« Je connais mes brebis »
La caractéristique de la foi c’est ce décentrage de moi sur l’autre. Quand Jésus dit : « Je connais mes brebis », c’est cela qu’Il exprime. « Je connais mes brebis », je les connais c’est à dire je les fais naître à Moi : con-naître, c’est ‘naître avec’. Je connais Mes brebis, je les fais naître, Je leur donne une existence nouvelle qui n’est plus définie par rapport à leur vie mais qui est définie par rapport à Ma vie à Moi Pasteur, Sauveur qui regarde l’homme qui est en face de Moi et qui est Ma brebis.
La foi c’est accepter cette renaissance à l’autre. Lorsque je donne ma confiance, lorsque je donne mon adhésion effectivement, je sors de moi-même. C’est pour ça que la véritable foi se traduit, se poursuit et s’achève en charité. C’est un sortir de soi.
Donc la foi au Christ, l’adhésion c’est accepter de renaître. Jésus le dit à Nicodème : « Celui qui ne renaît pas de l’Esprit ne peut pas rentrer dans le Royaume » ; c’est celui qui n’accepte pas d’être redéfini, repositionné, celui qui n’accepte pas d’appartenir au regard que Je porte sur lui, celui qui reste lui-même et qui n’accepte pas de devenir Mien.
Ce regard que le Christ porte sur l’homme est pour l’inciter à donner une réponse, à accepter cette ouverture, à accepter cette appartenance. « Dieu nous a aimés le premier » dit saint Jean. Toutes les épîtres de l’évangéliste, que nous écoutons pendant ce temps pascal, tournent autour de ce thème de l’adhésion de l’homme à Dieu provoquée par le don de Dieu.
Accepter de renaître à Dieu, de se dévoiler à Lui, de se mettre à nu…
Ce regard que le Christ porte sur moi et qu’Il va me demander d’accepter, ce n’est pas un regard qui est facile à recevoir. En effet le Christ me demande de me dévoiler à Lui tel que je suis pour qu’Il puisse Se donner à moi tel qu’Il est. Le Christ me demande de sortir de mon camouflage, ce camouflage que je fais à moi-même, comme aux autres, et même que je fais face à Dieu ! J’ai du mal à entrer en moi-même pour me regarder et m’accepter tel que je suis c’est à dire finalement accepter ce regard de Dieu sur moi.
C’est cette relation que le Christ Pasteur veut établir avec Sa brebis : « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. » Lui-même d’abord entre dans cette relation en Se dévoilant tel qu’Il est. Il se dévoile tel qu’Il est dans Sa fonction de Sauveur, dans Sa nature divine : « Je suis… », « Je suis la lumière… », « Je suis la vie… », « Celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres. » Il se dévoile tel qu’Il est pour que nous nous donnions à Lui tels que nous sommes. Et Il désire que nous nous dévoilions à Lui tel que nous sommes pour qu’Il se donne à nous tel qu’Il est !
Revenons à la relation amicale ou à la relation conjugale : c’est la définition même de l’amour, de l’amitié. Me donner à l’autre tel que je suis, accepter ce regard de l’autre sur moi de manière à ce que l’autre puisse se donner à moi tel qu’il est.
Ce n’est pas facile parce que nous avons nos faiblesses, ces misères qui sont des obstacles : nous ne voulons pas être dévoilés tels que nous sommes et nous n’acceptons pas que l’autre se donne à nous tel qu’il est ! Nous fabriquons l’autre, nous fabriquons notre enfant, nous fabriquons notre époux, nous fabriquons notre femme, nous fabriquons notre ami, nous l’inventons, nous l’idéalisons !
De même nous nous idéalisons face à lui. Nous ne voulons pas entrer dans cette relation de véritable confiance ou, plus exactement, nous avons du mal à entrer dans cette relation de véritable confiance, de dépouillement, de dévoilement, nous avons du mal à nous dénuder. Et pourtant c’est cela que le Christ demande !
La foi, c’est accepter que pour Dieu, un homme vaille Son Fils !
Nous voyons comme l’adhésion de la foi est quelque chose de profond !
Bien sûr qu’elle dépend de moi ! C’est une adhésion personnelle, mais elle est provoquée par Dieu qui me demande de me dévoiler à Lui tel que je suis pour qu’Il puisse se donner à moi tel qu’Il est…
Finalement cela aboutit à quoi ? Cela aboutit à cette disproportion représentée par la phrase du Christ, le Pasteur : « Le vrai Pasteur donne sa vie pour ses brebis. » C’est ridicule ! Vous ne verrez jamais un berger donner sa vie pour un mouton ! C’est cela pourtant qui exprime la démesure de l’acte de Dieu. C’est déjà assez fou de penser qu’un homme puisse donner sa vie pour un mouton ; il est encore plus insensé, plus fou, pour reprendre l’expression de Paul, de penser que Dieu puisse donner Sa vie pour un homme !
Et pourtant c’est cette relation dans laquelle le Christ veut nous faire entrer ! La foi c’est cela : c’est accepter que Dieu porte sur moi le regard qui me dévoile dans ma vérité de pécheur, de misérable, de pauvre, de malade, pour qu’Il puisse, Lui, Se donner tel qu’Il est dans l’infinité de Son Amour, dans l’infinité de Sa miséricorde et de Sa tendresse !
C’est accepter cette disproportion entre ma misère de brebis et la grandeur du Pasteur qui donne Sa vie pour moi sans qu’il n’y ait aucunement de ma part un quelconque mérite qui puisse justifier le don de la Vie de Dieu. Jésus le dit et le répète. Il insiste à la fin de notre passage d’Évangile : « Ma vie nul ne la prend » : ce ne sont pas mes mérites, ce ne sont pas mes qualités, ce ne sont pas mes vertus qui peuvent justifier, ne serait-ce qu’un quart de seconde, le fait que le Christ soit mort pour moi !
« Ma vie, nul ne la prend c’est moi qui la donne »
C’est ta misère que Je te demande de dévoiler à Mon regard, ce regard que J’ai, Moi ton Créateur qui te connais parfaitement et de toute éternité.
Le Christ me demande d’accepter ce regard qu’Il veut poser sur moi comme Il a posé Son regard sur Madeleine, sur Zachée, sur Pierre en sortant de chez le Grand-Prêtre, sur tous ces inconnus ou ces grands de l’Évangile. Comme il devait être extraordinaire ce regard de Jésus ! Ce regard non pas scrutateur, mais ce regard profond, ce regard qui dévoile… Jésus me demande d’accepter ce regard pour qu’Il puisse Se donner, pour qu’Il puisse Se livrer par Amour pour moi, pécheur… Il me demande de renaître au regard miséricordieux qu’Il porte sur moi.
Il me demande de renaître à une nouvelle existence qui n’est plus une existence personnelle, mais qui est une existence relationnée à Lui, à Sa tendresse, à Son désir de m’aimer, à Son désir de me construire, à Son désir de me donner Sa sainteté d’Amour !
Voilà une petite exégèse du discours de Jean pour bien nous situer par rapport à la foi qui, tout en étant un acte personnel, est relative à l’Amour de Dieu qui nous demande d’entrer avec Lui dans une relation de confiance, en acceptant Son regard sauveur.
Saint Temps Pascal à chacun !