Lectio divina

Une lectio divina est une commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.

James Tissot, « La Vie de Jésus », toile n° 198/462 ; 1888-1894.

Lectio divina pour le 3ème dimanche de Carême

SOYONS AMOUREUX DE DIEU, IL N’ATTEND QUE ÇA POUR NOUS OFFRIR SA JOIE !

L’évangile du troisième dimanche de Carême nous est en général plaisant à entendre ; d’autant plus agréable qu’il ne nous concerne pas : Jésus a effectivement bien fait de nettoyer le Temple de ces vendeurs qui gagnent de l’argent sur le dos des pèlerins ! D’ailleurs, dans tous les sanctuaires, n’y a-t-il pas des profiteurs ? Peut-être même est-ce cette sainte colère de Jésus qui nous fait croire en Lui, comme ces juifs convertis à la vue des signes qu’Il faisait… Ceci dit retenons la finale cinglante de l’évangile : « Jésus n’avait pas confiance en eux ; Il les connaissait tous et savait ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. » C’est cela qui doit nous inciter à faire notre examen de conscience et à voir la valeur de notre adhésion à Jésus.

La collecte me rappelle que Dieu m’instruit sur la manière de guérir de notre péché par le jeûne, la prière et le partage. Rappelons ce que l’Eglise enseigne depuis les Cendres : l’ascèse (la pénitence) affine notre esprit en le libérant de l’attraction du corps pour qu’il puisse se consacrer pleinement à sa véritable vocation qui est une communion spirituelle dans l’Amour avec mon Père et Ses enfants qui sont mes frères.

L’amour de Dieu s’exprime dans la prière, regard amoureux que je porte à mon Père ; l’amour de mon prochain s’exprime par le partage. Voilà une définition quadragésimale qui devrait être nôtre depuis deux semaines. Mais où en sommes-nous ? Nous exerçons-nous dans l’ascèse à la contemplation de Dieu, pour L’aimer et pour aimer notre prochain ? Et si nous le faisons, le faisons-nous en vérité ? Prions-nous Dieu, L’aimons-nous tel qu’Il est ?

Qui est Dieu ?

Dieu, dans la première lecture se définit Lui-même par une phrase qui revient sans cesse dans les Ecritures : « Je suis ton Seigneur, Je suis celui qui t’a libéré de l’oppression des Egyptiens. »

Dieu est donc Celui qui intervient dans mon histoire, dans ma vie pour me libérer de l’oppression, de ce qui m’empêche de vivre en liberté. Sachant que la vraie liberté, c’est la liberté intérieure, la capacité que j’ai d’atteindre ma fin, c’est-à-dire Dieu, auquel je peux m’unir par l’amour. L’oppression est ce qui m’empêche de poser cet acte d’amour de Dieu et de m’unir à Lui.

Et qu’est-ce qui m’empêche de poser cet acte si ce n’est le poids du péché, ces mauvaises habitudes qui me poussent à refuser le bien et à lui préférer le mal, comme l’avoue le grand saint Paul lui-même : « Je veux faire le bien et c’est le mal que je fais. » Le péché est ce boulet que je traîne, cette bête à multiples têtes, d’apparence invincible et qui m’empêche de réaliser mon désir, sincère pourtant(,) : l’union à Dieu.

Donc Dieu se définit comme Celui qui me libère de l’oppression du péché et me permet d’atteindre ma fin, de m’unir à Lui dans l’Amour.

Dieu insiste sur ce titre qu’Il se donne : « Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi » c’est-à-dire : tu ne considèreras pas autrement la divinité que par cette définition essentielle : Dieu est Celui qui te libère du péché.

Dieu insiste, parce que c’est la vérité. Dieu insiste car Il a payé ce titre de la vie de Son Fils, comme le rappellera Paul dans la deuxième lecture.

Dieu nous libère par amour

Dieu insiste aussi parce qu’II sait que nous avons du mal à accepter cette définition, que nous avons du mal à voir en Dieu le libérateur de notre péché. Il sait que pour l’homme, dont Il sonde les reins et les cœurs cette définition de Lui-même est une folie, un scandale.

Nous savons bien en effet à quelle logique implacable peut conduire l’amour pour l’expérimenter nous-mêmes souvent vis-à-vis d’un conjoint, d’un enfant, d’un ami. Nous savons que si Dieu, par Amour, nous libère du péché effectivement, c’est en le payant de Sa vie. Comme tout amoureux, Il est obligé de tout donner et de se donner Lui-même pour aller jusqu’au bout de la libération de la chaîne du mal.

Et, encore plus stressant si l’on peut dire, nous pressentons, dans le fond de notre cœur, l’exigeante logique que cela impliquera pour nous d’accepter cet Amour de Dieu, cette libération de Dieu. C’est pour cela que nous considérons la définition de Dieu, la vie de Dieu telle qu’elle se présente à nous (Dieu libérateur de mon péché) comme un scandale et comme une folie.

Pour me permettre de répondre à Son Amour, Dieu me donne la Loi libératrice, la Loi de délivrance comme nous le chanterons dans le Psaume responsorial : la Loi de l’Amour, les dix Commandements, ou plutôt les dix Paroles, c’est-à-dire le Décalogue.

De la morale d’obligation à la mystique de l’amour

Le Décalogue n’est rien d’autre que l’indication que Dieu me donne pour, très concrètement et non pas de manière abstraite, L’aimer et aimer mon frère. Dieu me précise comment je peux manifester mon amour pour Lui : « Tu honoreras le jour du Seigneur. »

Et que faisons-nous ? Nous marchandons cette Loi ! Nous la négocions ! Nous achetons la religion en la réduisant à un précepte ! Nous nous croyons en règle (unis à Dieu) parce que nous avons accompli le précepte de la messe dominicale ! Comme si l’amour se trouvait dans l’obligation ! Comme si la contrainte pouvait remplacer l’amour, le manifester ! Ce n’est pas cela… Et nous savons très bien la différence qu’il y a entre l’acte physique et l’intention qui porte cet acte. Lorsque nous donnons notre obole à un pauvre, l’intention peut être celle de l’amour compatissant, mais elle peut être celle du désir de se faire voir vertueux. Lorsque nous posons un acte de pardon, il y a l’acte extérieur, visible, qui peut d’ailleurs être fait du bout des lèvres, et il y a la réalité intérieure, profonde. Nous faisons avec notre prochain comme nous faisons avec Dieu : nous l’honorons du bout des lèvres, mais notre cœur est loin de Lui, ainsi qqu’Il le reproche à Son peuple…

Nous savons bien la différence entre ce qui est fait par formalisme et ce qui est profondément vécu de l’intérieur. Lorsque nous devons rencontrer quelqu’un, nous pouvons accomplir cette démarche parce qu’il le faut ; nous pouvons l’accomplir aussi par amour : alors on se prépare, on se pomponne, on met les habits du dimanche, tous les instants qui précèdent cette rencontre sont orientés vers ce moment suprême. Regardons la différence qu’il y a entre accomplir le précepte dominical et honorer le Jour du Seigneur, c’est-à-dire : se préparer à cette rencontre d’amoureux qu’est la Messe, préparer les textes de la Liturgie, faire en sorte que notre journée entière soit centrée sur cet acte, que rien ne puisse prévaloir dans mes occupations, accepter que tout me conduise à la Messe et que, de la Messe, tout découle pour ma journée et ma semaine, etc… Venir à la messe, est-ce accomplir le commandement d’honorer le jour du Seigneur ? Ce n’est vrai que si la réalité intérieure de notre cœur correspond à l’acte extérieur.

Les dix Paroles ne sont pas les Commandements d’une Loi formaliste. Elles sont l’expression de ces deux préceptes que Jésus n’est pas venu abolir mais accomplir et qu’Il rappelle sans cesse dans l’Evangile : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. » Voilà à quoi se résument la Loi et les Prophètes dit-Il.

La religion comme négoce finit toujours par la livraison de Jésus

Et nous ? Nous, nous négocions ! Et c’est contre cela que Jésus s’emporte. Ce n’est pas seulement contre les gens qui tiennent boutique auprès des églises, des sanctuaires, des temples. Peccadille que tout cela, médiocrité ! C’est notre commerce intérieur que Jésus combat, lorsque nous voulons réduire notre temple spirituel à une maison de négoce. Nous voulons, en achetant la Loi, c’est à dire en la réduisant à du pur formalisme, acheter notre tranquilité. Ce faisant, nous crucifions Jésus, le vrai Temple.

Mais, au fond de nous-mêmes, nous savons l’incohérence qu’il y a à pratiquer une religion, c’est-à-dire ce qui nous relie à Dieu, en la réduisant à dix actes à pratiquer. Nous ne sommes pas complètement idiots, nous sentons que le bât blesse ; nous avons honte, cela nous gêne, nous nous cachons. Mieux, après avoir acheté la religion, nous vendons le Christ, car nous pensons qu’Il nous juge, et c’est le baiser de Judas. C’est le péché qui vient tout naturellement clôturer notre vie dite chrétienne mais qui n’est en fait qu’un formalisme de tradition.

Notre monde a besoin de témoins de la Joie divine

Nous nous plaignons, en France, de voir nos églises vides, et spécialement vides de jeunes. Mais ce n’est qu’un juste retour des choses ! Si les plus âgés ont vécu au niveau du précepte, si les aînés ont acheté la religion, il est logique que les fils vendent Jésus ! Qu’auraient-ils à faire avec une religion si lourde et inutile ?

Allons, essayons de nous convertir, de changer de route, nous tous, mais peut-être en commençant par les aînés, en montrant l’exemple aux plus jeunes. En leur montrant que la religion n’est pas le simple respect formel d’un code de la route spirituel en dix articles, mais que c’est un feu intérieur, une relation d’amour à développer qui fait monter petit-à-petit l’âme vers la divinité, en procurant une joie que nul ne peut enlever. Alors, nous verrons, j’en suis sûr, la jeunesse qui est appelée à nous remplacer ne pas rester insensible à la joie profonde que nous aurons trouvée lorsque nous serons revenus à la contemplation, à la prière, à l’amour du Dieu véritable.

Mgr Jean-Marie LE GALL, Aumônier catholique H.I.A Percy, Clamart

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