Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« TON CREATEUR T’EPOUSERA !… »

Lectio divina pour le 2ème Dimanche Ordinaire Année C
Is.62, 1-5 1Cor.12, 4-11 Jn.2, 1-11.

Nous entrons dans le Temps ordinaire qui n’est pas un temps d’ennui, d’habitude. Bien au contraire, c’est un temps de réflexion, de prise de conscience, de mise en application. Comme après un événement fort de notre vie où nous faisons le point de ce que nous venons de vivre, intérieurement ou en faisant un album de photos, en en faisant une synthèse personnelle ou en groupe, en famille.

Le temps ordinaire est là jusqu’au Carême, après les fastes de Noël pour nous permettre tranquillement de mettre à profit ce que nous avons vécu, ce que nous avons reçu pendant ces fêtes de Noël, de l’Epiphanie et du Baptême. Il est là pour mettre à profit ces grâces reçues, afin qu’elles émergent, qu’elles soient utiles, qu’elles soient efficaces lorsque nous avons à prendre une décision. Car nous prenons, au cours de nos journées, de multiples décisions, quelquefois des plus banales, d’autres fois plus fondamentales. Et les grâces sont données pour que ces décisions deviennent évangéliques, plus évangéliques qu’avant.

« Ma grâce te suffit… »

Nous avons malheureusement un sens de la grâce et de son efficacité quelque peu magique et donc réducteur. Nous pensons que le fait de se confesser ou de communier va nous transformer, je dirais de manière automatique, en celui que nous désirons devenir : un saint chrétien, un enfant de Dieu.

Et nous nous plaignons lorsque nous revenons à la Réconciliation, lorsque nous communions le dimanche suivant, lorsque nous recommençons une Année liturgique, nous nous plaignons de l’habitude qui nous fait retomber dans les mêmes faiblesses. Nous ne nous voyons pas suffisamment changer. Ce qui n’est que malheureusement trop vrai et ce, parce que nous pensons qu’effectivement la grâce agit toute seule.

« Sans moi vous ne pouvez rien faire ! »

Mais la grâce n’agit pas toute seule. La grâce d’une confession, la grâce d’une Eucharistie, la grâce d’un mystère comme celui de Noël que nous avons célébré, elle réside, elle reste en nous. Mais c’est au moment où le choix, -disons pour simplifier, entre le bien et le mal, ou entre deux biens- doit être fait par l’enfant de Dieu, que nous nous souvenons de notre nature, de nos tendances… Et parallèlement nous nous souvenons de l’appel vers la vertu, nous nous souvenons du mystère que nous avons célébré, nous nous souvenons de l’absolution donnée par le prêtre, nous nous souvenons de notre dernière communion liée à la dernière lecture de la Parole de Dieu…

C’est alors que nous pouvons et devons mettre en acte, rendre efficace et donc effective la grâce reçue pour ne pas retomber justement dans l’impatience, dans la colère, toutes ces faiblesses qui font notre lot quotidien et que nous désirons éradiquer de nos vies…

C’est lorsque, me souvenant de mon état de misère et me souvenant dans le même temps de ma vocation c’est à dire cet appel que Dieu me lance à aller plus loin et plus haut, je dis oui à cet appel, qu’à ce moment-là devient efficace ma dernière communion, ma dernière confession.

Alors, à la suite de nombreuses réflexions de ce genre, j’arrive peu à peu à remplacer l’habitude mauvaise par une habitude de force, c’est à dire de grâce, puisque la grâce de Dieu c’est la force de Dieu.

Dieu et l’homme ne feront tous les deux qu’une seule chair…

C’est pour cela que le Temps ordinaire qui suit Noël et nous fait entrer dans le ministère public de Jésus, commence par des évènements qui nous rattachent à l’Incarnation : pour bien souligner le lien qu’il y a entre le ministère public du Christ et Son Incarnation et donc le lien qu’il y a entre notre union au mystère de Sa naissance et de la Rédemption qui commence et la mise en pratique quotidienne de cette Rédemption acceptée et que l’on désire effectivement faire nôtre.

Ainsi, il y a huit jours, nous célébrions le Baptême du Christ et ce dimanche, le miracle de Cana fait le lien entre le sens de la Nativité et la vie chrétienne du disciple de Jésus qui va suivre son Maître à travers les trois ans de vie apostolique.

Car quel est le sens de Noël ? Le sens de Noël c’est les épousailles de Dieu avec l’humanité !

Lorsque nous retournons à la Genèse et que nous entendons Yahvé définir le mariage, cette institution naturelle, fondamentale dans la société humaine (non pas seulement dans nos sociétés occidentales, mais dans le monde de l’homme) Yahvé dit :

« L’homme quittera son père… » comme le Christ quitte son Père pour s’incarner… « et ils ne feront tous les deux, homme et femme, qu’une seule chair » comme Jésus s’incarnant dans l’humanité ne fait plus qu’un avec la chair de cette humanité.

Oui, l’Incarnation est la réalisation, mystique certes, mais optimale, parfaite de ces épousailles que Dieu décrit pour Eve et pour Adam !

« Pour que ma joie soit en vous… »

Et c’est sous cette lumière que Cana va se placer. C’est de ce mystère des noces entre Dieu et l’humanité, noces mystérieuses autant que joyeuses, que Cana, doublement, va être le signe.

D’abord, tout simplement, parce que cet épisode premier de la vie publique du Christ se déroule dans une atmosphère bien particulière que certains d’entre vous peut-être ont connu dans les campagnes, ces noces villageoises représentées par exemple par les tableaux des Flamands et nous montrant des rassemblements qui sont à la fois fête et liturgie s’étendant pendant des jours et des jours.

Donc c’est dans ce contexte joyeux, absolument festif, que Jésus va commencer Son ministère public et dans un lieu significatif, symbolique : Cana de Galilée, la Galilée étant le lieu de la Gentilité, au-delà de Jérusalem, la véritable capitale historique, politique et religieuse.

« Dieu a tant aimé le monde… »

Et donc à côté de Sion, la cité de David, il y a les villes qui sont, comme Cana en Galilée, carrefour de commerces, de transports, de caravanes, mais aussi de résidences comme celles construites par les Romains pour leurs autorités. Cana de Galilée est à la fois le village juif et le lieu plus international, universel, déjà en quelque sorte mondialisé. Donc ces noces de Cana en Galilée montrent que les épousailles de Dieu avec l’humanité ne concernent pas seulement le peuple élu mais tous les hommes de bonne volonté qui sont appelés à entrer dans ces noces.

« Celui qui me mange vivra par moi… »

Et puis, bien sûr, Cana évoque le mystérieux mariage de Dieu et de l’homme par le miracle de la transformation de l’eau en vin qui est la figure toute simple de l’Eucharistie, avant même son annonce théologique du Discours sur le Pain de Vie, et avant même que Jésus commence à enseigner qu’Il est Lui-même Pain de Vie.

Ce miracle de la transformation de l’eau en vin annonce l’Eucharistie du Jeudi Saint, jour anticipant, résumant et rendant éternel par le sacrement, le Sacrifice de la Croix.

Ainsi, à Cana, avons-nous présent en symbole, -un symbole extrêmement riche et significatif dans la culture juive de l’époque- : le vin comme l’aliment qui réjouit le cœur de l’homme, l’eau ensuite qui est l’élément purificateur, le passage enfin de l’un à l’autre comme le passage de l’ombre à la lumière, de l’inachevé à la plénitude…

Nous avons donc là présent en symbole, l’Acte unique par lequel Jésus va rendre l’humanité aimable (« Il l’a rendue sans ride, sans tache » dira saint Paul aux Ephésiens) et par lequel Il épouse cette même humanité purifiée.

C’est par la Croix que naît l’Eglise. C’est par la Croix que, de manière indéfectible, Dieu incarné se lie à l’humanité. Il suffit de faire son signe de croix, il suffit de s’engager sous la Croix, de se mettre dans l’ombre ou la lumière de la Croix, pour être sauvé ; il suffit de croire en Jésus crucifié pour entrer dans cette économie de salut.

« Tout le jour ton amour coule sur moi… »

Voilà donc que Cana à la suite de Noël -et à la suite du Baptême avec l’apparition de la colombe signe mystique de la fiancée, de l’Eglise- voilà que Cana nous explique quel type de relation Dieu veut avoir avec l’homme.

Cette relation est une relation d’alliance. Une alliance qui n’est pas une alliance diplomatique ! Qui ne se souvient pas dans notre histoire politique des alliances, des triples alliances, des renversements d’alliances… Abus peccamineux d’un mot éminemment divin et religieux ! La relation de Dieu à l’homme est une alliance et ce n’est pas une alliance diplomatique, c’est une alliance d’amour.

Mieux qu’une alliance d’amour, c’est un mariage. C’est à dire que dans cette alliance d’amour il y a deux éléments que nous ne trouvons que dans le mariage entre un homme et une femme : l’unité et la fidélité.

Il n’y a que Dieu qui puisse être en relation pleine et entière avec chaque homme. Ma relation à Dieu est propre à ma personne, tout autant que votre relation à Dieu est propre à votre personne. Le fait que Dieu vous aime ne diminue en rien l’amour que Dieu porte à votre frère.

« Je suis fidèle dans mon amour… »

De plus, chacun est aimé de Dieu comme l’époux aime sa femme, de manière unique et fidèle. Quelles que soient nos infidélités, Dieu ne cesse de le dire dans la Bible, Dieu est fidèle : « Je suis fidèle dans mon amour et dans ma miséricorde. »

Voilà de quelle manière se réalise la prophétie que la Liturgie nous offre avec la première Lecture : « Ton Créateur t’épousera… »

Ce qui semblait inimaginable comme impossible à vue humaine, voilà qu’à travers le mystère de Noël cela devient effectif : « Tu ne seras plus délaissée et on t’appellera l’épousée. »

« Tu seras la joie de ton Seigneur ! »

Et ce qu’il y a d’extraordinaire et de fabuleux dans ces noces mystérieuses entre Dieu et l’humanité c’est que le premier qui s’est réjoui de cette union c’est Dieu Lui-même. Autrement dit dès que l’Eglise, dès que notre âme en face de Lui, seule à Seul, dès que l’âme accepte ces épousailles, dès qu’elle dit oui, elle devient la joie de Dieu : « Tu seras la joie de ton Seigneur. »

Dieu se réjouit de mon âme. Dieu contemple mon âme comme le fiancé se réjouit de sa fiancée et contemple celle à qui il va s’unir. Prenons conscience de la mission que nous avons, de l’honneur que nous avons, de la possibilité que nous avons de réjouir effectivement le cœur de Dieu ! Et réjouissons-nous de cette joie que nous pouvons offrir à notre Dieu en Lui disant seulement notre oui !

« Faites tout ce qu’Il vous dira ! »

Tout cela est possible, tout cela fut possible, est encore possible à chaque instant de notre vie, à chacune de nos décisions, tout cela est possible grâce à Marie.

C’est grâce à son fiat qu’effectivement Dieu a pu s’incarner, a pu se marier à l’humanité et c’est grâce à son fiat que Dieu a pu avoir cette joie de contempler l’humanité pécheresse, faible, bancale, blessée, mais comme Son épouse.

Et c’est en souvenir de cette joie unique, cette joie de l’Annonciation que l’ange fait partager à Marie ( « Réjouis-toi pleine de grâces… »), c’est en souvenir de cette joie donnée par Marie à son Dieu en acceptant au nom de tous ces premières noces avec l’humanité, c’est en souvenir de cette joie que Jésus va accéder à sa demande.

Lorsqu’Il lui dit : « Femme qu’y a-t-il entre toi et moi ? », lorsqu’Il lui lance cette interjection sémite : Malech, cela veut dire comme le contexte le montre : Laisse-moi faire, tout ira bien, tout est prévu ! Pour te récompenser de ce fiat que tu as donné à Mon Père, voyant de toute éternité ta prière à Cana nous avons décidé le Père et moi de devancer notre heure, nous avons décidé de devancer l’heure des signes, l’heure de la gloire !

Quelle intercession, quelle puissance d’intercession possède Notre-Dame ! Demandons-lui justement d’entrer, grâce à elle, grâce à cette prière « Faites tout ce qu’Il vous dira », demandons-lui d’entrer dans cette spiritualité des épousailles entre Dieu et l’homme !

« Et ses disciples crurent en Lui. »

Nous savons comment se termine ce passage de l’Evangile. Jean précise que ce fut là « le commencement des signes » de Jésus. Ce n’est pas un miracle pour prouver, c’est un signe pour manifester.

Manifester quoi ? Que la gloire de Dieu c’est l’abaissement amoureux ! C’est vrai, lorsque nous sommes vraiment amoureux nous devons être capables de nous abaisser pour faire passer l’autre avant nous, pour faire le plaisir de l’autre, pour faire entrer l’autre dans la joie.

« Et ses disciples crurent en Lui ». Tout disciple du Christ doit croire que la gloire de Dieu c’est justement cet abaissement amoureux que Dieu manifeste infiniment car infiniment Il nous aime ! C’est croire également que Dieu trouve Sa joie en nous aimant !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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