Or, la première difficulté dans nos vies est que nous n’aimons pas être seuls. Nous aimons bien les certitudes, humaines, matérielles, les certitudes du cœur, les certitudes de l’esprit, les certitudes du corps ; nous aimons bien assurer nos lendemains tant dans notre subsistance corporelle que dans l’évolution de notre esprit, que dans le mouvement de nos tendresses. Jésus, Lui, monte pour être seul.
Seul mais avec la Parole ! Comme Moïse montera au sommet de l’Horeb pour recevoir la Parole de Vie, comme Elie montera au sommet du même Horeb pour recevoir la visite de Dieu, Jésus monte pour être seul avec la Parole de Dieu, avec la Parole de Vie. Souvenons-nous de ce que dit Yahvé : « Je te donne les paroles de la vie pour que tu aies la vie. »
LA PAROLE EST TRANSFIGURANTE CAR ELLE EST CRÉATRICE…
Deuxième difficulté : Que représente pour nous la Parole de Dieu ? Nos bibles sur un rayonnage de bibliothèque ? Des textes fort anciens et inintéressants ?
Or voici que Jésus se présente seul au Thabor entouré de Moïse qui représente la Loi, et d’Elie qui représente les Prophètes, autrement dit, entouré de la globalité de la Parole de Dieu. Lorsque je regarde Jésus seulement, que je fais abstraction de tout ce qui fourmille et grouille dans la plaine humaine, que je fixe mon regard sur le Thabor, je vois Jésus seul avec cette Parole de Dieu qui L’entoure dans une proximité extraordinaire.
Cette apparition, cette Transfiguration de Jésus à côté de Moïse et d’Elie, est le signe que c’est la proximité à la Parole de Dieu qui est l’énergie motrice de la Transfiguration du Christ. Oui, parce que Jésus est proche de la Parole de Dieu, Il est transfiguré !
« CHOISIS LA VIE ! »
Troisième difficulté de notre vie chrétienne : nous aimerions nous transfigurer par nous-mêmes, par nos propres forces, par nos combines, y compris nos combines spirituelles, mais se dépouiller au point de recevoir la transfiguration d’un autre, de cette Parole qui pénètre le cœur comme un glaive à deux tranchants, comme c’est difficile !
Car cette proximité de Jésus à la Parole de Dieu n’est pas une proximité externe. Nous pouvons être très forts en exégèse, nous pouvons compiler des milliers et des milliers de pages pour essayer de structurer notre intelligence par rapport à la Parole de Dieu, mais ce n’est pas de cette proximité là qu’il s’agit.
Jésus n’est pas un exégète. Les scribes, les pharisiens étaient les docteurs de la loi, les commentateurs de la Parole de Dieu. La proximité de Jésus à la Parole de Dieu est une proximité interne, c’est la proximité de l’achèvement, de la réalisation, de l’accomplissement. Jésus le dit Lui-même : « Je ne suis pas venu abolir la loi, (Moïse), ni les prophètes (Elie) : « Je suis venu accomplir », c’est-à-dire porter à l’achèvement, réaliser en plénitude cet enseignement donné par mon Père depuis les origines.
La Transfiguration de Jésus est la conséquence de cet achèvement de la Parole de Dieu, parce que la Parole de Dieu est créatrice, c’est une Parole de Vie. Ce ne sont pas des commandements comme nous l’entendons au sens d’une loi positive. Dieu nous donne Sa Parole parce que Sa Parole est Sa Vie et pour que, par Elle, nous nous quittions nous-mêmes et que nous nous retournions vers Lui et que nous entrions dans Sa Vie.
LA PAROLE EST LA MATRICE DU JEÛNE, DE LA PRIÈRE ET DU PARTAGE
La Parole de Dieu est une Parole pénitentielle, qui nous incite à nous détacher de notre corps, de nos besoins terrestres pour regarder le Ciel. C’est aussi une Parole de prière qui nous incite à tourner notre esprit vers Dieu et non pas vers nous-mêmes. C’est enfinune Parole de partage qui nous incite surtout, comme le premier dimanche de Carême l’a souligné, à tourner notre cœur vers l’Unique Nécessaire pour qu’Il puisse satisfaire l’infinie spiritualité de notre âme, la capacité infinie que nous avons d’aimer !
La Parole est axée sur ces trois points que Jésus accomplit d’ailleurs sur trois monts. C’est au mont de la Quarantaine que Jésus accomplit cette Parole de pénitence : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »
C’est au mont des Oliviers que Jésus accomplira la Parole de prière : le retournement de Son esprit vers le Père dans cet enseignement magnifique de la prière dominicale : « Quand vous priez dites : Notre Père… »
Et enfin, comme le point d’orgue, c’est au mont du Golgotha que Jésus tournera parfaitement Son cœur vers Dieu et vers les hommes en accomplissant la Parole de Charité : « Tu aimeras ton Dieu et ton prochain de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit. »
Voilà de quelle manière Jésus achève, non pas dans des discours –« Pas un iota ne changera de la loi »–, non pas dans une philosophie, mais dans la réalisation, ces Paroles de vie que le Père donna au peuple juif dont Il est le représentant dans toute sa pureté.
Il accomplit ce retournement du corps, ce retournement de l’esprit, ce retournement du cœur pour être tout à Dieu et pour pénétrer, par la Parole vécue, dans la Vie de Dieu.
LA PAROLE DE DIEU RESTE ENCORE À ÊTRE ACCOMPLIE EN MOI
Alors, si nous désirons arriver nous aussi à cette transfiguration que Dieu nous promet, nous devons nous aussi accomplir la Parole. Nous devons réaliser en nous cette Parole de pénitence, cette Parole de prière, cette Parole de Charité pour nous quitter nous-mêmes, pour tourner notre esprit, et surtout notre cœur vers le Cœur de Dieu.
Et ne croyons pas que tout soit accompli en Jésus ! C’est vrai que la Parole de Dieu est achevée parfaitement en elle-même dans la vie du Christ, mais rappelons-nous ce que dit Saint Paul : « J’achève en mon corps ce qui manque à la Passion de Jésus », ce qui manque dans le lieu, dans l’espace, dans le temps. Ce que la Tête a accompli, les membres doivent l’accomplir. La Parole de Dieu reste encore à réaliser, doit encore être achevée, à l’exemple de Jésus. Et en Jésus de manière à ce que, non seulement la Tête, mais le Corps qu’est l’Église puisse entrer dans la plénitude de Dieu !
De même que Jésus a accompli la Parole de l’Ancien Testament, je dois accomplir cette Parole de Dieu. Je dois donc accomplir la Vie du Christ, qui est Parole incarnée et Parole vécue. Je dois moi aussi, monter au mont de la Quarantaine, je dois égalementmonter au mont des Oliviers avant que de monter au Golgotha. Je dois continuer en moi les mystères de Jésus et réaliser en moi ce que Jésus a réalisé.
LA VIE BAPTISMALE OU L’ACCOMPLISSEMENT DE LA PAROLE
Ce qui est extraordinaire, c’est que pour ce faire, j’ai reçu à mon Baptême et je reçois à chaque confession, à chaque Eucharistie, l’Espérance qui me dépouille un peu des besoins terrestres pour me tourner vers le Ciel au Mont de la quarantaine. Je reçois la Foi qui tourne l’esprit vers la Lumière transfigurante de Dieu qui dévoile la divinité. Et je reçois surtout la Charité qui tourne mon cœur au Golgotha vers mon Père.
Cette Espérance, cette Foi, cette Charité, c’est exactement la même grâce dont Jésus vit, comme le rappelait Paul aux Éphésiens : « La puissance infinie qu’Il déploie pour les croyants » (Eph 1, 19). Je reçois la même Vie divine que Dieu a donnée à Son Fils, dans la consécration de Son Esprit Saint, pour accomplir avec ce Fils et dans l’Esprit, la même réalisation de la Parole de Dieu qui est une Parole de Vie, qui est le chemin vers ma transfiguration, c’est-à-dire vers l’investissement total de mon âme, de mon corps, de mon esprit, de mon cœur, par la Vie divine au profit du Père et de la famille humaine !
C’est par l’Espérance que je monte au Mont de la quarantaine, ce n’est pas par mes propres forces. C’est la Foi qui, au Mont des Oliviers, me fait accomplir la Parole de Dieu : « Un seul Dieu tu invoqueras… » Notre Père qui est aux cieux… Et c’est par la Charité que je peux moi aussi participer à la Croix de Jésus.
Accomplir la Parole, accomplir la Parole de pénitence, de prière, de charité, monter avec Jésus sur la montagne pour être seul avec cette Parole proche, cette Parole qui est en moi et que je fais mienne librement, pour partager la Vie de Dieu.
Voilà ce qui me permettra, comme dit la prière de la Collecte, de discerner la gloire de Dieu, c’est-à-dire de participer à cette gloire : Donne-nous, Seigneur, de comprendre Ta Parole, de la prendre avec nous, pour que nous puissions contempler Ta gloire, en participant à ton éternelle transfiguration !