Le Christ n’est pas seulement Fils de Dieu, Il est aussi Fils de l’homme. Il est à la fois le chemin et Celui qui chemine, le premier. Toute la vie de Jésus est un cheminement, un passage, un passage préparatoire à Sa Pâque c’est-à-dire au retour vers le Père.
Aussi va-t-Il laisser à notre disposition les jalons de Sa propre route qui L’ont conduit de la naissance à Sa résurrection, cherchant à accomplir le désir de Son Père, ce qui n’a pas été facile tous les jours : souvenons-nous de Son agonie ! Il nous laisse Ses propres jalons, Lui qui a tracé la voie pour nous. Et ces jalons ce sont les Béatitudes.
« Celui qui veut être mon disciple, qu’il me suive. »
Car c’est bien sur une route qu’il faut aller, à la suite de Jésus qui Lui-même a cheminé. Il dira : « Celui qui veut être mon disciple, qu’il me suive. »
Depuis les origines Dieu a demandé à l’homme de se mettre en route pour Le rencontrer. Il y a, dans la relation de Dieu et de l’homme, une vie infinie, un mouvement perpétuel, comme dans l’amour qui est toujours dynamique, en croissance sous peine de s’étioler et mourir. Dès Abraham, la première relation personnelle de Dieu à l’homme est un appel à partir sur une route : « Quitte ton pays, la maison de tes pères, tes richesses… »
Quitte… Abraham crut et il partit ! Pour aller où ? Dieu reste flou : « vers un pays que je t’indiquerai » ! Nous aimerions tant avoir une direction, un point d’arrivée ! Mais pensez-vous que Dieu soit localisable ? Vers un pays que je t’indiquerai. Cela montre que ce vers quoi Dieu veut nous faire marcher, c’est moins un lieu (qui répondrait à la question : où), qu’une manière d’être (qui répond à la question : comment).
Cette manière d’être que Dieu veut nous voir revêtir et qui est déjà présente dans la foi initiale d’Abraham (et « cela lui fut compté comme justice » !), comme elle est présente dans le Fiat de Marie (« Voici la servante du Seigneur »), cette manière d’être que Dieu nous demande de revêtir c’est la confiance. Comme Jésus qui n’est pas un surhomme, mais seulement un homme : Il est vrai Dieu, mais vrai homme !
« Entre tes mains je remets mon esprit »
Le cheminement que nous sommes appelés à faire depuis notre Baptême, c’est le cheminement que Jésus Lui-même a fait et que la Vierge Marie a fait à Ses côtés. Et c’est au terme de ce cheminement, au sommet de Sa vie que Jésus lâchera les paroles qui résument toute Sa personne, tout Son être, et qui justifient tout Son agir : « Entre tes mains je remets mon esprit » : la confiance totale, absolue…
D’où l’importance de cette première béatitude de laquelle toutes les autres s’emboîtent comme des poupées russes : Heureux les pauvres… Oui, heureux celui qui s’est quitté, celui qui s’est perdu de vue, celui qui s’est oublié, le Royaume des cieux lui appartient ! Heureux celui qui est « comme l’enfant contre le sein de sa mère », ainsi que le chante le psaume 130. Le chrétien qui aspire à la sainteté s’établit dans cette confiance. Le Royaume de Dieu est le sein sur lequel il se pose, s’appuie et se nourrit…
Cette Béatitude est au présent pour nous signifier que ce n’est pas un lieu lointain, une promesse, une carotte, comme les caricatures définissent le paradis. Elle est une manière de vivre déjà là : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux. » Si tu acceptes de mettre ta tête sur Mon sein, je te donnerai le sein et tu te nourriras. « Venez à moi vous qui n’avez pas d’argent et je vous donnerai à boire », de l’eau, du lait et du miel…
« Heureux les pauvres de cœur ! »
Alors bien sûr c’est peu à peu que nous allons nous revêtir de cette confiance. Et c’est à travers la route du désir, évoquée dans la précédente Lectio. Car tout se tient d’un dimanche à l’autre dans notre Année liturgique… On ne célèbre pas la Toussaint comme ça, tout-à-coup ! On s’y prépare. Comme la Toussaint d’aujourd’hui nous prépare à la célébration des morts qui aura lieu demain. La célébration des morts n’est pas un culte païen ; c’est l’aspect charnel de ce mystère de l’Au-delà dont nous célébrons aujourd’hui l’aspect spirituel. Célébrer la Toussaint sans célébrer les morts, ou célébrer les morts sans célébrer la Toussaint, c’est incomplet et risque de fausser notre regard sur l’éternité.
Donc c’est la route du désir qui va nous faire avancer jusqu’à habiter cette confiance au quotidien. C’est d’ailleurs cette permanence qui nous embête le plus ! Habiter tous les jours la demeure de Dieu, habiter le parvis du Seigneur, pour reprendre le psaume, et ne pas se contenter lorsque nous avons un problème d’aller rendre visite à Jésus, à Marie, à sainte Rita, à saint Antoine ou au curé…
« Revêtez le Christ ! »
Habiter au quotidien, c’est entrer dans une confiance qui est vraiment la confiance filiale. La confiance de l’enfant est une confiance qui est instinctive, spontanée ! Votre enfant vous fait confiance à toute heure du jour et de la nuit ; il ne raisonne pas avant de s’établir dans cette confiance et de la vivre ! Nous, nous raisonnons ; nous voulons toujours des preuves : si Dieu me donne, oui alors, et alors seulement, j’aurai confiance… Si j’ai un signe alors, oui, je donnerai. C’est déjà bien : Dieu nous prend comme nous sommes ; mais nous ne nous rendons pas compte que c’est là tout le contraire de la confiance ! Comprenons que ce vers quoi Dieu nous appelle, ce ne peut être qu’une confiance sans arrière-pensée. C’est un saut dans l’inconnu qu’Il nous demande de faire. Il peut nous le demander car dans cet inconnu il y a deux mains qui sont comme suspendues et présentes pour nous recevoir et nous protéger : le Fils et l’Esprit Saint !
Alors lorsque nous arrivons, par l’humble désir, à entrer dans cette confiance au quotidien, à l’habiter, à nous en revêtir (« Revêtez le Christ » disait Paul, revêtez la confiance de Jésus en Son Père !), alors nous devenons malléables comme la glaise sous les mains du potier. Isaïe disait : « Tu es le potier, notre Père et nous sommes la glaise ; nous sommes l’œuvre de tes mains, ajoutant ailleurs : « l’œuvre de tes mains, faits pour être beaux. » !
« Nous sommes l’œuvre de tes mains, faits pour être beaux. »
Nous sommes façonnables par Dieu qui va pouvoir former, re-former ce qui fut interrompu par le péché d’origine : l’image de Son Fils. Nous avons été faits à l’image de Dieu, et plus précisément dans le plan mystérieux de Dieu, nous avons été prédestinés à être l’image de son Fils, Lui qui doit être l’aîné d’une multitude de frères, écrivait saint Paul.
Voilà donc que tout le plan de Dieu reprend, se rétablit, au-delà de la faute d’origine et au-delà de nos péchés personnels. A chaque sacrement de Réconciliation nous renouvelons notre confiance : comme Zachée aux pieds de Jésus, comme tous ces infirmes, ces boiteux, ces aveugles, nous sommes, aux pieds de Jésus…
Nous renouvelons cette confiance et le Père peut à nouveau façonner en nous l’image de Celui qu’Il aime d’un amour absolu et à travers lequel Il nous aime nous. La sainteté c’est cela : c’est s’établir dans cette confiance de manière à laisser sur notre glaise les mains du Père nous façonner dans l’Esprit afin d’obtenir de nous l’image de Jésus-Christ, le Fils unique par nature !
On retrouve ainsi l’image de la Création, lorsque l’Esprit souffle sur les eaux, lorsque le Père prend la glaise d’Adam, lorsqu’Il insuffle cet Esprit et qu’Il façonne Adam puis Eve. Création magnifique, sublime, qui ne peut être brisée ! Elle peut être interrompue, mais elle ne peut être brisée ! Ni par le péché d’Adam, ni par nos péchés personnels, à partir du moment où nous revenons, et où nous nous laissons à nouveau façonner dans une confiance d’enfant, comme le Fils, par le Père et dans l’Esprit.
Pour devenir comme le Christ : demeure de Dieu, temple de l’Esprit, reflet de Sa gloire, resplendissement de Sa substance, présence de Sa tendresse, manifestation de Son amour. Voilà à quoi nous sommes appelés à la suite de Jésus. C’est cela la sainteté !
C’est la grâce que nous nous souhaitons les uns aux autres !