Entretien avec le cardinal Ambongo
27 novembre 2023
27 novembre 2023
Quelles sont les joies et les enjeux de l’Église d’Afrique ?
L’Église d’Afrique est jeune parce que la société est jeune, remplie d’enfants ! Les célébrations eucharistiques sont véritablement des fêtes où les fidèles viennent de bon cœur et ne comptent pas leur temps. Même si c’est une Église qui n’est pas autonome sur le plan matériel puisqu’elle évolue au sein d’une société où règne la misère, les fidèles sont joyeux, ils s’accrochent à la vie.
Beaucoup de joie donc, mais aussi beaucoup de souffrance, liée aux conditions des pays : la misère, les conflits, les calamités… Un autre défi important est la multiplication de « nouvelles églises », des sectes sans doctrines, souvent liées au pouvoir public, et qui promettent un bonheur immédiat sans la croix du Christ.
Qu’est-ce que le conseil des cardinaux (C7) dont vous faites partie ?
C’est un conseil lié à la personne du pape : il nous a nommés et il soumet à notre évaluation certains thèmes, pour l’accompagner dans sa mission de réformer l’Église. Nous sommes ses conseillers : nous délibérons et le pape nous écoute beaucoup. Il veut savoir comment un même thème résonne en Afrique, en Europe, en Amérique du Nord, du Sud, en Asie… c’est une expérience de l’Église universelle qui est essentielle car parfois, en Europe, on pense que l’Église est en train de mourir, mais ce n’est pas vrai ! Ailleurs, il y a du dynamisme. Et ce sont peut-être ces Églises qui viendront ensuite apporter un souffle nouveau à l’Église d’occident.
Comment les chrétiens peuvent-ils s’engager encore aujourd’hui dans le synode ?
La première phase du synode a produit deux documents : la « Lettre à tous les fidèles » et le rapport-synthèse. Le but de ces deux documents est de retourner le dossier à ceux qui avaient commencé ce processus dans les paroisses. On leur dit : « Voilà ce qui a été fait à tous les niveaux, et pour telle question que vous aviez posée, voilà les convergences, voilà les questions restées ouvertures… » Le même qui avait suivi le processus au départ doit maintenant lire le rapport, s’engager à en travailler les thèmes, et faire remonter ses analyses à Rome. Les forces vives de l’Église doivent traiter les questions qui les concernent. Le destinataire final de tous ces documents est le pape, qui avec toutes ces analyses, rédigera finalement l’exhortation post-synodale.
Comment faire pour que cette perspective synodale soit l’objet d’une véritable espérance ?
C’est le rôle de ceux qui ont fait l’expérience de la synodalité que d’aller convaincre les autres de la justesse de cette expérience. Le rôle des prêtres est capital ici : ils devront expliquer, convaincre les fidèles de la justesse de cet esprit synodal.
Comment définissez-vous l’esprit de synodalité ?
L’esprit de synodalité, c’est le retour à la première communauté de Jérusalem. On a l’impression que dans cette communauté, on était plus à l’écoute de l’Esprit-Saint qu’aujourd’hui : quand un problème se posait, ils se mettaient ensemble, priaient, et ensuite arrivaient ensemble à la solution, sous l’influx de l’Esprit. La synodalité, c’est le retour à cette pratique grâce à la conversation dans l’Esprit, qui est la méthode adoptée dans la première session : quand un autre parle, laisser un temps de silence pour que cela résonne dans mon cœur, et ensuite chercher ce que me dit l’Esprit-Saint pour, ensemble, trouver sa volonté.
En faisant cela, on ne peut laisser personne au bord du chemin, parce que chaque personne est créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. Jésus allait vers les autres, les pécheurs, sans dire que ce qu’ils faisaient était bon. Mais après, ils changeaient souvent de vie et suivaient Jésus…
L’Église ne peut pas fuir quelqu’un sous prétexte qu’il ne mène pas une vie morale.
Avec votre regard continental et universel, comment envisagez-vous les chemins d’évangélisation pour l’occident déchristianisé ?
L’avenir de l’Église en occident passe par l’expérience de la synodalité. Si l’Église d’occident veut se sauver, elle ne doit pas s’enfermer dans un confort, un élitisme, mais oser aller vers les autres, tout en gardant son identité.
C’est la peur de l’autre qui fait fermer les fenêtres : la peur de se faire contaminer par ce qu’on voit de négatif chez l’autre. Jésus a brisé cela en osant aller vers les autres : il mange avec les pécheurs, il embrasse les lépreux, il appelle le publicain. Nous avons tendance à oublier cela en ne visitant que ceux qui sont comme nous.
Pensez-vous qu’il soit plus difficile pour l’Église occidentale d’accueillir la synodalité ?
C’est mélangé ! Beaucoup sont enthousiastes, mais certains croient que la synodalité va détruire l’Église. Non ! La synodalité est un esprit d’ouverture, mais qui ne renonce en rien à son identité propre. On n’a pas besoin de dire que ce que l’autre fait est bon pour l’accueillir. Sans juger l’autre, en l’accueillant et par ma manière de faire, je peux pousser sa conscience à lui parler.
Quel regard portez-vous sur la Communauté Saint-Martin ?
La particularité que vous avez est que vous êtes des prêtres à la disposition de l’Église universelle. Cela vous donne une ouverture d’esprit sur la dimension universelle de l’Église. En venant ici, je suis émerveillé, surtout en France où l’on raconte partout que les églises, les séminaires sont vides… C’est une très belle expérience pour moi.
Une des particularités de la CSM est la vie commune des prêtres. Selon vous, est-ce un enjeu pour l’Église universelle ?
Ça devrait l’être ! Dans mon archidiocèse de Kinshasa, aucun prêtre ne vit seul. La communauté nous protège, elle est un soutien. Un prêtre qui vit seul dans une paroisse est fragile. Votre modèle devrait être le modèle synodal à proposer aux prêtres : tout prêtre dans l’Église synodale doit vivre en communauté. Il y a une joie à vivre avec les autres, à partager avec eux les expériences de sa journée… La solitude au contraire empêche de partager et rend amer. La vie commune est une belle expérience à proposer aux autres, et on voit bien que c’est une réalité qui attire les jeunes.
Qu’est-ce qui nourrit votre spiritualité sacerdotale ?
L’important, pour la vie spirituelle du prêtre, est la prise de conscience que lui, prêtre, n’est pas un fonctionnaire. Je le constate pour moi : tout le monde veut prendre des photos avec le cardinal… Mais retiens que tu n’es pas un fonctionnaire, pas là pour les honneurs ! Ce qui fait que tu es prêtre, c’est que Dieu te connaît, c’est lui qui t’a fait confiance, t’a choisi, au-delà de tes qualités et de tes défauts. La vie sacerdotale est essentiellement un acte de confiance qui vient de Dieu : Dieu m’a fait confiance. Et si Dieu, tout Dieu qu’il est, me fait confiance, je dois à mon tour lui faire confiance en essayant le mieux possible de mériter sa confiance, et en sachant que je n’y arriverai jamais. Mais ce qui relève de moi, je dois le faire ; le reste, c’est la grâce de Dieu qui complète mon incompétence.
Cela signifie qu’à chaque instant de ma vie, je dois être dans une intimité avec Dieu par la prière. Un prêtre qui ne soigne pas cette partie de sa vie où il est seul-à-seul avec Dieu risque d’être emporté par les affaires du monde. Il faut laisser Dieu parler à ton cœur, sentir la résonnance de ce qu’il te dit : généralement, ça t’oblige à t’améliorer.