers pour la moisson !