Lectio divina
Une lectio divina est une commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.
Lectio divina pour le 6ème dimanche du Temps Ordinaire
LE SILENCE DE DIEU, ACTE D’AMOUR DIVIN
Avec ce sixième dimanche ordinaire se poursuit la réflexion sur le problème de la souffrance et du mal. Nous avions vu, les dimanches précédents, que Dieu n’était pas l’auteur du mal, que Dieu compatissait même à nos souffrance au point qu’Il souffrait plus que nous-mêmes de nos maux et de nos peines. Avec l’évangile du lépreux se pose une question qui se rattache à ce mystère de la souffrance : celle des prières – légitimes ! – que nous faisons pour sortir de la souffrance.
« Va, ta foi t’a sauvé ! »
Puisque Dieu n’est pas l’auteur du mal, puisque Dieu pleure avec nous, pourquoi ne pas Lui demander en effet d’user de Sa Toute Puissance pour retirer de nos corps et de nos âmes ces échardes qui nous blessent et nous font mal, à nous ou à nos proches ? Or combien d’entre nous ont demandé sans paraître exaucés ? Combien sont-ils à avoir supplié pour la guérison d’un père, d’une mère, pour l’atténuation des souffrances d’un enfant ? Combien sont-ils, les meurtris qui ont passé du temps devant un cierge allumé, dans un pèlerinage réputé ou dans la simple église de leur village, sans être exaucés ! Et combien sont-ils à s’être révoltés intérieurement devant l’apparent scandale d’un Dieu muet !
L’évangile de ce lépreux qui demande sa guérison et est effectivement guéri peut nous éclairer. Regardons d’abord la démarche de foi et d’humilité de cet homme malade, réprouvé à cause de ce mal, qui vient et se jette à genoux devant Jésus. N’est-il pas l’image de chacun de nous, malade de cette lèpre qu’est le péché, venant le dimanche à la rencontre du Seigneur pour se faire guérir par Sa grâce purificatrice ? Mais pourquoi donc avons-nous tant de mal à nous mettre à genoux lorsque le Seigneur vient devant nous sur l’autel en Son Corps et son Sang et au devant de nous pour S’offrir à notre manducation ?
Mais revenons au lépreux qui est exaucé à cause de sa foi, comme Jésus l’a souligné tant de fois en opérant les miracles « Va, ta foi t’a sauvé. »
Et pourtant… Et pourtant nous la connaissons la foi de nos malades, la foi de ces foules qui vont à Lourdes, la foi de ces handicapés qui vont en pèlerinage à la Grotte, chaque année… Une foi à transporter les montagnes et qui nous ébranle. Il n’y a pas que ce lépreux qui a la foi. Il y a tous ceux qui font des kilomètres après avoir souvent économisé sou par sou pour faire cette démarche auprès de Notre Dame, en espérant le miracle. Qui oserait dire que ces âmes manquent de foi ? Et pourtant, combien peu paraissent exaucées !?
« Cette guérison sera un témoignage… »
Alors, ce n’est pas la foi qui justifie le miracle du lépreux. Et, de fait, il y a un deuxième élément qui apparait dans le récit de cette guérison : c’est la pitié de Jesus qui exprime la compassion de Dieu : « Jésus fut pris de pitié devant cet homme, et Il lui dit : Je le veux, sois purifié. » Si c’est donc parce qu’Il est pris de pitié que Jésus guérit, cela laisse accroire que je n’inspire pas de compassion à Dieu puisqu’Il ne m’exauce pas ! Quelle monstruosité de penser que Dieu, devant tous les maux du monde, face à tous les handicaps qui blessent tant d’hommes, choisirait de ne compatir qu’à la peine de certains de Ses enfants, laissant Son cœur insensible à la souffrance du plus grand nombre ! Si donc Dieu compatit à toutes les peines, pourquoi tous ceux qui Le prient ne sont-ils pas exaucés ?
Il y a un troisième élément qui va éclairer ce mystère de la réponse divine.
Jésus dit : « Cette guérison sera un témoignage pour les gens. » Voilà : ce n’est pas seulement la foi du malade – la foi du lépreux, celle de nos malades -, ce n’est pas seulement la compassion de Dieu qui entraine le miracle. C’est le témoignage que Dieu veut donner aux foules de Sa présence active, amoureuse et paternelle, donc compatissante, au milieu des hommes.
Mais alors, si Dieu témoigne de Son amour en guérissant les plaies, pourquoi ne guérit-Il pas toutes nos plaies ? Ce serait si merveilleux ! Non seulement les souffrances disparaitraient de notre terre, mais de plus, Dieu serait manifesté à chaque instant, aux quatre coins du globe, par ces guérisons. Et la foi de ceux qui auraient demandé le miracle finirait par entrainer l’adhésion de tous devant tant de puissance et de bonté. Avouons que ce scénario peut séduire !
« Cependant non pas ma volonté mais la Tienne… »
Si les actes de Dieu ne s’accordent pas à cette ingénieuse et séduisante version de l’histoire, c’est parce qu’il y a des cas où l’Amour de Dieu se manifeste plus dans la souffrance que dans la guérison ! Je me réfère ici à une autre histoire de l’évangile : celle d’un homme qui demande lui aussi au Père de lui épargner des souffrances. Et cet homme n’est pas exaucé.
Cet homme dont la prière ne semble pas avoir été entendu, c’est Jésus à Gethsémani. C’est Lui le premier homme qui supplia Dieu sans être apparemment exaucé.
Regardons comme le parallèle est frappant entre ce que dit Jésus : « Père, s’il T’est possible, que ce calice s’éloigne de moi, cependant non pas ma volonté mais la Tienne » et la prière du lépreux : « Si Tu le veux, Tu peux me purifier. » Et ce lépreux, dont on ignore la sainteté est guéri mais Jésus, Lui, n’est pas entendu !
Voilà qui peut non pas expliquer mais éclairer le fait que très souvent nous aussi ne soyons pas exaucés, du moins en apparence. Et lorsque nous aurons en nous ce sentiment de plainte qui tournera même en révolte, nous repenserons au Maître à l’Agonie et nous dirons : Lui non plus, Lui surtout, avant moi, n’a pas été exaucé. Nous comprenons bien pourquoi il en fut ainsi : car pour témoigner de Son amour infini pour l’homme, il fallait que le Père laissa le Fils subir jusqu’au bout toutes les avanies possibles, toute cette agonie, toute cette souffrance de la Croix, plutôt que d’entendre Sa prière et d’envoyer les légions d’anges que le Fils pouvait légitimement attendre. C’est en livrant le Fils pour donner la vie aux hommes que Dieu montrait le prix qu’Il attachait non à Sa vie dans la vie du Fils mais a la vie de l’homme !
« Il m’a aimé et s’est livré pour moi. »
L’auteur de l’Epître aux Hébreux se fait l’exact rapporteur de nos sentiments face à cette livraison du Fils : « Nous avons un prêtre qui n’est pas impuissant à intercéder pour nous parce qu’Il a été éprouvé en toutes choses », dans toute notre misère, dans toute notre boue, dans toute notre fragilité. Il est allé jusqu’au bout de la douleur, et notre foi se fonde sur cet amour manifesté par l’Agonie acceptée de manière plus forte que si le Père était intervenu, comme avec Abraham, pour arrêter le bras sacrificateur. Non, jusqu’au bout Dieu est allé, et c’est cela, la prière non exaucée qui fonde notre foi : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi. »
Alors, lorsque je me regarde, lorsque je regarde mes frères souffrants, autour de moi, lorsque j’entends ceux qui, légitimement prient pour être épargnés, pour sortir du tunnel de la souffrance, et lorsque j’entends l’apparent silence de Dieu comme unique réponse à leurs appels, je peux, non pas leur imposer une réponse, mais orienter tout doucement leur réflexion en leur faisant porter leur regard sur ce mystère de l’Agonie. Je leur dirai : à travers toi, Dieu veut témoigner comme Il l’a fait à travers son Fils ; car tu es, toi aussi, un fils très cher. En te laissant dans ta souffrance, comme Il a laissé son Fils dans l’Agonie, Dieu manifeste à tes frères l’Amour qu’Il leur porte en offrant un de Ses fils chéris, comme Il a manifesté l’Amour qu’Il porte à tous en livrant Son Fils Chéri. Et si toi, à la suite de Jésus qui a accepté son Agonie injuste, tu acceptes l’injuste souffrance (car toute souffrance est injuste et mauvaise en soi) tu manifestes l’Amour que Dieu porte à ceux qui t’entourent, car pour eux Il t’offre de poser un acte d’amour qui vient se perdre dans l’acte d’offrande amoureuse du Christ Rédempteur. De même que « c’est par la souffrance qu’Il apprit, bien que Fils, ce qu’est l’obéissance et qu’Il devint pour tous ceux qui Lui obéissent cause de salut », de même, par Son silence à ton égard Dieu te demande de coopérer à Son œuvre de Salut puisque la Rédemption du Christ continue de toucher le monde à travers ton agonie offerte.
« J’achève dans ma chair ce qui manque à la Passion du Christ… »
Dieu le Père souffre autant de nos souffrances, de nos maladies, de nos deuils qu’Il a souffert de l’agonie de Son Fils. Et à travers ces peines qu’Il supporte avec Son Fils et les souffrants de par son infinie compassion, Il manifeste autant Son amour pour les hommes qu’Il l’a fait en laissant Son Fils souffrir injustement, puisque c’est par cette sainte Agonie et cette sainte Mort qu’Il nous a sauvés. Et c’est par les agonies et les morts de tous ceux qui souffrent que s’achève dans le monde, jusqu’à la fin des temps, cette même Passion rédemptrice librement consentie par Amour de l’humanité.
Ainsi s’éclaire le silence de Dieu à tant de prières si belles…
Retenons bien que lorsque nous acceptons nous-mêmes ce silence si lourd pour le cœur, lorsque nous arrivons à faire accepter avec charité et délicatesse à nos proches ces souffrances, ces croix et ces douleurs qu’ils n’ont pas méritées, lorsque nous acceptons nous-mêmes de continuer à vivre avec ces échardes, nous manifestons notre amour pour les hommes puisque nos souffrances sont rédemptrices dans celles de Jésus. Et, puisque nous sommes fils et filles de Dieu, puisque nous faisons cela par amour de Dieu, puisque c’est l’Amour de Dieu qui agit en nous, nous manifestons alors infiniment plus qu’avec tous les miracles de la terre l’Amour que Dieu Lui-même porte à nos frères.
Pensons à tous les malades qui offrent leurs souffrances pour les missions, pour l’Eglise : ceux de la Casa della Sofferenza du Padre Pio, en Italie, tous les malades qui offrent leurs maux pour la paix dans le monde et la victoire de l’Amour. Oui, ces malades, ces grabataires, ces incurables, ces pauvres, manifestent infiniment plus leur amour de chrétien, donc l’Amour du Christ et l’Amour de Dieu pour leurs frères que si, doués de pouvoirs miraculeux, ils arrangeaient la face de la terre au gré de notre désir pourtant bien compréhensible : la disparition de toute peine et de toute larme.
Voilà la réponse que l’évangile donne à ce mystère de la prière qui peut rester apparemment et pour moi sans réponse, mais qui est toujours un flot d’Amour divin distribué à l’Eglise.