Trop souvent réduits à des visages joufflus qui peuplent les retables baroques de nos églises (je me souviens en avoir compté plus de 60 dans la splendide église de Saint Jean-de-Luz) , ou à des enfants dodus et ailés qui atteignent d’une flèche les cœurs amoureux, il faut bien le dire : les anges n’ont généralement pas la place qu’ils méritent dans notre spiritualité. Tout juste se souvient-on que nous avons un ange gardien lorsque nous cherchons une place de parking, et qu’il est commode de conseiller à un petit enfant de prier son ange gardien lorsqu’il a peur le soir, plutôt que de déranger ses parents qui profitent du repos que leur chérubin leur accorde quand il daigne dormir.
Alors ? Est-ce que les anges sont « l’hypothèse inutile » de notre foi chrétienne ? Peut-on s’en passer ? Est-il souhaitable de s’en passer ?
Les anges sont omniprésents dans la révélation chrétienne. Retirez de votre bible chaque page qui en fait mention, et il ne resterait entre vos mains qu’un maigre livret de quelques dizaines de pages. Les anges font partie de la révélation, et à ce titre, ils font partie de l’histoire du Salut, dans lequel ils jouent un rôle prépondérant. Ils sont les anges-à-tout-faire du Bon Dieu, les anges-orchestres du Tout-Puissant. Dès la chute originelle, l’un d’entre eux (reconnu par certains comme Saint Michel) est chargé de garder la porte du Paradis. Les patriarches (Abraham, Jacob…) les rencontrent régulièrement, toujours à des moments décisifs. Les prophètes les contemplent dans leurs visions (Isaïe, Daniel, Ezechiel…) ou reçoivent d’eux leurs instructions (Elie, Jérémie…). Les justes, comme Tobie, font l’expérience de leur proximité. Cette action des anges se poursuit avec l’avènement du Christ, et on peut même dire qu’elle s’accélère : l’Annonciation, les songes de Joseph, la Nativité, les tentations au désert, l’agonie de Gethsémanie, la résurrection. L’Eglise naissante elle aussi bénéficie des secours angéliques : ils guident Philippe dans sa mission, sortent Pierre de sa prison et réconfortent Paul.
Au vu de cette hyperactivité angélique qui traverse toute la révélation, comment croire que les anges ne prennent autant soin de nous, chrétiens du XXIème siècle ? Seraient-ils partis en vacances sur leurs nuages de coton? Seraient-ils épuisés par leur glorieux passé ? Ne serions-nous pas – plus vraisemblablement – responsables de leur apparent silence ?
Basile de Césarée (IVème siècle) propose de voir les anges comme des êtres créés « à l’image de l’Esprit-Saint ». Si l’on suit cette hypothèse, l’activité des anges, dans ses modalités et son style, est comparable à celle de l’Esprit-Saint. L’Esprit-Saint agit parfois dans le tumulte de la Pentecôte, mais le plus ordinairement dans le silence des profondeurs du cœur. Il ne faut donc pas demander aux anges de se manifester bruyamment dans nos vies, mais plutôt nous disposer à leur action discrète qui consiste à ouvrir notre cœur à l’amour bienveillant de Dieu, nous protéger des attaques de l’Adversaire, nous orienter au milieu des ténèbres qui emplissent parfois nos cœurs, et nous encourager dans le combat spirituel. Nous ne voyons pas l’action des anges pour la même raison qu’on ne voit pas le bout de son nez : notre cerveau efface l’image de ce que nos yeux voient pourtant. D’un façon comparable, les anges nous sont si proches que nous ne discernons pas leurs traces.
Dieu a fait cette promesse a Moïse : « Je vais envoyer un ange devant toi pour te garder en chemin et te faire parvenir au lieu que je t’ai préparé. Respecte sa présence, écoute sa voix. Ne lui résiste pas : il ne te pardonnerait pas ta révolte, car mon nom est en lui. Mais si tu écoutes parfaitement sa voix, si tu fais tout ce que je dirai, je serai l’ennemi de tes ennemis, et l’adversaire de tes adversaires. »
Ne doutons pas que cette promesse s’adresse à chacun de nous : les anges nous gardent et veulent nous faire parvenir au lieu que Dieu nous a préparé. Respectons leur présence, et écoutons leur voix. Alors nous saurons, plus que nous ne verrons, que les anges agissent puissamment dans notre vie.
Don Pierre Doat, recteur du Mont-Saint-Michel