« Aurais-tu désobéi ? Aurais-tu mangé du fruit de l’arbre ? »
Cette finale de l’évangile nous rappelle, de manière antithétique (c’est-à-dire par opposition) la condition humaine qui s’est manifestée par Adam tel que nous le rappelle le chapitre de la Genèse lu dans la première lecture : « Aurais-tu désobéi ? Aurais-tu mangé du fruit de l’arbre ? » Avec, en conséquence et comme à l’opposé de la convivialité familiale, la condition humaine avant le Salut en Jésus-Christ : condition de nudité, sentiment de crainte, ambiance de ténèbres…
Adam se cache ; il a peur et Dieu va le chercher : « Adam, où es-tu ? » Voilà que cette question -Adam où es-tu ? – se reformule avec l’Incarnation du Fils qui vient chercher Adam, c’est à dire qui vient rétablir Adam dans la relation familiale ; plus particulièrement on pourrait préciser une relation paternelle d’enfant à Père.
Alors comment va-t-on passer de notre condition adamique de vieil homme ayant hérité de ce refus d’obéissance, à la condition de l’homme nouveau qui, en Jésus, est celui qui fait parfaitement la volonté du Père, comment va-t-on passer de l’un à l’autre ?
« Une seule chose est nécessaire… »
Une seule chose est nécessaire pour reprendre la phrase que Jésus dira à Marthe lorsqu’Il va chez son ami Lazare à Béthanie. Nous nous souvenons de l’épisode où le Maître se repose chez ses trois amis, Marthe, Marie et Lazare. Marie est aux pieds de Jésus, écoute sa Parole, alors que Marthe s’affole pour le service de la maison. Alors Jésus dit à Marthe : « Une seule chose est nécessaire, Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Cette seule chose nécessaire nous l’avons demandée dans la Collecte en priant le Seigneur de nous inspirer ce qui est juste. Qu’est-ce que cela veut dire ? Ce qui est juste, dans le langage de la Bible c’est ce qui donne la justice ; plus exactement ce qui me fait partager la justice, c’est à dire cette vertu que Dieu possède parfaitement, comme toute autre vertu, et qu’Il donne à partager à ceux qui acceptent de s’approcher de Lui : s’approcher de Sa Montagne (le Sinaï), s’approcher de Sa demeure, de Sa Maison, s’approcher de l’Arche d’Alliance…
La justice en Dieu n’est rien d’autre que la sainteté, la perfection. Donc, inspire-moi ce qui est juste veut dire : Donne-moi ce qui va m’identifier à Ta perfection, à Ta sainteté, en un mot à Toi-même, donne-moi ce qui va m’unir à Ta pensée (la pensée de Dieu, c’est le Logos, le Verbe), ce qui va m’unir à Ton Amour (l’Esprit).
Les yeux de Dieu c’est Sa Parole, le Verbe, l’Évangile !
Mais comment Dieu va-t-Il pouvoir m’inspirer ce qui est juste, autrement dit comment va-t-Il pouvoir me faire découvrir Son désir ? Nous pouvons nous servir en image de l’expérience même de notre réalité humaine, en particulier cette expérience de l’amitié partagée par Jésus avec certains personnages de l’Évangile : Lazare par exemple, ou saint Jean.
C’est une réalité vécue par tout un chacun dans la relation entre deux amis, entre deux époux, ou entre un enfant et son parent. L’importance des yeux ! C’est dans les yeux que se dessine, se présente à l’autre sans l’obliger, le désir, le plaisir que l’on a, l’attente qui est la nôtre. D’où l’importance des yeux et de savoir lire dans les yeux, mais aussi de laisser transparaitre dans nos yeux notre âme, toute sa profondeur, donc son attente.
Et les yeux de Dieu, quels sont-ils ? Les yeux de Dieu c’est Sa Parole c’est-à-dire Jésus-Christ, c’est-à-dire encore l’Évangile qui a collecté de manière sacrée et inspirée les paroles du Christ. Autrement dit dans l’Évangile, qui est comme les yeux de Dieu, je peux lire les désirs de Dieu, ce que Dieu attend de moi. Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est du réalisme car une relation amicale se tisse toujours d’une personne vers une autre personne. Et c’est à partir du moment où nos relations personnelles entre notre âme et Dieu se construisent, que s’édifie l’Église !
Être la réalisation du désir de Dieu !
Cela veut dire que c’est dans la fréquentation, (j’emploie un mot bien précis : la fréquentation, comme lorsqu’on fréquente quelqu’un c’est à dire que l’on est assidu à être avec lui, à lui plaire …), c’est dans la fréquentation persévérante, assidue de l’Évangile, de la Parole de Dieu, que je vais découvrir le désir de Dieu, ce que Dieu attend de moi. En d’autres termes la volonté de Dieu sur moi. Mais ce n’est pas une volonté omnipotente : Dieu me laisse libre comme je suis libre de voir dans les yeux de mon ami ce qu’il veut de moi sans qu’il m’y oblige. Lui, il l’exprime dans son regard, je suis libre tout à fait d’y répondre ou pas.
Autrement dit, Dieu va m’inspirer, va me faire découvrir l’orientation de son Cœur, son désir, sa demande, par la lecture que j’aurai de sa Parole, une lecture assidue c’est à dire une mastication pour reprendre les mots des spirituels, une rumination pour s’en imprégner. Car il ne suffit pas d’avoir un regard qui passe, il faut avoir un regard perçant, pénétrant et donc appuyé pour découvrir dans les yeux de l’ami quels sont ses besoins, ses peines ou ses joies. Ainsi faut-il que je m’arrête dans la Parole de Dieu pour y lire ce que Dieu désire de moi.
Cette lecture va aboutir à ce que l’on appelle la prière ou l’oraison qui sera la demande que ce que je viens de lire dans la Parole, ce que je viens de découvrir du désir de Dieu s’applique dans ma vie, se réalise par ma vie. En un mot : que ma vie ne soit que la réalisation du désir de Dieu, devenant peu à peu quotidienne dans ma vie familiale d’homme marié, ou de prêtre, ou de maman et dans la vie professionnelle.
Être enfant de Dieu, ne peut se faire que par l’oraison.
Et lorsque ma prière devient fervente et franche, donc si vraiment ayant découvert dans la Parole de Dieu le désir de Dieu, je demande que ce désir soit appliqué par et dans ma vie, alors effectivement, comme nous le rappelle saint Jean dans son épître, je vais recevoir ce que j’aurai demandé : « si tu crois que tu vas obtenir ce que tu demandes et qui correspond à la volonté de Dieu, tu l’obtiendras. » Autrement dit, j’obtiens ce que je demande et ce que je demande n’est pas bien entendu mon bien-être personnel (gagner au loto…), ce que je demande c’est que s’accomplisse le désir de Dieu en moi.
Donc j’arrive à cette expérience de l’âme qui goûte cette richesse de Dieu tirée de la Parole par une rumination persévérante et la met en pratique, en en produisant le fruit !
Bien entendu, ceci est l’idéal que les saints atteignent à force de vie, à force d’expérience, à force de contact avec la Parole de Dieu ! Mais si je vous en parle c’est pour vous montrer qu’agir en fonction de la volonté de Dieu, c’est-à-dire entrer dans la famille de Dieu, se ré-introduire dans la relation à Dieu, en un mot se sauver, être enfant de Dieu, ne peut se faire en dehors de cet acte fondateur qu’est l’oraison. Et ce, quelle que soit la modalité de l’oraison que chacun emploie : le chapelet, l’adoration, le pèlerinage, la lecture spirituelle… Du moment que cette oraison est née, a surgi d’une méditation fréquente et assidue de la Parole de Dieu.
Aide nous Seigneur à accomplir ce que nous avons saisi comme juste !
Dans la Collecte nous avons demandé à Dieu de nous inspirer ce qui est juste et de nous aider à l’accomplir. Ce « aider à l’accomplir » s’enracine dans « inspire-nous ce qui est juste » : parce que si je me pose en dehors de cet acte fondateur qu’est le contact avec la Parole de Dieu (c’est à dire le regard dans les yeux de Dieu de ce qu’Il désire pour moi), en un mot si je me place en dehors de cette relation cordiale et amoureuse, je ne peux comprendre que le désir de Dieu soit un bien qu’Il me donne à partager pour entrer dans Sa joie. Deux êtres qui s’aiment, deux amis ou un couple, sont heureux du bonheur de l’autre ! Ce n’est pas une corvée de s’aimer, enfin je pense… Même si quelquefois, au bout d’un certain nombre d’années, des difficultés apparaissent ; mais ce ne sont pas tant des difficultés que des occasions d’approfondissements.
Alors faisons l’expérience du Dieu vivant : approchons-nous, comme dit saint Paul, de cette Parole par laquelle Dieu nous dit son amour… Comme la fiancée écrit à son fiancé qui lit et relit la lettre, l’embrasse, la met dans son portefeuille sur son cœur, part au combat avec elle et donc plein de force… Vous êtes tous passés par là !
Eh bien Dieu désire que, comme des jeunes hommes ou des jeunes femmes, nous passions par là vis-à-vis de Lui, que nous ayons cette relation cordiale, que nous lisions dans ses yeux sa Parole et non pas que nous pensions qu’Il nous impose quoi que ce soit au nom de je ne sais quel principe esclavagiste. Voilà ! C’est la grâce que nous pouvons demander.