Lectio divina
Une lectio divina est une commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.
Lectio divina pour l’Épiphanie
L‘ADORATION DES MAGES OU L’ÉCHANGE D’UN BAISER NUPTIAL ENTRE CIEL ET TERRE
Essayons de pénétrer le sens de cette fête de l’Épiphanie qui, pour nous Occidentaux, n’est peut-être pas toujours très clair. En effet, dans la théologie liturgique de tradition occidentale, l’Epiphanie représente en même temps la manifestation de Dieu et l’adoration des Mages. Alors, on ne sait plus très bien où regarder : est-ce Dieu ou est-ce l’homme qu’il nous faut contempler ?
Si nous nous tournons vers la tradition orientale nous pourrons pénétrer plus aisément le sens de cette célébration. Pour les Orientaux, en effet, l’Epiphanie comprend à la fois notre fête de Noël et notre fête d’aujourd’hui : l’adoration des Mages. Il y a donc deux actes que l’on ne peut séparer. Pour bien comprendre, rappelons que le mot ‘épiphanie’ signifie : manifestation sur, vers, dans… Ce terme dépasse celui de ‘théophanie’ qui ne regarde, lui, que la seule manifestation de Dieu. Les deux actes épiphaniques sont : d’abord la manifestation de Dieu sur l’homme, vers l’homme : c’est Noël et le mystère de l’Incarnation. Ensuite, la manifestation de l’homme vers Dieu, sur Dieu c’est ce que nous célébrons aujourd’hui dans l’adoration des Mages. On ne peut donc bien saisir ce mystère de l’adoration des Mages, ce deuxième acte épiphanique, que si on le relie au premier, à savoir l’épiphanie divine de la Noël. D’où l’unicité de la fête chez nos frères orientaux.
Dieu envoie Son Souffle en Marie et prie l’homme de Le recevoir
Qu’est-ce en effet que cette adoration des Mages Gaspard, Melchior et Balthazar ? Adoration vient de ad-orare c’est-à-dire prier vers… Mieux, ad-orare vient de ad-os c’est-à-dire : la bouche vers… La bouche, c’est le souffle, c’est l’esprit, la vie, le cœur …
Faire acte d’adoration, prier, ce n’est pas seulement réciter des formules (quoique celles-ci soient utiles) c’est, beaucoup plus profondément, tourner la bouche, l’esprit, le cœur, la vie vers Dieu. C’est se manifester à Dieu, être présent, visible et non caché devant Dieu. C’est l’attitude contraire de celle d’Adam et Eve qui se cachèrent après la faute. Cet acte d’adoration des Mages décrit dans l’Evangile, c’est une réponse positive donnée à un acte posé d’abord par Dieu. C’est une réponse à la manifestation de Dieu, à son épiphanie de Noël.
De même en effet que Dieu a soufflé Son Esprit dans la glaise pour créer l’homme, de même qu’Il a tourné Sa bouche, Son souffle vers le chaos pour l’organiser, de même Dieu a tourné Sa bouche pour proférer Son Verbe vers Marie, et, par elle, vers l’humanité. L’épiphanie du Seigneur, celle de la nuit de Noël, la première qui déclenchera la réponse de l’homme, c’est ce geste admirable que Dieu fait en tournant Sa bouche, en donnant Son Souffle, Son Esprit qui profère la Parole qui s’incarne en Marie.
C’est un don du Souffle divin, c’est-à-dire un don de la vie de Dieu. Dieu se manifeste ainsi non seulement à l’homme mais en l’homme par cet Esprit vivifiant ; et cet acte sera reproduit, de manière similaire, lors de la Consécration puisque le prêtre, en étendant les mains sur les oblats, invoque l’Esprit qui prend possession du pain et du vin pour leur donner la vie, pour qu’ils deviennent le Corps et le Sang de Jésus.
L’adoration de Dieu par l’homme est la réponse nuptiale au baiser divin
L’acte d’adoration que font les Mages, c’est la réponse que l’homme fait au baiser de Dieu. C’est l’échange des souffles par le don de mon souffle en Dieu et l’acceptation du Souffle de Dieu en moi. C’est le baiser nuptial de la divinité et de l’humanité que j’accepte, auquel je réponds. Dieu m’a donné Sa vie, Son Esprit par Jésus né dans le sein de la Vierge, et voilà qu’à mon tour je tourne ma bouche, je donne mon esprit, j’insuffle mon esprit en l’Esprit de Dieu. En faisant cela, non seulement j’accueille le don de Dieu, mais je me donne à Lui. En un seul baiser, donné et reçu, à la manière des époux, je ne suis plus centré sur moi mais je suis en Lui, comme Lui n’est plus qu’en moi !
C’est l’admirable échange dont la Liturgie parle à Noël : l’échange des vies. C’est vrai que Dieu nous donne la divinité. C’est vrai aussi que nous donnons l’humanité à Dieu depuis l’Incarnation il y a quelque chose de ‘changé’ dans la Trinité, il y a un ‘plus’ : l’humanité de Notre-Seigneur.
Voilà ce que représente ce deuxième acte épiphanique que nous célébrons avec l’Adoration des Mages, séparé du premier qu’est Noël, en Occident, mais que les Orientaux ont su garder dans une compréhension plus mystique. Peu importe ! L’essentiel est de savoir ce qu’il représente : la réponse au baiser de Dieu par mon propre baiser, c’est-à-dire le don de ma vie, de mon souffle. Dans cet acte, je me perds en Dieu ; ce qui devient le centre de ma vie, ce n’est plus moi-même, c’est Lui. Parce que Lui, ce qui est le centre de Sa vie, ce n’est plus Lui : c’est moi !
L’adoration c’est la participation de l’homme au Salut universel
Alors, bien entendu, cette réponse au baiser de Dieu, ce baiser nuptial que les Mages nous montrent aujourd’hui ne peut se faire que dans la lumière de la foi. Pour voir Dieu dans l’Enfant, il fallait la foi lumineuse dont l’étoile guidant les mages est le signe.
Cette foi, comme nous l’enseigne la démarche même de ces Mages, est universelle. Elle est donnée à tous, puisque justement ce sont des Mages, c’est-à-dire des rois, des savants, des hommes en recherche, des hommes religieux certes mais qui ne font pas partie du peuple élu, qui viennent adorer l’Enfant-Dieu.
Universelle, donnée à tous, cette foi est donc propriété de chacun. C’est pourquoi Jésus peut dire : « Va, ta foi t’a sauvé… » Il ne dit pas la foi mais bien ta foi. Chacun a sa foi. Pour lui. Qui reste bien sûr un don de Dieu. La foi ne se résume pas à un sentiment intérieur, subjectif. C’est une réalité objective qui vient de Dieu pour nous illuminer. Ce n’est pas la seule impression intérieure qui a poussé les Mages à entreprendre le voyage mais bien une intervention divine : l’étoile.
Nous saisissons alors un autre aspect important de cet acte d’adoration des Mages : l’adoration, c’est la participation de l’homme à cette universalité du Salut que Dieu permet en donnant la foi à tous ! Et c’est en posant son acte d’adoration, sa réponse personnelle au baiser de Dieu que l’homme rend présente et active l’universalité du Salut offert par Dieu.
Cette adoration personnelle qui révèle le Salut universel et que nous contemplons aujourd’hui chez les Mages, est l’essence même de l’Église. L’être même de l’Église, et pas seulement son rôle, c’est d’être présente en contemplant Son Sauveur, Son Chef, Son Frère qui est l’aîné de la multitude…
En embrassant Dieu en JESUS, Marie pose l’acte qui fait l’être de l’Église
C’est le sens des premiers versets de la lecture d’Isaïe. C’est le sens de cette attitude exemplaire de Marie : quand les Mages arrivent, ils trouvent Marie regardant l’Enfant. Or. Marie est l’Église en perfection. En Marie, l’Église est dans un état qu’elle n’atteindra plus sur terre, qu’elle ne retrouvera qu’au Ciel. Marie est là. Elle médite toutes ces choses en son cœur et regarde Celui qui est son Époux. Elle contemple, elle adore, elle embrasse Dieu en Jésus. En embrassant Dieu en Jésus, Marie pose l’acte qui fait l’être de l’Eglise. Notre contemplation n’est donc pas un acte qui se résout à notre personne. C’est un acte qui constitue l’Eglise dans sa nature la plus essentielle.
L’attitude du baiser donné à Dieu et de la réception du baiser de Dieu, c’est cela l’Eglise. Et c’est dans la mesure où Marie est en contemplation devant l’Enfant que les Mages viennent aussi et à sa suite, L’adorer. Ils accomplissent ainsi les versets suivants du texte d’Isaïe. En écoutant : « Sois dans la joie parce que la lumière est en toi, elle est sur toi la manifestation de Dieu », nous pensions à Marie qui contemple la chair du Dieu-Sauveur : Jésus. Et nous devons penser à la conséquence de cette adoration sur la venue des Mages quand le prophète ajoute : « Et alors les nations viendront vers Toi avec l’or… » Oui, cet oracle se réalise déjà avec la venue des Mages qui galopent sur leurs chameaux, portant l’or et leurs richesses. Ils arrivent, et ils voient l’Église parfaite qui contemple, qui adore… À la suite de Marie, ils entrent dans l’Église, c’est-à-dire dans cette présence à Dieu, dans cette adoration de Dieu. Et nous, à la suite des mages, en conséquence de leur adoration, nous venons, nous aussi pour adorer !
Si Marie n’avait pas adoré, les Mages seraient-ils venus, malgré l’étoile ? Est-ce que l’oracle d’Isaïe se serait accompli si l’Église, en Marie, n’avait pas été consciente de cette Lumière, si Marie n’avait pas été consciente de la divinité du fruit de ses entrailles ? Les mages seraient-ils venus à la grotte, et, à leur suite, nous-mêmes ?
Une Église responsable devant le monde est une Église qui vit ses épousailles divines
Non seulement donc notre adoration est la réponse amoureuse au baiser de Dieu, non seulement cet acte est acte d’Église puisqu’il nous fait correspondre à la nature de l’Eglise qui est adoration, mais dans le même temps, il est acte d’Église en ce sens qu’il contribue à la croissance de l’Eglise en entraînant à notre suite la venue d’autres âmes vers l’adoration. Car c’est dans la mesure où l’Église vit ce qu’elle est (présence adorante et donc révélante de Dieu) qu’elle est missionnaire ! C’est dans la nature même de l’Eglise d’être missionnaire : elle ne peut séparer son action de son être : son être est son action. C’est parce qu’elle adore le Seigneur que l’Église Le révèle et L’annonce à tous les peuples !
C’est peut-être parce que notre adoration de Jésus s’affadit que le nombre des croyants diminue… Comme disait Mauriac : Quand notre charité s’éteint, le monde meurt de froid !
Cette mise en garde de l’écrivain n’est-elle pas encore plus actuelle de nos jours lorsque nous voyons avec effroi tant de personnes se précipiter dans le froid des actes meurtriers et déraisonnés ?
Renouvelons donc notre adoration, ce baiser que nous donnons à Dieu, cette présence gratuite, cette manière d’être tournés vers Lui, comme l’épouse est tournée vers son époux puisque l’Epoux s’est tourné vers l’Epouse. Alors seulement la foi donnée universellement à tous les hommes par Dieu, produira ses fruits. Les hommes seront attirés même s’ils ne nous voient pas, par cette communion de sainteté, par cette diffusion de l’amour et de la charité. Et ils viendront plus nombreux pour rendre honneur, pour adorer à leur tour Celui qui est venu en leur humanité.
Mgr Jean-Marie LE GALL, Aumônier catholique H.I.A Percy, Clamart